La pandémie COVID19, la crise mère de toutes les opportunités ?!
Alors que le peuple Tunisien se confine, se replie sur soi-même et courbe le dos pour laisser passer la tempête, à l’instar des autres peuples de ce monde, il y a lieu à prendre son mal en patience et à se demander chacun de son côté : comment fructifier ce contretemps pour être paré à rebondir, une fois que cette calamité eut été maîtrisée?
Des pensées les plus diverses nous bousculent et nous poussent à méditer et à faire le tri de ce qui est essentiel de ce qui est futile, tellement notre esprit est fragilisé par la prise de conscience de la légèreté de notre existence, face à un infime bout de code génétique baptisé SARS-CoV-2, venu des confins du « no man’s land » des virus, situé sur la frontière entre le royaume du vivant et celui de l’inerte.
Les têtes les plus éclairées de notre espèce humaine, s’accordent que l’histoire sera désormais écrite en Nième Anno Domini avant ou après la pandémie COVID19. Cette lame de fond qui est entrain de nous envahir et de nous submerger, provoquera sans aucun doute, des chambardements profonds dans tous les domaines et à tous les niveaux. Des bouleversements/changements radicaux d’ordres spirituel, culturel, sociétal, politique et économique seront à l’ordre du jour de l’ère post-corona et changeront inéluctablement la face de notre monde.
Que se soit à l’échelle personnelle, familiale, communautaire, nationale ou même à l’échelle de toute l’humanité, les crises sont des occasions imposées, qui nous contraignent à appuyer fermement sur la pédale de frein afin de s’offrir un temps d’arrêt et ce pour faire une rétrospective, réfléchir sur le fondamental, se remettre en cause, se questionner sur ses manquements pour enfin prendre des bonnes résolutions, conçues pour nous rendre plus sages, plus avisés, plus performants, plus adaptés, plus forts …, bref à faire des sauts quantiques pour devenir des êtres meilleurs.
Les anthropologues expliquent le développement de la civilisation occidentale (européenne) par une sélection multidimensionnelle (génétique, intellectuelle, culturelle, sociale, etc.), engendrée en particulier par les conditions climatiques du grand froid, qui s’abattait sur ces contrées nordiques et constituait une crise récurrente, posant à chaque fois de nouvelles menaces existentielles et poussant les individus et les communautés à mieux s’organiser, à bien gérer, à optimiser avec doigté, à développer des méthodes organisationnelles de plus en plus élaborées et des moyens technologiques de plus en plus avancés, pour pouvoir faire face aux défis ou à défaut de disparaître à jamais dans le permafrost. En agissant en permanence sur l’instinct de survie, la nature aurait poussé les occidentaux à se développer en permanence pour régner enfin de compte en maître sur notre planète terre.
Les crises nous posent donc des nouveaux défis mais elles sont aussi intimement liées à l’émergence de nouvelles opportunités. Ces dernières ne seront saisies que par ceux qui auraient compris les signes de temps et qui seraient capables de réfléchir et d’agir hors des sentiers battus, tout en se libérant des carcans qu’on s’impose nous-mêmes ou qui nous sont imposés. Les esprits doivent donc foisonner en chœur pour analyser, diagnostiquer, solutionner, planifier et projeter. Les réseaux sociaux devraient désormais fonctionner en plein régime non pas pour s’insulter mutuellement mais plutôt pour discuter des vraies aberrations qui nous tracassent et qui nous rendent si vulnérables. Des synergies citoyennes devraient voir le jour pour apporter des solutions à nos problèmes réels et lancer des projets pour les mettre en œuvre en vue d’améliorer notre quotidien et mettre les fondements d’un futur meilleur.
L’une des conséquences majeures de la pandémie, serait sans aucun doute la mise en cause de la mondialisation et des constellations politico-économiques qui s’en suivirent. Le grand malaise dans l’Union Européenne à cause du manque de solidarité, décrié surtout par l’Italie et l’Espagne à l’adresse des autres pays membres, a fait raviver les tensions qui ont été suscitées auparavant par la grande crise financière de la Grèce en 2009 et le Brexit en 2019. L’UE laissera des plumes et ne sera plus jamais ce qu’elle était à l’ère pré-corona, il n’est même pas sûr qu’elle survivra à cette épreuve du moins pas dans sa forme actuelle. Les USA sont aussi en passe de perdre leur position hégémonique et leur leadership planétaire, idem pour le Dollar qui trébuchera sous les effets du Blizzard de la grande crise économique et financière, qui s’annonce désastreuse et qui éclipsera la crise des « subprimes » de 2007/8. Le billet vert sera à terme détrôné entant que monnaie mondiale de référence. La Chine et la Russie sortiront gagnantes et réconfortées de la guerre hybride (coronienne, économique, pétrolière, …) qui leur a été imposée par une hyper-puissance avec à sa tête un fouteur de trouble notoire, entouré de conseillers pyromanes de la trempe d’un John Bolton ou Peter Navarro et elles mettront, à côté d’autres puissances émergentes, les fondements d’un nouveau ordre mondial multipolaire.
