News - 29.03.2020

La distribution pétrolière en Tunisie à l’épreuve du Covid-19 : la régression des ventes commence

La distribution pétrolière en Tunisie à l’épreuve du Covid-19 : la régression des ventes commence

Les stations services sont restées partout ouvertes, malgré les contraintes de la situation actuelle. Au prix d’intenses efforts d’approvisionnement, de logistique et de suivi rigoureux, aucune rupture n’a en effet été enregistrée dans la distribution des produits pétroliers sur l’ensemble du territoire, y compris les aéroports, ports, ports de plaisance et ports de pêche. Il en va de même pour les bouteilles de gaz, malgré le pic hivernal.

Entre difficultés de résilience économique et impératif de réforme, la distribution pétrolière subit -cependant, elle aussi de plein fouet les premiers effets du Covid-19. Les premiers signaux s’expriment à travers régression des ventes de certains produits qui atteint 70% (gasoil ordinaire) et 30% pour l’essence. Aussi, des difficultés de paiement de la part notamment de PME, commencent à poindre à l’horizon.

Cinq opérateurs dont une compagnie nationale assurent la distribution des produits pétrolier. L’ensemble du réseau compte 800 stations, dont la plupart sont de petite taille.Employant près de 15.000 personnes, elles affrontent des risques de difficultés financières, voire de pertes d’exploitation, ce qui susciterait des licenciements massifs. Déjà, elles se trouvent confrontées à la concurrence déloyale du marché parallèle pouvant atteindre jusqu’à 20%.

Comment préserver ce secteur stratégique devant assurer sans discontinuité, jour et nuit et 7 jours sur 7, un service devenu de première nécessité pour les particuliers, les administrations et les entreprises ?

Analyse.
Depuis des décennies, le secteur de l’énergie et de la distribution pétrolière en Tunisie est devenu vital pour tout développement économique et social. En effet, ce secteur assure en permanence la sécurité de l’approvisionnement des produits énergétiques à l’ensemble des consommateurs tout en maitrisant les coûts de production et en optimisant la chaine logistique. Aujourd’hui, et, en ces temps de crise pandémique de codiv19, ce secteur est mis à rude épreuve. Sa résilience dépendra impérativement de la capacité des acteurs institutionnels à engager des réformes urgentes pour assurer sa pérennité et son développement. 

Un secteur structuré, mis aux normes

En Tunisie, et concernant la chaine de valeur des activités pétrolières, le downstream est à considérer comme un secteur hautement stratégique, « d’utilité publique », selon les termes de la loi, car il est en relation directe avec la vie quotidienne des citoyens et des entreprises (mobilité urbaine, services de proximité, transport des marchandises, économie domestique, sécurité et défense, etc.). Ce secteur rend un service de grande qualité à l’économie nationale tout en respectant les standards les plus rigoureux en matière de HSE.
Et, à juste titre, notre pays peut s’enorgueillir d’avoir un secteur de distribution pétrolière structuré et organisé au diapason des standards internationaux. En effet, nous pouvons être fière de la qualité de la réglementation en vigueur notamment la loi n°91-45 du premier juillet 1991 relative aux produits pétroliers et qui régit et organise ce secteur. Ce texte promulgué depuis 30 ans demeure la référence en la matière et le pilier de l’édifice institutionnel du secteur.

Des opérateurs dynamiques

Aussi, et sur un autre plan, nous pouvons être fiers de l’excellence professionnelle des opérateurs publics et privés qui y opèrent. Le marché est composé de cinq opérateurs : un opérateur public leader sur le marché (40%pm) avec une offre marketing exhaustive et 4 opérateurs privés appartenant à des groupes économiques d’envergure internationale qui se partagent le reste du marché (60%pm). Par ailleurs, ce secteur est totalement intégré à l’économie nationale et travaille avec des marges commerciales fixées par l’Etat ne dépassant pas 4% pour les carburants, par exemple.

Le réseau national des stations-services renferme plus de 800 stations, toute marques confondues, est appelé à être ouvert tout au long de la journée et 7J/7j pour rendre service aux citoyens, aux entreprises et aux services de l’Etat. Ce réseau est malheureusement concurrencé par le marché illégal qui engrange entre 10% et 20% de part de marché ; avec tous les dangers de contamination des produits et les risques d’explosion et d’incendie sur la voie publique qu’engendre ces pratiques commerciales illégales et dont les membres des forces de sécurité intérieur (policiers, douaniers, agents de protection civile) sont les premières victimes.

Par ailleurs, une forte pression est exercée sur secteur pendant les périodes de froid pour assurer une continuité d’approvisionnement des produits sociaux (pétrole bleu et bouteilles de gaz domestique) dont dépendent des milliers de foyers, notamment dans les régions intérieures du pays.

