Azza Filali: Covid 19, l’horreur et la fragilité
Voici quatre mois que le Covid 19 accompagne la planète dans sa vie quotidienne. Une vie qui n’a plus rien à voir avec celle d’avant.
C’est que le Covid a démasqué des comportements individuels ou collectifs pour le moins inédits; du jamais vu chez les humains.
A côté des données officielles, marquées par la dimension macabre du nombre de morts et des courbes ascendantes de cas enregistrés, d’autres données, plus «discrètes» sont intéressantes à commenter.
Commençons par l’horreur:
Le président Donald Trump a pris son temps pour décréter le confinement de l’état de New-York. Cette mesure n’a été prise que le 23 Mars, alors que cet état qui compte plus de huit millions de personnes avait atteint 12000 malades Covid+ et plus de 100 décès. Mais Mr Trump ne voulait pas gêner la bonne marche économique de cette plaque tournante qu’est l’état de New-York, au risque de multiplier les victimes. Ce n’est plus: «America first» mais «money first»! Il a fallu que les citoyens eux-mêmes demandent à leur président d’instaurer le confinement… Aujourd’hui, aux USA, tous les indicateurs sont à la hausse. Le nombre quotidien de décès risque de frôler les 2000. En ceci, le président Trump a vu juste, lorsqu’il a averti ses concitoyens qu’ils devaient s’attendre à perdre beaucoup de monde, y compris leurs proches… Mr Trump n’a jamais fait dans la dentelle, mais là il bat tous les records de goujaterie!
Toujours dans le registre de l’horreur : comment ne pas relever un dialogue relayé par la chaine LCI, dialogue entre le patron de l’Inserm de Lille et le chef de service de réanimation de l’hôpital Cochin à Paris, évoquant tous deux la possibilité de tester en Afrique certains vaccins contre le Covid (dont le fameux BCG, vaccin contre la tuberculose). Cette Afrique où, selon les propos du Pr Mira: «il n y’a pas de masques, pas de traitement, pas de réanimation.» Sans commentaires! Un concert d’indignations ayant suivi ces propos, les deux augustes professionnels de la santé ont présenté des excuses, arguant que la vidéo avait été tronquée
Autre échantillon de l’horreur «ordinaire»: comment désigner le décret, publié le 29 Mars au Journal officiel français, et autorisant, jusqu’au 15 Avril, la prescription palliative de Rivotril, médicament antiépileptique (normalement contre-indiqué dans l’insuffisance respiratoire sévère) chez les personnes âgées Covid +, afin d’apaiser les souffrances liées à une détresse respiratoire. Le gouvernement a autorisé le personnel soignant à utiliser ce produit chez les malades âgés, en maisons de retraite et cela à titre «d’accompagnement palliatif». Aux critiques ayant immédiatement fusé, affirmant «qu’on achève bien les vieux» et que de la sédation profonde à l’euthanasie, la différence peut devenir imperceptible, les professionnels de santé ont clamé haut et fort que l’euthanasie restait illégale et que le Rivotril était destiné à apaiser les souffrances des malades en détresse respiratoire, sans interrompre les soins qui leurs étaient prescrits. Il n’empêche que la mesure prise et l’esclandre qu’elle a provoqué, laissent un arrière-goût amer: certes, toute la planète est en guerre contre le Covid, mais allons-nous revenir à la médecine de guerre qui «priorisait» les patients, afin de désengorger les hôpitaux?
Venons-en à la fragilité. La plus consternante est, sans aucun doute, la précarité des systèmes de santé à travers le monde. Cela concerne aussi bien les pays riches que les autres. En Tunisie, les hôpitaux publics, délabrés depuis des décennies, manquant d’infrastructures et de matériel, se trouvent en première ligne pour affronter le Covid 19. Malgré la grande expertise du corps médical, le manque de lits de réanimation, de matériel consommable indispensable, la nécessité de s’en procurer dans un monde qui ferme ses portes, tout cela altère la qualité des soins en cette période de crise. Mais, notre pays est sans doute mieux loti que les augustes Etats-Unis d’Amérique où, après la suppression de «l’Obama care», les soins sont redevenus payants et où l’accès aux hôpitaux exige de débourser quelques milliers de dollars. De sorte que l’équation, simple et implacable, pour un américain confronté au Covid, est la suivante: être riche ou mourir…
Autre fragilité: celle des traditions, sociales ou religieuses, que nous pensions inamovibles. En Tunisie, voici les rites funéraires balayés d’un revers de main par les autorités, en cas de décès d’un malade Covid+. Malgré le désespoir des proches, on se passe des derniers soins qu’il est d’usage de consacrer à la dépouille; on se passe aussi de l’adieu au défunt et des rassemblements imposés par le deuil. Le mort part seul vers l’éternité, souvent entouré par la crainte des voisins d’être contaminés par une dépouille où pullulerait le funeste virus.
Toujours dans le registre de la fragilité, voici que les piliers de l’islam exhibent leur possible inconstance: menacée par la pandémie, l’Arabie Saoudite interdit le rite de la «Omra». Pour la première fois, on a vu se vider l’immense place entourant la «Kaaba», image forte et poignante d’un lieu jusque-là débordé de fidèles, tournant inlassablement autour de la pierre noire. Voici cette pierre, rendue à sa solitude originelle, pareille à celle des êtres qui la contemplent de loin…
Plus encore, selon un site Koweitien, les autorités Saoudiennes ont soumis à leurs éminents religieux la possibilité d’une «fatwa» autorisant la non observance du jeûne de Ramadan. Le prétexte invoqué est la nécessité de s’hydrater en permanence pour mieux combattre le Covid19. A son tour, le jeûne du mois de Ramadan vacille et les dévots, consternés, se voient privés d’une tradition qui structure leur foi tout comme leur vie quotidienne. Même chose pour le rite du Hadj, fortement compromis cette année. Difficile d’imaginer que d’ici la fin du mois de Juillet, la situation de la pandémie se soit amendée au point d’autoriser des pèlerins, venus du monde entier, de venir s’agglutiner à la Mecque, dans une promiscuité aussi étouffante que dangereuse.
Curieuse parenthèse que ce Covid 19 a introduit dans nos vies, remettant en question nos certitudes les plus ancrées, les habitudes sans lesquelles nous pensions ne pas pouvoir exister. Rendus à l’essentiel, voici que nous réalisons que cet essentiel est d’une austère simplicité, résidant dans les fondamentaux qui nous sont indispensables pour être nous-mêmes et pour survivre. La leçon est forte et sans appel! Impossible, désormais, de se cacher la tête et de prétendre que ces mois Covid n’auront été qu’un raté de l’existence…
Azza Filali