News - 20.03.2020

Mohamed Salah Ben Ammar: Un seul système de sante pour tous

Mohamed Salah Ben Ammar: Un seul système de sante pour tous

Le 17 décembre que Dr Zhang Jixian, un médecin du Hubei Provincial Hospital of Integrated Chinese and Western Medicine, informe les autorités d’une simple pneumonie atypique… l’épidémie serait partie d’un patient le 10 décembre… Depuis elle est devenue mondiale.

Avant toute chose disons qu’il nous faut imposer des normes internationalement reconnues et à commencer par un confinement complet de 14 jours pour tous. Nous avons trop tardé.

Un tsunami sanitaire et économique traverse le monde. Plus rien ne sera comme avant. Le pire est peut-être devant nous. Des systèmes de santé déjà incapables de répondre aux besoins quotidiens, particulièrement dans notre continent, vont être totalement désorganisés.

C’est la plus grande crise que le monde ait connue depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Elle a mis à nu les failles de nos modes de vie, de nos systèmes politiques, de nos infrastructures et de nos moyens de production et de distribution. Elle souligne douloureusement les inégalités qui existent dans nos sociétés et entre les pays. Une mondialisation sauvage, menée à la hussarde depuis 30 ans a accrues ces injustices. Des plans d’ajustement structurel imposés par les financeurs internationaux ont détruits des systèmes sanitaires et éducatifs déjà fragiles. La marchandisation de la santé, de l’éducation, de la culture… a enrichi les riches et appauvri les pauvres. Ont été oubliés au passage la solidarité, le social, le développement durable. Le monde commence à réaliser à quel point cette approche a été malsaine même pour les plus riches et c’est ce qui est intéressant. Enfin cette crise n’est rien comparée aux drames écologiques qui nous attendent. Dans nos sociétés devenues consommatrices à crédit les effets du Covid 19 ne seront rien comparés aux catastrophes écologiques prévues. Pour le malheur des générations futur ces drames se dérouleront sur 50 ans ou plus. Des pays et des villes entières disparaitront, mais c’est déjà un autre sujet.

Pour mieux comprendre ce qui se passe chez nous aujourd’hui il nous faut revenir sur les 3 ou 4 dernières décennies.

Pour avoir exercé plus de 35 ans dans les hôpitaux publics, j’ai été témoin de la dégradation progressive des conditions de travail et de la paupérisation de toutes les catégories de soignants. Une lente descente aux enfers qui a commencé aux alentours des années 80. Dans notre pays des années durant nos dirigeants sont restés insensibles aux cris de détresse des blouses blanches. En l’absence de démocratie, seule l’éloge était permis. Même la réflexion devait être orientée vers la glorification de la vision du chef. Evidemment la confiance du peuple envers le système a été totalement minée. L’état de notre système de santé était devenu dramatique. Cette descente aux enfers de notre système a été voulue ! La santé était devenue une valeur marchande. Les hôpitaux étaient des zones où n’allaient que les pauvres et les démunis. Rares étaient les hommes politiques qui se soignaient à l’hôpital public. En 30 ans je me souviens de quelques, très rares exemples, comme feu Si Dali Jazi paix à son âme. Dire que dans les années 80 Bourguiba se faisait soigner à la Rabta !

Dans les années 90 quelques structures privées et l’hôpital militaire ont commencé à jouer le rôle de soupape pour les plus aisés. Les puissants, les riches, ceux dont la voix pouvait être entendue y étaient soignés, naturellement ils étaient plein d’éloges pour notre médecine. Cela induisait une fausse impression de sécurité sanitaire lourde de conséquences. Le meilleur médecin au monde a besoin d’un minimum de moyens pour bien exercer son art. Les efforts faits depuis 2011 n’arrivent pas encore à redresser la barre et de profondes réformes seront nécessaires, manque de chance nous avons raté le précèdent quinquennat !

Le lecteur ne réalise peut-être pas dans quelles conditions travaillent les blouses blanches. Notre quotidien est fait d’une lutte contre l’inertie administrative et le manque de moyens les plus élémentaires. Tout est problématique. Je ne décrirais pas ici les conditions de vie à l’hôpital des jeunes médecins qui y passent parfois 70 ou 80 heures par semaine en tout cas dans les spécialités où il y a beaucoup de gardes.

