Mohamed Larbi Bouguerra - Covid-19: La solution hydroalcoolique est à notre portée en Tunisie
En se lançant dans la production de respirateurs, les élèves ingénieurs de Sousse donnent un bel exemple… qui doit inspirer leurs camarades des écoles de génie chimique et des facultés.
Il s’agit de préparer la solution hydroalcoolique pour désinfecter les mains et stopper la propagation de Covid-19. Ce qui n’enlève rien à l’intérêt du lavage des mains, à l’eau et au savon, qui reste la solution la plus efficace car la membrane lipidique du virus ne résiste pas à la tension superficielle exercée par le savon.
Plus pratique en absence d’eau, la solution hydroalcoolique désinfectante se compose pour un litre de solution: d’eau distillée (ou bouillie et refroidie), d’alcool éthylique à 96° ou éthanol (833,3ml), d’eau oxygénée à 3% (41,7ml) et de glycérine (glycérol) (14,5ml).
La pandémie a révélé les promesses fallacieuses de la mondialisation et la faillite de l’économie financiarisée qui met au second plan l’humain. C’est pourquoi fabriquer ces trois molécules serait un bon moyen d’essayer d’assurer l’indépendance du pays sur quelques spécialités pharmaceutiques.
Aucun de ces trois produits n’est très difficile à préparer quand ils se font rares sur le marché.
Ainsi, face à la pandémie, beaucoup de distilleries de gin ou de whisky se sont mise à produire de l’alcool éthylique à 96°. C’est le cas de Listoke Distillery en Irlande ainsi que de nombreux petits distillateurs aux Etats Unis. Il en est de même en Grande Bretagne où la firme Psycopomp & Circumstance Distillery qui produit du gin et du rhum utilise ses alambics maintenant pour fournir de l’éthanol pour solution hydroalcoolique.
Des parfumeurs se sont pareillement converti pour fournir de l’éthanol à l’instar de la firme Firmenich qui a transformé la production de son usine de la Plaine en Suisse, tout comme LVMH - appartenant à la société de luxe Louis Vuitton - qui utilise trois de ses unités en France pour fournir «des quantités substantielles» d’alcool gratuitement à l’Etat. (Chemical & Engineering News, organe officiel de l’American Chemical Society, 23 mars 2020, p. 12)
En Tunisie, un célèbre alcool fort titre 36° alcoolique. Il serait intéressant de voir si on ne pourrait pas pousser la distillation à 96°, même si à l’heure actuelle, les figues sont absentes. Mais d’autres végétaux fermentescibles (pomme de terre, orge, betterave…) pourraient y suppléer.
Nos parfumeurs de Sfax et d’ailleurs pourraient donner d’excellents conseils même si souvent ils se procurent l’éthanol sur le marché.
Reste la réaction de saponification qui produit du glycérol quand on fait agir la soude sur des graisses (comme par exemple la fitoura de l’huile d’olive)**. Toutes les savonneries du pays produisent ce trialcool, généralement rejeté dans leurs eaux usées. Dans les années 1960, des essais ont été menés à la savonnerie Zouila de Mahdia mais quel que soit le corps gras utilisé (végétal ou animal), la saponification donne du glycérol qu’on peut récupérer en traitant par le chlorure de sodium, le sel de cuisine de nos salines.
Quant à l’eau oxygénée (à 3 ou à 10%), si on ne la trouve pas en pharmacie, nos étudiants chimistes pourraient en obtenir par électrolyse de l’acide sulfurique ou par la méthode classique à l’anthraquinone (qui est recyclable).
Après des essais en unités pilotes, nos jeunes pourraient permettre aller plus loin pour répondre aux besoins du pays et nous fournir ces «home made chemicals».
Il va de soi que toutes ces réactions sont l’affaire des chimistes travaillant avec les précautions d’usage et le matériel adéquat.
Les étudiants de Sousse ont montré la voie. A leurs camarades de chimie de suivre la voie ainsi tracée.
Dans cette guerre contre la pandémie, notre Tunisie a besoin de toutes les compétences et tous les dons de ses filles et de ses garçons.
Mohamed Larbi Bouguerra
** Pendant la 2ème Guerre mondiale, la Tunisie a beaucoup souffert du typhus transmis par le pou. Le savon était une denrée très rare. De nombreuses familles ont échappé à la maladie parce que les femmes ont fait du savon en faisant bouillir très longtemps des mélanges de fitoura ou de dourdi d’huile d’olive avec de la cendre (basique comme la soude). A cette époque, le savon et la glycérine -pour fabriquer les explosifs- étaient des produits stratégiques.