Ces bouleversements majeurs ne se passeront pas dans l’harmonie et la concorde et certainement pas sous la houlette du conseil de sécurité de l’ONU. Dans un monde armé jusqu’aux dents, où les établis vont défendre becs et ongles leurs intérêts, hérités d’une autre époque contre les nouveaux venus, il faut s’attendre à ce que les guerres par procuration imposés jusqu’ici aux petits (Syrie, Libye, Yémen, etc.) se transforment en guerres à visage découvert entre les titans (USA, Europe, Chine, Russie, etc.). Une fois arrivé à ce stade alors ont pourrait tous dire bonjour aux gros bobos. Le conflit à couteaux tirés entre le populiste Trump et l’establishment de son pays (dont a vu l’une des révélations les plus flagrantes dans la procédure avortée de sa destitution), le poussera probablement à fuir vers l’avant en expédiant ses problèmes internes vers l’extérieur par le biais de guerres provoquées. Dans une ultime escalation, les adversaires jurés pourraient recourir aux solutions extrêmes et il n’est pas exclu qu’on assistera à une fin tragique de celui qui aurait réussi à foutre la pagaille dans le monde entier. Les observateurs s’étonnaient de voir les américains, en pleine crise de pandémie, faire la queue devant les vendeurs d’armes à feu au lieu des vendeurs de détergents et désinfectants. Ils ne sont pas tous trompé d’adresse et ils doivent certainement avoir leurs raisons pour agir de la sorte, quelque chose d’apocalyptique se tramerait au pays de l’oncle Sam et on ne tardera, le cas échéant, à nous en rendre compte. Une fois que le glas de l’effondrement de la « Pax Americana » et de son ordre mondial eut sonné, on assistera à la grande ruée pour le partage de son héritage et cela engendrera des risques mais aussi des chances. Seuls ceux qui seront préparés pour ce moment historique, seront en mesure d’en profiter et pourront ainsi garantir leurs parts du gâteau. Les autres resteront sur leur faim, comme nous l’étions pendant ses longs derniers siècles et n’auront d’autres choix que de subir les nouvelles règles du jeu.
La refonte de l’ordre mondial redistribuera les cartes et nous donnera une chance inouïe de nous libérer de l’emprise des forces de la période postcoloniale, qui réduisaient notre champ d’action et entravaient notre essor et notre développement, bref qui limitaient substantiellement notre souveraineté de décision et d’action et écrasaient les meilleurs parmi nous dans le seul but de ménager les intérêts du centre. Cette libération mettra à nu l’élite politico-économique, intronisée depuis notre indépendance (peut-être bien avant) et investi de la seule mission d’éterniser le statu-quo de notre sous-développement, qui arrange tellement nos détracteurs. Nous aurons alors l’ultime chance de nous débarrasser de ses élites au solde de nos colonisateurs, devenues obsolètes et de faire immerger de nouvelles élites au service exclusif des intérêts de notre patrie.
Pour réunir les éléments de réussite de cette nouvelle élite, dans son immense tâche de nous guider à bon port, il faut impérativement repenser le rôle de l’action et de l’organisation syndicales, héritées elles aussi de l’ère coloniale et piégées aujourd’hui encore dans les tourmentes de la lutte révolue des classes. Depuis l’avènement de la révolution, on a assisté dans l’impuissance générale, à une situation surréelle, qui consistait à financer des augmentations salariales par des crédits étrangers tout en diminuant la productivité et en frappant en plein cœur le moral de travail collectif à coup de dizaines de milliers de grèves, ce qui revenait à financer de l’inflation par une dette publique extérieure de plus en plus désastreuse, à vrai dire un réel massacre économique. Il nous faut plus que jamais et sans délai développer un nouveau pacte social, axé sur le développement de notre pays et élaborer une formule plus intelligente, qui permet de créer d’abord des richesses avant de les partager équitablement, sans pour autant avoir recours à leur destruction par des grèves. Désormais les managers et les ingénieurs devraient régner en maîtres sur les entreprises productrices et non les Caïds syndicaux, qui font aujourd’hui à volonté le bon et le mauvais temps sur les lieux de travail.
La pandémie et la fin de la mondialisation mettront à mal deux piliers essentiels de notre économie, à savoir le tourisme balnéaire et les industries manufacturières exportatrices à faible valeur ajoutée, sur lesquels on a misé jusqu’ici. Vendre à petit prix les plages ensoleillées et la main d’œuvre bon marché, ne seront plus des alternatives valables et viables pour un nouveau modèle de développement, qui mérite bien son nom. La crise nous obligera alors bon gré mal gré, à faire dans la douleur les bons choix qui s’imposent.
