Mehdi Ben Slama : UTICA, œuvrez pour un Fonds Public-Privé de réhabilitation du service public de base
Monsieur le Président de l’UTICA,
Avec tous mes respects, et sans vouloir remettre en cause votre patriotisme et votre engagement national, mais le ton utilisé lors de vos dernières sorties médiatiques interpelle, surtout dans ce contexte exceptionnel.
Sans prétendre détenir la vérité, il serait très utile en cette période de confinement (et de remise en cause collective) de réexaminer en toute objectivité l’histoire de l’émergence du secteur privé tunisien sur les 60 dernières années. Un tel exercice permettra entre autres de dégager un bilan coût/avantage entre Secteur Privé / Etat pour voir notamment qui des deux parties aurait tiré plus profit de l’autre.
Je ne suis pas spécialiste d’histoire économique, mais il est évident que des facteurs déterminants ont permis à une partie non négligeable des entrepreneurs actuels d’émerger d’une manière significative sans contrepartie notable à l’Etat comparé aux avantages réglementaires octroyés, en particulier si l’on tient compte de :
• l’octroi de rentes et de niches économiques sans véritable mise en concurrence (reprise d’actifs français et d’entreprises coloniales sans mise en concurrence ou dans des conditions peu transparentes –privatisations de certaines entreprises publiques avec un cahier des charges orienté ou sans engagements spécifiques pour le privé - secteurs soumis à autorisations discrétionnaires - barrières d’entrée abusives pour des secteurs niches...).
• le diagnostic neutre fait par des institutions internationales en ce sens est très explicite (UE – BERD...). Inutile de rappeler aussi que cela était l’un des facteurs expliquant l’émergence du « secteur parallèle »;
• l’acquisition du foncier public à des tarifs parfois dérisoires auprès des agences foncières publiques, sans exécution complète des engagements du cahier des charges et avec un coût environnemental significatif dans certaines zones industrielles;
• une partie de la fiscalité détournée par le biais de fonds spécifiques & autres subventions publiques (FOPRODI…), pour plusieurs projets qui n’ont pas dégagé une plus-value réelle pour l’économie nationale;
• des régimes fiscaux complexes (certains, initiés à la demande du secteur privé) et des réformes inachevées qui ont créé un environnement juridico-fiscal instable propice à une optimisation fiscale à outrance…;
• une partie des crédits d’investissement détournée pour un usage personnel par le promoteur privé (il y a de quoi écrire des tonnes en ce sens…), sans oublier les garanties fictives octroyées pour l’accès aux crédits ; inutile aussi de rappeler l’impact de ces pratiques sur le secteur bancaire (recapitalisation de certaines banques de premier plan…);
• des pratiques anticoncurrentielles dans divers secteurs ayant freiné l’investissement et privé ainsi l’Etat d’une dynamique économique et de recettes fiscales supplémentaires.
Sans vouloir diaboliser ou minimiser l’apport du secteur privé tunisien, on aurait aimé voir un Patronat plus conciliant en cette période exceptionnelle jouant son rôle, au moins en tant que force de proposition.
Pourquoi pas une proposition de votre part pour « un Fonds Public-Privé de Réhabilitation du Service Public de Base » cogéré en mode PPP (Partenariat Public-Privé) ...
Cette crise va sans doute démontrer qu’il n’y aura plus de contradiction entre la recherche d’un certain retour sur investissement pour le secteur privé et une meilleure implication de ce dernier, à côté de l’Etat, dans la réhabilitation du Service Public de Base.
Mehdi Ben Slama
Juriste, Enseignant en droit public économique