Pour ne citer qu’un l’exemple qui est d’actualité, celui de la réanimation. Je me souviens d’un ministre de la santé resté en place 11 ans et dont le principal souci était la bonne humeur de Ben Ali, on avait beau lui expliquer que le pays manquait de lits de réanimation, que des citoyens mourraient fautes de moyens, il tournait à la dérision nos demandes. Des années durant nous avons tout essayé, toutes nos demandes restaient lettres mortes. Aujourd’hui dans l’urgence on réalise que notre pays ne dispose pas d’assez de lits de réanimation pour gérer des situations normales. Il nous en faut au moins 4 fois plus pour faire face à une éventuelle progression de l’épidémie. Cela ne peut pas se mettre en place en un mois ou deux. Cet exemple pourrait être décliné sous toutes les formes et pour toutes les spécialités.

L’idiogramme crise en chinois, wei ji, signifie à la fois « danger » et « point de basculement ». Seules les personnes intelligentes savent saisir les opportunités après une crise. Le basculement vers un autre système de santé est nécessaire en démocratie. Cette crise nous donne des leçons qui j’espère seront retenues.

Elle met en valeur l’importance de la couverture médicale universelle. Elle doit être réelle et effective, elle doit tendre à briser les barrières que certains ont érigées entre les modes d’exercice. Un seul système de santé pour tous avec des composantes, privé, public, militaire peu importe. Il en est ainsi dans les pays qui respectent leurs citoyens, Allemagne, France, Grande Bretagne, Canada etc. La médecine de ville n’est pas synonyme de privé. L’hospitalo-centrisme est la maladie infantile des systèmes de santé immatures, c’est une vision dépassée de la santé. Nous avons plus de 2000 de centres de soins de base sur tout le territoire, ils sont encore sous exploités. Leurs horaires d’ouverture ne correspondent pas aux réels besoins de la population. Le privé et le public devraient travailler en complémentarité et en fonction des besoins des citoyens.

L’accès à des soins de proximité doit être garanti à tous et 24/24 7/7 même en dehors des structures hospitalières.

Cette crise nous apprend qu’un système de santé ne peut pas être fait d’ilots séparés, c’est un tout dont toutes les composantes se complètent. Les politiques menées jusqu’à présent ont générés des médecines à plusieurs vitesses. L’absence d’un accès équitable à la santé pour tous est une Injustice.

C’est à l’occasion des crises que l’on réalise à quel point le métier de soignant est noble. Dans les moments importants de l’histoire de l’humanité le comportement du personnel médical et non médical, auquel j’ai l’honneur d’appartenir depuis plus de 40 ans, a toujours été remarquable. Ce nouvel épisode de notre histoire prouve si besoin est que la confiance accordée par la société aux blouses blanches n’est pas usurpée, mais autre chose est de dire, autre chose est de faire ! Cette crise nous rappelle donc combien il est important pour une communauté d’avoir un système de santé de qualité. Qui dit système, dit ressources humaines, matérielles, infrastructures car un savoir-faire seul aussi perfectionné soit-il ne suffit pas. La reconnaissance de la charge de travail et de la lourde responsabilité qui incombe aux blouses blanches doit se traduire autrement que par des paroles.

Cette crise nous apprend aussi que la médecine de ville et la médecine hospitalière sont des piliers indissociables. Nous avons trop souvent confondu santé et hôpital et donc négligé la médecine de ville. Construire des hôpitaux à tout-va, est anachronique. Encore aujourd’hui la solution de facilité pour les politiques est de promettre de construire des hôpitaux, pire, ils le font sur le modèle des années 80. Or tout a changé depuis, la médecine, le mode de vie, les moyens de communications et les pathologies. C’est probablement parce qu’ils perçoivent encore l’hôpital comme le lieu où l’ont prend en charge les plus démunis, qu’il est fait pour soigner les malades insolvables qu’ils foncent la tête la première dans cette voie trompeuse. Ce faisant ils creusent encore les écarts entre une médecine libérale qui a su s’adapter aux nouveaux besoins et un système public à la traîne. La médecine privée qui repose sur une logique concurrentielle, cherche légitimement à donner d’elle une image de qualité, d’efficacité et de prise en charge individualisée.

La société comme l’individu ne réalise à quel point sa santé est précieuse que lorsqu’il commence à la perdre. La bonne santé de notre société dépend de la place que nous voulons lui donner. Elle n’a pas de prix, elle a un cout qu’il faudra accepter de lui consacrer les moyens nécessaires. Cette crise nous le démontre.

Dr Mohamed Salah Ben Ammar

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1 Commentaire
Les Commentaires
Touhami Bennour - 20-03-2020 17:08

Je suis d´accord, Monsieur, pour une medecine pour tous; comme l´eau potable et sans danger pour l´homme. L´eau en plus les gens dans laquelle sont égaux. Ainsi devrait être le travail pour la santé.

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