Dr Sofiane Zribi - La peur sans forme, ou ce que l'épidémie réveille en nous
Le combat de l’homme disait Freud, c’est la gestion perpétuelle de ses pulsions de vie et ses pulsions de mort, qui marchent toujours au pas, en contiguïté, sans que jamais la sécurité ne lève la peur de la menace ou que le plaisir de vivre ne lève la peur d’en mourir. La tyrannie du désir le pousse à vivre l’illusion de l’éternité que vite tempère la fragilité du corps matériel, où il habite.
Guerres et épidémies
Il y a encore deux cents ans, ce qui faisait le plus peur à l’humain, c’était l’épidémie et la guerre. Toutes deux pourvoyeuses de mort et de désolation. L’histoire, à côté des guerres sanglantes qui peuplent ses récits, rapporte toujours les souvenirs atroces d’épidémies qui ont ravagées les continents : variole, peste, typhus, fièvre jaune… et plus proche de nous grippe espagnole et Sida.
A titre de rappel, la grippe espagnole qui a surtout sévit aux Etats-Unis d'Amérique et en Europe, a fait au décours de la première guerre mondiale, selon l’Institut Pasteur entre 50 et 100 millions de morts et dont une variante du virus qui l’a provoquée H1N1 est encore active aujourd’hui.
Mais jamais une épidémie n’a pris une allure aussi globale touchant les humains de manière indiscriminée et à l’expansion aussi rapide. Désormais, l’humanité fait face toute entière à un même danger et subit le même sort.
Sciences, modernité et religions
L’homme moderne, en misant tout sur la science et l’universalité des valeurs humaines, s’est cru définitivement à l’abri des conflits armés et de la maladie. Ou du moins, il se plait à le croire !
Nous savons tous qu’il n’en n’est rien ! L’homme n’a jamais cessé d’être belliqueux et les budgets colossaux des armées de tous les pays sont là pour témoigner que la diplomatie n’est qu’une facette pour tempérer le gout du sang. La médecine moderne, de son côté, loin de libérer l’homme de la fatalité de la mort, n’a fait qu’en retarder l’échéance sans exaucer son rêve d’immortalité !
En réalité, l’homme est par nature croyant. Pascal Boyer, dans son excellent ouvrage « Et l’homme créa les Dieux » montre bien que le processus de croyance est immanent à la pensée humaine, qui a besoin d’un référentiel explicatif, pour pouvoir déployer son intelligence.
Durant des millénaires, ce référentiel était fourni par les religions.
L’homme post moderne qui croit au pouvoir de la science et à la force de la démocratie s’est petit à petit débarrassé du poids de la croyance mystique pour la remplacer par la quête scientifique. Son monde est 100% matériel et la société est gérée par des lois sur lesquelles il a une influence.
L’homme post moderne vénère la science comme ses aïeux vénéraient les Dieux
Il croit en ses pouvoirs et ses miracles de la même manière que l’indous croit aux pouvoirs de Bouddha ou le chrétien à celui des prêtres.
Les sociétés religieuses classiques peinent à peser face à la force déferlante des sociétés matérialistes et face à l'intelligence qu'elles produisent.
Ce séisme social à l'échelle de l'univers est acclamé par certains mais fortement refusé par d'autres surtout ceux qui n'arrivent pas à prendre pied dans le train du savoir et la science ni à pouvoir ou vouloir en partager les valeurs démocratiques et de droit.
Le combat des moines bouddhistes, des ultras, juifs, chrétiens ou musulmans ; chacun à sa manière et à son niveau de violence ; traduit la profonde anxiété existentielle du religieux face à cette mutation implacable de son univers.
Le scientifique a pris pied sur le mystique dans notre inconscient
Ce qui se passe chez nous aujourd’hui avec la pandémie du coronavirus montre à quel point le scientifique a pris pied sur le mystique dans notre inconscient et combien la science avec ses lois et ses chiffres est devenue de fait la gestionnaire de notre existence.