Décalage entre une gouvernance administrative et adaptation aux dynamiques du marché

Mais, et à coté de ce tableau, plutôt positif, et de l’avis de tous les professionnels du secteur, le secteur de la distribution pétrolière souffre de lacunes majeures découlant essentiellement du décalage entre une gouvernance administrative (monopole d’importation et prix fixé par l’Etat) et la nécessité d’adaptation aux dynamiques du marché. Un benchmark avec des pays africains montre que la Tunisie est un marché peu attractif avec une moyenne de marge de 3,8% pour une moyenne africaine de 7,5%.

En effet, ce secteur connait une stagnation dans son mode de gouvernance et souffre d’un manque flagrant de transparence au niveau de la détermination du prix à la pompe. Toute personne qui veut comprendre les mécanismes du pricing se trouve désorienté entre le calcul de la manne fiscale (recette budgétaire) et le montant annoncé de la compensationpétrolière (dépense budgétaire). Aussi, nous pensons que la loi n°91-45 du premier juillet 1991 relative aux produits pétroliers a atteint ses limites et nécessite par conséquent une relecture critique et une modernisation à la lumière de l’expérience accumulée depuis trente ans. La réflexion annoncée par M. Mongi Marzoug, ministre de l’Energie, des Mines et de la Transition énergétiques, ces derniers jours, pour une meilleure gouvernance du secteur sont prometteuses et de nature à améliorer son rendement et sa pérennité.

Dans ce sens, Il a annoncé, entre autre, la nécessité de reconstituer les stocks stratégiques et la volonté du gouvernement de revoir les modalités pratiques du mécanisme de révision des prix des produits pétroliers, instauré depuis 2016, afin de le rendre plus efficace et plus fidèle à la courbe d’évolution des prix au niveau international.  

Vers un autre modèle économique plus ouvert sur les bonnes pratiques

Désormais, une nouvelle stratégie plus ambitieuse, plus ouverte et plus libre en terme de réglementation et de gouvernance globale est nécessaire pour sauver ce secteur. Certains pensent qu’il faut franchir le cap du statuquo actuel (secteur administré) vers un autre modèle économique plus ouvert sur les bonnes pratiques et où la concurrence et la transparence sont au service du consommateur final.

L’analogie avec le secteur de la télécommunication est toujours avancée pour dire que ce secteur a besoin de grandes réformes similaires à celles qu’a connues le secteur de la téléphonie et de l’internet.

Sur un autre plan et partant d’une analyse conjoncturelle, en ces temps marqués par la pandémie covid-19 et suite à l’obligation de confinement sanitaire généralisé, le secteur downstream, comme tous les autres secteurs économiques, d’ailleurs, est menacé par une crise aigue qui pourrait mettre à nue sa fragilité économique et à rude épreuve ses capacités de résilience.

La régression des ventes de certains produits atteint 70% (gasoil ordinaire) et 30% pour l’essence. Cette mévente est accompagnée par des difficultés de paiement de la part des clients et notamment les petites et moyennes entreprises. L’emplissage des bouteilles de gaz continu, avec toutes les difficultés logistiques pour acheminer la bouteille à son utilisateur final au fin fond du pays. L’ensemble des stations-service et qui sont en majorité des petites voir très petites entreprises employant environ 15 000 personnes sont aussi menacées, suite à leur perte d’exploitation, par des difficultés financières et par le chômage technique d’une bonne partie du personnel de ces stations. Les ventes de kérosène ont dramatiquement chuté, l’activité aviation est presque à l’arrêt ainsi que l’approvisionnement des ports de pèche et de plaisance.

Développer la mobilité électrique

A notre avis, Il est du devoir des pouvoirs publics d’assurer la viabilité financière de ce secteur en améliorant sa rentabilité financiére et sa pérennité afin qu’il puisse affronter les conséquences fâcheuses de cette crise et continuer son activité dans les meilleures conditions. A cet effet, un ensemble de mesure s’impose :

  • une révision et une modernisation du cadre institutionnel et réglementaire,
  • une revalorisation des marges des sociétés de distribution pour compenser d’une manière équitable leur effort d’investissement,
  • une politique plus conséquente pour lutter contre le marché illégal,
  • un cadre réglementaire plus adapté pour l’importation des produits pétroliers et pourquoi pas penser à libéraliser les opérations de supply, 
  • une revue de l’offre des carburants (phase-out du gasoil soufré, par exemple) et un nivellement par le haut pour développer des carburants de grande qualité qui respectent les normes européennes en matière de motorisation,
  • élaborer et mettre en place un cadre incitatif pour développer la mobilité électrique.

La volonté et l’engagement du nouveau ministre de l’énergie, des mines et de la transition énergétique vers une nouvelle vision du secteur de l’énergie semble être une garantie de la réussite de cette nouvelle perspective.