La Chine cessera d’être l’usine de la planète car l’Occident aurait bien compris qu’il lui faut diversifier ses sources d’approvisionnement et ne plus mettre ses œufs dans un seul panier pour éviter la rupture de sa chaine logistique pendant les périodes des crises, qui toucheraient l’empire du milieu. La difficulté de se ravitailler en ustensiles et moyens de protection sanitaire en pleine crise pandémique, qui a frappé la Chine en premier pour envahir par la suite le reste du monde, était une dure leçon qui ne risque pas de se faire oublier pour si tôt. Ceci ouvrira des opportunités insoupçonnées pour industrialiser notre pays, vu son emplacement stratégique et sa proximité de l’Europe.
La crise actuelle nous a littéralement ouvert les yeux et nous a farouchement recommandé les axes de développement prioritaires sur lesquels il faudrait miser pour gagner en résilience et être en mesure de relever les paris des prochaines crises. Sans pour autant avoir la prétention d’être exhaustif, je citerai la santé, l’agriculture/l’eau, l’énergie, le numérique, l’industrie et l’enseignement/éducation. D’abord, il faut insister à ce que la santé et l’enseignement redeviennent la chasse gardée de l’état et qu’ils ne restent plus dans une logique du business mercantile, exception faite pour les cas qui n’entravent pas le développement et l’intérêt du peuple, comme pour l’export de ces services (tourisme médical, universités internationales, etc.). La pandémie nous démontré sans équivoque aucun, qu’il ne peut exister de santé individuelle sans la préservation de la santé publique. En outre, il serait d’une importance capitale pour notre pays, que la compétence et le mérite et non pas la capacité de nuisance et les privilèges redeviennent les seuls critères de l’ascension sociale. L’enseignement est la fabrique de la compétence alors que l’éducation est la fabrique du mérite.
La clé de voute pour la reconstruction de notre Tunisie serait sans doute un enseignement moderne, appliqué, axé sur les vrais besoins du développement intégral de notre pays et intimement lié à l’éducation, pour nous permettre d’insuffler aux nouvelles générations, les vraies valeurs édificatrices des nations et des civilisations. L’autosuffisance nationale en denrées alimentaires devrait être un souci de premier ordre, car il est tout à fait inacceptable que le grenier de l’empire romain de jadis, reste dans l’incapacité de se nourrir au 21éme siècle. Mieux encore, il nous faudrait aussi cultiver l’esprit de l’autosuffisance individuelle en alimentation et en énergie. Le rêve d’un peuple autosuffisant et donc autodéterminé, où on trouverait dans chaque maison un puits/réservoir collecteur des eaux pluviales, un potager, un poulailler, un capteur solaire (photovoltaïque et thermique) et même un digesteur pour produire du biogaz à partir des déchets ménagers, n’est pas une chimère mais un projet tout à fait réalisable. Le retard impardonnable dans le développement des énergies renouvelables, imposé pendant de longues années, juste pour protéger des monopoles et des privilèges, a finit par saigner les finances publiques et à mettre à mal notre sécurité énergétique et par voie de conséquence notre sécurité national tout court. Le développement du solaire à concentration CSP pour le dessalement de l’eau de mer devrait lui aussi être remis sur la table.
L’utilité et l’urgence de numériser l’administration, le travail et l’enseignement à distance, s’est fait douloureusement ressentir lors du confinement général, décrété en haut lieu pour endiguer la propagation du coronavirus. Cette numérisation qui tarde à venir, nous permettra non seulement de nous faciliter la vie, de rationaliser les processus de travail, d’optimiser les ressources, d’accélérer notre développement et de combattre la corruption mais surtout de développer une industrie TIC nationale, qui aujourd’hui, encore à l’état embryonnaire, participe au PIB autant que le secteur du tourisme, tenu seulement en vie à coup d’investissements faramineux dans l’infrastructure mais aussi de subventions et de dédommagements payés de l’argent du contribuable (voir la faillite de Thomas Cook).
Le projet de production des masques de protection et des machines de ventilation artificielle, initié par des étudiants ingénieurs et médecins, afin de préserver la santé du staff médical et pour couvrir un tant soit peu le manque flagrant en stations de réanimation dans nos hôpitaux, nous a certes tous enchanté mais cela nous a surtout ouvert les yeux sur l’importance d’être capables de produire ce dont on a besoin, surtout pendant les périodes de crise. Nous devons impérativement développer nos capacités aussi bien de recherches appliquées et de développement que de production pour édifier une économie productrice, industrialisée et à haute valeur ajoutée, axée sur la couverture des besoins des axes de développement prioritaires précités mais aussi sur les impératifs de notre repositionnement dans les chaines de valeurs mondiaux, dont les rôles ne tarderont plus à être redistribuées.
On dit que développement est le résultat de toutes les bonnes décisions et que le sous-développement est le résultat de toutes les mauvaises décisions, apprenons donc pour l’amour de notre patrie à prendre les bonnes décisions.
Ing. Msc. Chokri Aslouj
Président du Conseil des Sciences de l’Ingénieur
Le think-tank de l’Ordre des Ingénieurs Tunisiens