Noomane Fehri: Pourquoi Il faut exiger l’abandon de la dette du FMI et de la Banque Mondiale?
Le Gouvernement tunisien a pris la semaine dernière un certain nombre de mesures exceptionnelles pour une enveloppe d’un montant total de l’ordre de 2,500 milliards de dinars lequel montant sera supporté par les caisses de l’Etat.
En outre, d’autres mesures supplémentaires pourraient être prises dans les semaines et les mois prochains. Pour un montant avoisinant le 1.5 milliard de dinars, ce qui risque de porter un besoin financier de 4 Milliards de Dinars, soit un peu moins de 10% du budget global de l’Etat (47, 227 milliards de dinars).
Mais où trouver les 4 milliards de dinars?
Le ministre des Finances a récemment expliqué, et à juste titre, qu’une partie des 2,500 milliards de dinars serait trouvée de:
• la «réallocation budgétaire»: c’est-à-dire réallouer le budget prévu par des projets moins urgents vers ces mesures;
• l’effet de la baisse du prix du pétrole: il s’agit d’une hypothèse à double tranchant car la baisse du prix du pétrole s’accompagne aussi d’une baisse de nos recettes pétrolières (1,332 milliards de dinars d’impôts et 1,55 millards de dinars de dividendes);
• de l’emprunt
• Et du rééchelonnement de la dette.
C’est justement sur ce dernier point que je souhaite m’attarder, car c’est là o on peut avoir le plus d’impact:
Le budget de l’état 2020, (loi des Finances 2020 http://www.finances.gov.tn/fr/loi_finance ) prévoit un emprunt de 11,368 milliards de dinars (8,848 milliards de dinars en emprunts extérieurs et 2,400 milliards de dinars à lever sur le marché intérieur).
Ces emprunts seront utilisés comme suit:
• 3,332 milliards de dinars pour couvrir le déficit budgétaire, et 1,20 milliards de dinars comme prêts et avance au trésor;
• 3,157 milliards de dinars au remboursement du principal de la dette intérieure;
• 4,759 au remboursement du principal de la dette extérieure;
Nous n’avons pas une idée précise de la proportion du FMI et de la Banque Mondiale dans le remboursement de 4,759 milliards de dinars, car ce n’est pas indiqué dans les documents budgétaires, et l’échéancier de remboursement n’est pas publié à ce jour. Nous pouvons raisonnablement déduire qu’elle représente plus que 50% de ladite somme.
Il nous semble que demander simplement le rééchelonnement de la dette extérieure, n’est pas suffisant pour les raisons suivantes:
• C’est une pratique en temps normaux, mais nous ne sommes pas en ces temps normaux.
• C’est une pratique coûteuse dans le long terme (intérêts composés etc.)
Il est évident qu’en 2020, tout dinar payé pour rembourser une dette est aux dépens du pouvoir d'achat denrée du tunisien. Ceci n’est pas du populisme,mais la triste réalité mondiale.
Humainement, il vaut mieux payer ladite somme prévue pour le remboursement de la dette à FMI et à la BM) pour subvenir aux besoins de nos concitoyens plutôt que de la payer aux créanciers multilatéraux.
Il faut donc exiger d’arrêter purement et simplement toutes les échéances relatives à la dette du FMI et de la Banque Mondiale.
Je ne parle pas d’une mesure hostile à ces institutions internationales, mais d’une négociation courageuse et réaliste: Le courage de dire «NON, nos citoyens sont prioritaires». Il faut au moins repousser le règlement de l’encours d’une période de 12 à 18 mois.
Cette initiative aura-t-elle une chance d’aboutir? Oui
• Ces deux Institutions multilatérales, sont tenues à supprimer entièrement ou partiellement la dette des pays en développement car leur raison d’être est de les assister dans les moments difficiles comme ceux-ci.
• Leur soutien pendant la période d'avant CORONA, était pour que notre économie s’intègre dans une économie Mondiale. La crise que nous vivons est justement due à ce phénomène de Mondialisation.
• Le FMI et la Banque Mondiale s’ils ne soutiennent pas les pays émergents en 2020, ils perdraient toute leur raisons d’être, et toute leur crédibilité internationale. Par conséquent, ils risquent de disparaitre dans les années à venir. Donc en les poussant à l’abandon de la dette, les gouvernements des pays en développement, aideraient le FMI et la Banque Mondiale à justifier leur existence!
• Même sur le plan personnel, les employés et les directeurs de ces institutions, se battraient pour cet abandon: d’abord pour accomplir leur mission noble dont ils sont convaincus, mais aussi, ils le feraient pour préserver leurs institutions et leurs emplois.
Encore faut-il que les gouvernements des pays en de développement soient suffisamment coordonnés pour exiger l’abandon des créances! Notre diplomatie devrait jouer un rôle important dans ce domaine pour rallier les autres pays en développement à cette cause.
Alors, cher Gouvernement, dans ces circonstances, il est difficile de payer en 2020 un seul dinar à ces institutions amies avant de subvenir aux besoins de tous les citoyens tunisiens. Il s’agit surtout des petits métiers qui ont perdu toute source de revenu avec le confinement, et qui n’ont ni épargne, ni carnet blanc, ni carnet de n’importe quelle couleur que se soit.
Ce n’est pas un choix facile pour vous, cher gouvernement, mais c’est un choix pragmatique: Envoyer de l’aide à nos concitoyens fragiles ou leurs envoyer le Virus en les laissant travailler pour subvenir à leurs besoins… Nous sommes confiants que vous ferez le bon choix.
Noomane Fehri
Constituant, ancien ministre