Samir Gharbi : Bourguiba et les Tunisiens (Album Photos)
En apprenant la mort de Bourguiba, le 6 avril 2000, j’avais écrit, mot pour mot, cet article dans l’hebdomadaire Jeune Afrique où je travaillais. Aujourd’hui, vingt ans après, j’ajouterais seulement que l’Histoire lui donne raison, que la période dictatoriale 1987-2011 a confirmé la justesse de sa vision, que la période 2011-2020, malgré les efforts de tous les «revanchards» et «ingrats», sa vision est encore valide et le bourguibisme est toujours vivant.
«Habib Bourguiba, dont certains croyaient qu’il était mort tellement il avait été effacé de la scène politique tunisienne depuis sa destitution le 7 novembre 1987, a physiquement disparu le 6 avril 2000, à l’âge, probablement de 99 ans. Il restera qu’on le veuille ou non, dans l’Histoire comme le bâtisseur d’une nation moderne.
Photos exeptionnelles, grâce à l'aimable concours des Archives Nationales
& de la Fondation Habib Bourguiba
De mon temps, pourtant les jeunes ne l’aimaient guère. Je me rappelle la répression à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix. Garçons et filles fuyaient le campus universitaire de Tunis envahi par la funeste BOP (Brigade de l’ordre public). Nous étions plus ou moins manipulés, certains par la gauche maoïste ou bolchevique, d’autres par les barbus islamistes ou par la milice du parti destourien. Nous étions jeunes et ne voyions pas plus loin que le bout de notre nez.
L’image de Bourguiba était omniprésente : sur les écrans de télévision, à la une des journaux, sur les façades des immeubles, dans les aéroports, sur les billets de banque, à la devanture des magasins… On nous racontait qu’il cherchait à « nous éduquer » et qu’il faisait tout « pour notre bien ».
C’est avec le recul, une fois adultes, que nous avons commencé à mesurer le chemin parcouru par la Tunisie sous son règne. Un chemin d’autant moins négligeable, si on le compare aux performances de pays beaucoup plus riches et plus peuplés. Certes, Bourguiba n’a pas pu tout faire en trente ans. Il n’a pas réussi à éradiquer tous les gourbis et toutes les « zones d’ombre », mais les Tunisiens ont eu l’essentiel : la santé, l’éducation, le revenu minimum, la sécurité sociale, la paix. Ce qui lui a beaucoup nui, lors de ses dernières années à Carthage, c’est son entourage et sa volonté de s’accrocher au pouvoir coûte que coûte.
C’est sous Bourguiba que la Tunisie a commencé à ouvrir des espaces de liberté à l’opposition (communiste, libérale et même islamiste) et aux militants des droits de l’homme. C’est sous Bourguiba que la femme est devenue ce qu’elle est, une femme libérée, active, une femme avec des droits, qui veut avoir ou ne pas avoir d’enfant, divorcer, ne pas porter le voile, voyager seule, etc.
Bourguiba avait la magie du verbe et du geste. Il savait improviser. Il était naturel et simple. L’argent et les richesses matérielles ne l’intéressaient guère. C’était pour les autres. Ce sont les autres que le peuple tunisien haïssait. Pas lui. »
Samir Gharbi (6 avril 2000)
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