Face à la pandémie Covid -19: Gestion de guerre, tout simplement !
Dans cette contribution je ne veux pas aborder des problèmes économiques ou sociaux induits par la pandémie du Coronavirus n’étant pas dans mes compétences, mais je souhaiterais mettre en exergue l’impréparation du Pouvoir public à aider la population à survivre et les dysfonctionnements visibles du système mis en œuvre. Il ne s’agit pas de stigmatiser le système de gouvernance en vigueur dans le pays mais d’une appréciation objective de la gestion de cette terrible crise qui a secoué non seulement la Tunisie mais la planète toute entière.
L’impact est tel que les dirigeants cherchent désespérément à convaincre les citoyens qu’ils «gèrent bien» les tenants et les aboutissants de l’affaire. Mensonges, volonté de se donner le beau rôle, travestissements des faits, sélection des informations en fonction de son intérêt, propagande, ont embrasé les médias. Les auteurs sont souvent des acteurs étatiques ou paraétatiques. Le cœur du message est toujours le même: «nous faisons bien», «on ne peut rien nous reprocher», «ça a été pire ailleurs».
Partout ailleurs dans le monde, c’est la même rengaine. La rhétorique du Président US «Nous aurons été parfaits» en est le meilleur exemple. Il n’est pas fortuit donc d’avoir qualifié cette crise de «première guerre mondiale de la désinformation».
Ceci dit, cette épidémie nous interpelle sur notre impréparation et cela est transposable dans bien d’autres domaines : celui de l’économie, de la santé, de la défense, de la sécurité et de notre protection en général. Ce constat a poussé l’opinion publique à associer cette crise au sempiternel problème de gouvernance.
Et soudain c’est l’évidence, la Tunisie est désarmée au sens propre comme au figuré: déficit de masques, de tests, de lits ad hoc dans les services de réanimation, manque de tenues de protection médicale, manque de stocks stratégiques de médicaments, absence de plan de gestion d’une attaque bactériologique de grande ampleur, personnel non entrainé à des opérations de type NBCR (nucléaire, biologique, chimique et radiologique)… Etc.
Qu’en serait-il en état réel de guerre? Probablement, c’est la débandade, un état de panique généralisé dans l’attente d’une arrivée hypothétique d’un éventuel allié. Des renforts venants d’ailleurs, il n’y en a pas sauf si on décide de donner aux autres les clés de la maison en évitant de leur demander d’essuyer les pieds en entrant!
Alors que faire sinon réagir? Mais avant cela, il va falloir « rendre des comptes », le temps n’est pas venu, mais il devra venir. Ceux qui depuis des années nous ont menti devront payer. Ils nous ont inondés de discours lénifiants sur la pertinence de leurs choix et ils nous ont emmenés là où nous en sommes. Après cette pandémie, rien ne sera comme avant, très bien; on verra ce qu’ils nous vendront.
Théorie du chaos ou la transformation de la guerre
La fin de la bipolarisation va consacrer une théorie dite du chaos et selon laquelle le maître en stratégie ne sera plus Clausewitz mais Sunzi. La guerre à grande échelle interétatique et conventionnelle est désormais obsolète. La guerre aura une autre forme; elle sera atroce et ne sera pas menée sur un champ de bataille par des hommes en tenue de combat militaire. La guerre n’est plus «la continuation de la politique par d’autres moyens» mais «la continuation de la survie par d’autres moyens». De fait, l’ennemi devenant indistinct et ses comportements aléatoires, il ne s’agit plus de livrer des batailles décisives et de détruire l’adversaire mais de gérer des crises et de vaincre sans combat.
Ne nous y trompons pas: ce scénario n’a rien d’imaginaire, aujourd’hui, dans toute la planète les dés sont sur la table et le jeu est bel et bien commencé. Face à un ennemi invisible, c’est une gestion de guerre qu’il faut mettre en place.
Les principes de la guerre
Dans les faits, cette évolution ne met pas véritablement en cause les principes de la guerre qui conservent leur pertinence et leur pérennité mais davantage leurs modalités d’exécution.
Revenons, à présent, sur les trois principes de base
Liberté d’action
C’est la liberté de choisir, donc de décider. C’est aussi être libre de ses mouvements pour pouvoir agir en étant dégagé de ses propres contraintes (logistique, appuis, moral, disponibilité).C’est finalement l’aptitude à rester maître de son action et de ses intentions en s’efforçant d’imposer son tempo à l’adversaire, bref la capacité à garder l’initiative .Dans ce cadre, le pouvoir public a fait preuve de fébrilité et parfois de naïveté en particulier en matière d’appréciation de la situation dès lors que l’urgence était signalée.
L’économie des forces
C’est tirer tout le parti des forces dont on dispose. C’est aussi l’art de monter ses forces en système plutôt que de les compartimenter et c’est là que le bât blesse pour le cas tunisien .Economiser les forces, c’est les préserver pour l’effort principal. En Tunisie on a tendance à penser que l’Armée est la réponse à tout alors qu’on sait que ce n’est pas vrai. Du coup, l’outil militaire est surexploité.
La concentration des efforts
C’est le fruit de la planification et l’aptitude à anticiper les évènements et exploiter toutes les opportunités offertes .A cet égard, il est essentiel de pouvoir continuer à s’appuyer sur un système d’entrainement et d’évaluation de grande qualité, régulièrement remis en cause pour s’adapter avec pragmatisme à l’évolution de la situation.
De crainte sans doute d’avoir une approche jugée trop conformiste, la tentation est forte de vouloir ajouter d’autres principes tels que: la surprise, l’unicité du commandement, la fulgurance …etc.
En guise de conclusion, je citerais Jacques Attali qui écrit : «Aujourd’hui, rien n’est plus urgent que de maîtriser les deux tsunami, sanitaire et économique qui s’abattent sur le monde. Il n’est pas assuré qu’on y parvienne… Si on échoue, des années sombres nous attendent». Nous savons maintenant pourquoi l’addition sera lourde et pourquoi un grand coup de balai s’impose!
Mohamed kasdallah
Officier (r) de l’Armée nationale