Le traçage des données mobiles peut-il aider la Tunisie dans la lutte contre le Covid-19 ?
Le confinement a intensifié l’usage de l’internet et la téléphonie. Le lien social tant distendu en cette distanciation imposée par la pandémie, s'en trouve heureusement renforcé par ces technologies devenues de plus en plus pointues et aux multiples bénéfices. Par les indicateurs sur la mobilité, qu’elles peuvent fournir aux décisionnaires, elles sont à même d’enrichir les outils d’analyse et de suivi nécessaires à la Tunisie, comme à d’autres pays dans la lutte contre le Covid-19. Qu’il s’agisse de déplacements de l’usager d’un téléphone mobiles, des personnes se trouvant dans sa proximité directe ou de son observation d’une décision de confinement, autant de données significatives collectées par les opérateurs de télécoms. Mais, quel potentiel réel, et quelles limites réductrices. Le grand dilemme qui se pose, partout, c’est comment concilier recours à ces données, sans pour autant sacrifier à la protection de la vie privée, aux libertés individuelles et à l’éthique.
Tout un débat s’amorce de par le monde avec ce sujet du traçage. S’il est tranché quant à la capacité technologique d’effectuer ce traçage et son degré de fiabilité, une véritable controverse s’installe au sujet de la délimitation de son utilisation, les précautions – garanties nécessaires et la gouvernance de ce dispositif.
La pratique qui s’accélère dans le monde, pays autoritaires en Asie et démocratiques en occident, montre que le traçage repose sur de multiples solutions technologiques, de règles éthiques et de mode de gouvernance. Parmi les garanties mises en place, figure celle privilégiant un contrôle assuré par le parlement, la société civile et des instances d’éthique et de régulation. Une fois cet aspect essentiel couvert, il s’agit de rallier l’opinion publique au principe du traçage. D’ou l’importance d’une pédagogie édifiante quant à la valeur ajoutée substantielle escomptée. C’est ce qu’entreprend nombre d’élus et d’ONG dans plusieurs pays, jouant un rôle actif auprès des gouvernants pour un usage utile.
Tout récemment en France, Mounir Mahjoubi, député de Paris (LREM), ancien conseiller d’Emmanuel Macron à l’Elysée, après avoir intensément contribué à son élection, et ancien secrétaire d’Etat au Numérique, vient d’élaborer une note parlementaire à ce sujet. « Ce document d’analyse, y écrit-il en préambule, a pour vocation d'alimenter utilement le débat public sur l’utilisation des données mobiles des citoyens en situation d'épidémie exceptionnelle et grave. Fondé sur une revue de presse française et internationale, il expose la diversité des solutions et leurs implications technologiques et éthiques. Cette note n'exprime pas mon avis personnel. Elle est un outil à la main du Parlement, des autorités en charge et de tous les citoyens pour les aider à mieux appréhender le sujet dans sa complexité. Il s’agit de penser et de construire ensemble les meilleures solutions pour la France. »
La pertinence de cette analyse invite à réfléchir quant à l’opportunité d’une démarche similaire en Tunisie. Réfléchir ensemble, est en effet un premier pas important qui peut éclairer les gouvernants et baliser leur décision. En soumettant à votre lecture la note intégrale (télécharger) du député Mounir Mahjoubi, Leaders vous invite à vous exprimer sur une approche tunisienne de traçage des données mobiles. Pour toute proposition, écrivez à : leaders.tunisie@gmail.com).
Synthèse de la Note
L’usage du traçage des données mobiles dans la lutte contre la pandémie de Covid-19 répond à trois finalités :
1. L’observation des pratiques collectives de mobilité et de confinement (i.e. cartographie des déplacements de population).
2. L’identification des sujets “contact” (i.e. backtracking ou contact tracking).
3. Le contrôle des confinements individuels (i.e. tracking ou bracelet électronique virtuel).
Plusieurs technologies supportent ces usages à travers le monde :
- le bornage téléphonique,
- des applications GPS,
- des applications Bluetooth,
- les systèmes de cartes bancaires et de transport,
- la vidéosurveillance, dotée ou non d’intelligence artificielle.
Chaque couple de technologie et usage témoigne d’un potentiel et de limites propres. Et chacun d’eux amène à une réflexion éthique particulière. Aussi, seule une analyse détaillée des méthodes permet d’apprécier les possibilités d’un juste équilibre entre les objectifs de santé publique et la préservation des libertés individuelles.
Les cartographies de mobilités collectives (1 er usage) sont utiles aux stades 1 et 2 de l’épidémie. Elles suscitent peu de contestation éthique. Des opportunités existent pour les exploiter davantage à des niveaux géographiques plus fins. Pour cela, de nombreux opérateurs mobiles et fournisseurs d’application se disent disposés à travailler avec les autorités sanitaires.
L’identification des sujets “contact” (2 ème usage) est très utile aux stades 1 et 2, ainsi que pour éviter un rebond après un stade 3. Elle alimente cependant des inquiétudes justifiées quant à la protection de la vie privée. Ces inquiétudes doivent amener à délimiter les recours aux possibilités techniques, mais non à les exclure complètement. La question du consentement de l’utilisateur est débattue dans de nombreux pays. En la matière, les applications Bluetooth de contact tracing semblent créer un consensus du fait de leur aspect plus protecteur des libertés individuelles. Pour autant, elles n’ont pas encore fait la preuve de leur efficacité sanitaire. Des applications GPS sans remontée automatique offrent également d'intéressantes opportunités protectrices des données personnelles. Dans certains pays, des dispositifs étatiques de collecte et traitement massif de données sans consentement des utilisateurs ont été mis en place dans le cadre de mesures exceptionnelles. L'efficacité réelle de ces dispositifs reste à ce jour mal évaluée.
Enfin, le contrôle du confinement à domicile (3 ème usage) est utilisé à tous les stades de l’épidémie ; aux stades 1 et 2 pour les quarantaines des personnes malades et au stade 3 pour le confinement plus général de la population. Il pose un défi pleinement éthique mais moins technologique. Il pose la question de la coercition par les autorités des règles de confinement au niveau individuel. Quel contrôle et quelles sanctions ? Plus éloignés des cultures de nombreux pays d’Europe dont la France, ces dispositifs sont pleinement utilisés en Asie.
Les opportunités offertes par les nouvelles technologies ont pour clé de voûte l’acceptation populaire.
Celle-ci repose sur plusieurs exigences, dont une proportionnalité des méthodes aux objectifs, une pleine transparence des pratiques, et notamment des codes informatiques, et une véritable gouvernance indépendante de contrôle, en capacité d’évaluer efficacement et à tout moment les pratiques et leurs performances sanitaires.
Pour un débat utile et éclairé sur le sujet, l’analyse doit être nourrie. Ce document a pour vocation d’y contribuer. Pour chacun des trois usages annoncés, il détaille les technologies et les modalités à considérer. Il présente les avantages et les limites techniques. Il aborde les implications éthiques et les modulations envisageables. Enfin, il procure des exemples d’implémentations à l’étranger.
Ce document a été réalisé avec mon équipe parlementaire dans les conditions actuelles de confinement, sa pertinence et son exhaustivité seront renforcées par les retours et participations de ses lecteurs. Des versions augmentées seront régulièrement proposées.