Coronavirus: Quand la prière ne suffit pas !
Les odieuses manifestations qui ont accompagné l’inhumation de certaines victimes du coronavirus dans notre pays sont à rapprocher de celles qu’évoquent le magazine du Monde concernant la peste à Paris en 1920 : « Si, dans certains quartiers touchés, le spectacle des corps qu’on transporte épouvante - on raconte que les maisons des malades sont brûlées et que des familles disparaissent. » (4 avril 2020, p. 28).
Les manifestations inqualifiables de ce type ne paraissent pas avoir jamais eu lieu dans notre pays.
La Tunisie a souffert de terribles épidémies comme la peste de 1348 qu’a connue Abderrahmane Ibn Khaldoun ; l’épidémie venait d’Europe où elle avait tué la moitié des habitants du continent. L’hécatombe s’est ainsi abattue sur la famille de notre illustre savant qui perdit sa mère, son père, et la plupart de ses amis et de ses professeurs. Elle le décidera même à quitter bientôt le pays. Il écrit dans les Prolégomènes : Cette « terrible peste… maltraita cruellement les nations, emporta une grande partie, entama et détruisit les beaux résultats de la civilisation…. Les nations et les tribus perdirent leur force et tout le pays cultivé changea d’aspect. ».
Nous n’en sommes pas là, heureusement, mais Ibn Khaldoun ne parle pas de manifestations comme celles, hideuses, observées à Bizerte, à La Manouba et Medjez el Bab ces jours derniers !
De son côté, Ahmed Ibn Abi Diaf (« Ithaf Ahl Ezzaman », tome 4, p. 128-137, Editions du Secrétariat d’Etat aux affaires culturelles et à l’Information, Tunis, 1963) parle longuement du choléra « asiatique » qui s’est déclaré dans le pays, pour la première fois, le 2 septembre 1849, probablement à partir du port de Sousse d’après le médecin italien Giovanni Ferrini qui a séjourné dans notre pays. La maladie dépeupla le pays et Béja notamment lui paya un très lourd tribut. A Tunis, on compta jusqu’à 200 morts par jour. L’Etat fit face à ses obligations en empêchant les voyageurs arrivant de Béjà d’entrer dans la capitale. La solidarité joua pleinement sans distinction, entre musulmans et juifs, d’autant que les Israélites pauvres de la hara, insalubre, de la capitale accusèrent un grand nombre de décès. On sait depuis que le choléra est une maladie hydrique mais aussi une maladie de la pauvreté. Les juifs furent accueillis au fortin de souk el Ouzar. Le bey Ahmed observa une quarantaine stricte d’abord chez Mustapha Khaznadar à Carthage puis à Mohammedia ensuite au Bardo et enfin à Ghar el Melh (Porto Farina). Il forma le projet de s’éloigner de l’épidémie en allant à Djerba mais ses conseillers parvinrent à l’en dissuader. Le souverain craignait la maladie au point de faire traiter (désinfecter ?) le courrier entrant au bkhour (encens), d’en faire copier l’essentiel avant de brûler l’original. La terrible situation qui prévalait dans le pays n’empêcha pas Mustapha Khaznadar de décréter que les morts du choléra étaient des « chahid ». Ahmed Bey sollicita l’avis à ce sujet du grand savant Abdallah Mohamed Taïeb Riahi qui lui remit une opinion écrite conforme. Mais le mufti Abdallah Mohamed Ben Slama était d’une opinion opposée. Le choléra eut en fait le dernier mot puisque les deux illustres théologiens en moururent écrit Ibn Abi Diaf.
En juin 1867, le choléra frappa à nouveau notre pays en commençant, une fois de plus, par la hara de Tunis pour s’en prendre ensuite à Béjà « où l’épidémie a failli exterminer la population »*** écrit Ibn Abi Diaf. Ce dernier évoque l’élan de solidarité des médecins juifs et européens - aidés par une vingtaine de domestiques - qui ont aménagé un local à Bab Bhar à Tunis pour soigner et nourrir les malades, sans distinction ethnique ou religieuse. Mais l’inhumaine politique fiscale de l’administration beylicale, le manque de semences et les aléas climatiques ont contraint les paysans à affluer à Tunis. Le froid et le typhus (qui frappera jusqu’en 1885) provoquèrent une hécatombe - la Tunisie perdit entre la moitié et les deux tiers de ses habitants - on ramassait près d’une centaine de cadavres quotidiennement. Mais pas de rejet : le Trésor Public (Bait al mel) se chargea d’enterrer tous ces malheureux.
Comme on le voit, les énergumènes de Bizerte, de La Manouba et de Medjez el Bab ont un comportement étranger aux habitudes et aux mœurs de notre pays !
Quand les intégrismes s’en mêlent
« C’est parmi les croyants les plus convaincus, les plus rigoureux, qu’on trouve les alliés les plus zélés du coronavirus. Pour parler clair, l’influence des intégristes de tout poil et tout plumage sur la santé des mortels de la planète est tout bonnement catastrophique. » écrit Laurent Joffrin sous le titre « Dieu et le virus. » Dans « La lettre politique » (Libération, 3 avril 2020).