Désormais nous suivons les courbes de progression de la pandémie, on apprend ce qu’est une exponentielle et une suite géométrique, on dissèque les erreurs et les succès de chaque pays, on guette la fabrication d’un vaccin ou le succès d’un essai avec tel ou tel médicament.
Les frontières de race ou de religion ont soudain disparu, on acclame les chinois, on blâme les italiens, on scrute l’expérience des Français et on se moque du « poils de carotte américain »
Même notre ministre de la Santé, pourtant membre de premier plan d’un parti religieux a mis le langage de prêche islamique habituel dans sa poche comme si soudain un consensus universel s’est dégagé par le miracle de la pandémie : c’est à la science et à elle seule que revient la gestion de la vie de l’humain.
Les mosquées comme les églises sentent bien le souffle du boulet. Les victimes seront nombreuses mais ça ne seraient pas uniquement celles à qui on pense !
Les mosquées comme les églises privées de fidèles sentent bien le souffle du boulet qui déferle. En Italie, les églises ne cessent de faire sonner leurs clochers, chez nous les mosquées à diffuser par hauts parleurs des Douaa.
Il semble bien qu’après cette épidémie, où le pouvoir des blouses blanches s’est affermi d’une manière considérable et avec eux celui de la science dans l’esprit de l’humain, rien ne sera plus comme avant. Les victimes seront nombreuses, pas en seulement en nombre de mort qu’on souhaite le plus bas possible, mais les vraies autres victimes ne sont pas celles qu’on suppose : Pour commencer : Les sociétés gérées sur un mode purement capitaliste où la croissance à tout va est une religion et le productivisme une règle, qui négligent les points de rupture de la terre et ses capacités d’autorégulation, vont subir un sérieux démenti et leur idéologie pointée globalement du doigt !
Donald Trump a de vraies raisons de s’inquiéter pour son avenir politique, tous ses arguments tombent à l’eau face aux millions d’américains confinés chez eux, désespérés de voir la machine productiviste s’enrayer et déboussolés par un système de santé élitistes qui laisse le virus s’attaquer aux plus faibles appelant de leurs vœux le retour du Medicare d’OBAMA. Il est tout à parier que de même l’Europe tout entière va basculer en faveur des partis écologiques et vers un modèle sociétal encore plus solidaire et humain.
Conséquence et non la moindre, les besoins en gaz et en pétrole vont progressivement diminuer, ce qui va affoler et affaiblir beaucoup de pays comme la Russie ou les pays du Golfe et les précipiter dans une crise financière grave annonciatrice de changements profonds et radicaux.
Même la Chine, où le pouvoir en place essaye de camoufler ses lacunes en début d’épidémie n’en sortira pas indemne, sauf que ce pouvoir a eu l’intelligence de se parer depuis belle lurette du matérialisme scientifique.
Et pour nous ?
Pour nous, cette pandémie sonnera le glas des partis religieux, et provoquera une période d’incertitude pour faire apparaitre une ou deux forces politiques modérées et modernes en phase avec les changements que les autres parties du monde vont avoir à vivre.
Ceci ne veut pas dire comme le supposait Francis Fukayama, la perte du sentiment religieux, bien au contraire, le sentiment religieux restera fort sur un plan individuel mais perdra de sa force sur un plan sociétal, politique ou universel.
L’humanité va subir une psychothérapie de groupe
Les humains, seront plus tolérants les uns avec les autres ayant eu à affronter un ennemi commun. Les liens entre les peuples seront plus fort et il est probable qu’à l’échelle individuelle la question raciale deviendra mineure.
Par la grâce du Covid-19, les humains vont subir une psychothérapie de groupe et évoluer sur le plan collectif, affectif et cognitif. C’est une évolution globale à l’échelle de cette pandémie globale. Il y aura un avant et un après Coronavirus. L’après j’en suis sûr sera ben meilleur que l’avant.
Dr Sofiane Zribi