Le ministre israélien de la Santé Yaakov Litzman - un ultraorthodoxe de la communauté Gur Hassidique, une des communautés les plus traditionnaliste du monde - semble avoir inspiré la réflexion de l’éditorialiste français. Répondant à la question si les Israéliens devaient être confinés jusqu’au début des vacances de Pâque, Litzman - qui n’a aucune compétence pour parler de la santé - affirma : « Nous prions et espérons que le Messie arrivera avant la Pâque juive, pour notre rédemption. Je suis sûr que le Messie viendra et nous tirera de là comme Dieu l’a fait pour nous sortir d’Egypte. Bientôt nous serons libres et le Messie viendra et nous épargnera de toutes les peines de ce bas monde » (Haaretz, 26 mars 2020). Il n’en demeure pas moins que ce « saint » est accusé par la police de fraude, d’escroquerie et d’abus de confiance. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, le voilà atteint par le coronavirus - ainsi que sa tendre moitié - d’où son confinement ainsi que celui de Netanyahou, du chef d’Etat major, du chef de Mossad et de toutes les huiles de son ministère.
Du reste, un nombre record des coreligionnaires ultra de Litzman tomberont malades ayant ignoré les règles de confinement édictées par l’Etat sioniste notamment dans la ville de Bnei Brak - fondée par les ultraorthodoxes polonais, dans banlieue de Tel Aviv ! Les ultraorthodoxes ont rejeté ces règles et, défiant l’Etat, ont maintenu ouverts synagogues et écoles. A Bnei Brak, on caillasse les ambulances venues chercher les malades pendant le shabbat (Haaretz, 4 avril 2020). Pour Anshel Pfeffer, « Le silence des politiciens ultraorthodoxes en Israël a trahi et mis en grand danger leur propre communauté » car il est interdit dans cette communauté d’avoir accès à la télévision, à la radio et aux journaux !
En Iran, les rassemblements dans la ville sainte de Qom sont responsables d’une grande partie de la contamination du pays. Les premiers cas ont été détectés à la mi-février mais les prières collectives ne se sont arrêtées qu’à la fin mars. L’ayatollah responsable du sanctuaire de Fatima Masoumeh a continué les prières et les cérémonies comme à l’accoutumée en déclarant que les lieux étaient « une maison de la guérison ». Un autre dignitaire iranien a prétendu que le virus ne pouvait pas atteindre les musulmans... jusqu’à ce qu’il soit lui-même atteint par le coronavirus !
Chez nous, certains inconscients n’ont rien trouvé de mieux à faire que d’enfreindre le couvre-feu et de faire des « takbirs » pour arrêter le virus et, bien entendu, sans respecter les mesures de distanciation. Il est particulièrement heureux cependant que les autorités religieuses officielles de notre pays appellent au respect des décisions médicales et à celles concernant les inhumations des victimes du coronavirus. Ce faisant, elles empruntent la voie tracée par le grand Ibn Rochd (Averroès 1126-1198) qui était opposé à la « médecine du prophète » qui concurrençait, à son époque, la médecine scientifique héritée des Grecs et à laquelle il était très attaché. (Lire Dominique Urvoy, « Averroès. Les ambitions d’un intellectuel musulman », Champs Flammarion, Paris, 2008, p. 67).
Pour Le Monde (3 avril 2020, p. 4), « une coalition de sceptiques, notamment des pasteurs évangéliques, dénonce les entraves à la liberté de religion et politise le débat ». Et c’est ainsi que le mardi 31 mars, le pasteur d’une église géante de Louisiane a organisé une messe en dépit de l’interdiction du gouverneur démocrate de l’Etat dénonçant « une atteinte aux libertés religieuses » et affirmant : « Nous avons le mandat de Dieu pour nous réunir et nous rassembler, et continuer à faire ce que nous faisons. » Pour ce pasteur, soutien de Trump, la pandémie serait « motivée par des motifs politiques. »
Le dimanche 29 mars, un pasteur pentecôtiste de Tampa en Floride, avait défié les interdictions de rassemblement en organisant deux offices dans église géante « The River ». Il avait été brièvement détenu par la police. Un autre pasteur évangélique, Jerry Falwell Jr, très proche de Donald Trump a aussi défié les mesures de précaution édictées pour enrayer la propagation du Covid-19. Pour la droite religieuse américaine - qui est en outre antiscientifique - ces offices doivent avoir lieu coûte que coûte car c’est un gigantesque fonds de commerce qui rappelle ce mot de Roger Peyrefitte contre l’Eglise de Rome : « Notre Sainte Mère l’Eglise a la tête au ciel et les pieds dans un coffre-fort. ».
Au Brésil aussi, comme aux Etats Unis, des pasteurs nient la gravité du virus, encouragés par le Président Bolsonaro qui qualifie de « gripette » le coronavirus. Pour lui, les réunions religieuses sont essentielles et ne peuvent être touchées par les mesures de confinement mais la justice a cassé la décision du président brésilien.
En fait, quand la prière ne suffit pas, c’est à la Science et à la Raison de dire et de faire.
Mohamed Larbi Bouguerra
*** Les épidémies frappent en priorité les plus faibles dans la Tunisie du XIXème siècle comme dans les Etats Unis de 2020. On relève, en effet, aux Etats Unis, que le Covid-19 est particulièrement dangereux pour les Noirs. « Les statistiques américaines sont publiées de manière disparate, selon les Etats et les villes, et ne permettent pas de comprendre si une inégalité spécifique au Covid-19 est à l'œuvre, ou si la disproportion ne fait que refléter les inégalités socio-économiques et d'accès aux soins qui affectent les Noirs historiquement dans ce pays. » Lui-même Noir, Jerome Adams, médecin chef des Etats Unis, a parlé de ses propres problèmes de santé pour illustrer le problème qui affecte sa communauté. « Je l'ai déjà dit, je fais moi-même de l'hypertension. J'ai une maladie du cœur et j'ai déjà passé une semaine en réanimation à cause d'un problème cardiaque. Je fais de l'asthme et je suis prédiabétique. J'illustre ce que c'est de grandir pauvre et noir en Amérique. » (Le Figaro et The New York Times 7 avril 2020)