COVID-19 en Tunisie : Un peu de recul pour mieux avancer!
Par Rihab Gamaoun, Ph.D. en Sciences Pharmaceutiques, spécialisation épidémiologie et santé préventive. Une épidémie est une propagation rapide de maladies infectieuses à un grand nombre de personnes dans une population donnée sur une courte période de temps. Au cours de l'évolution de toute épidémie majeure, le nombre de cas détectés, et éventuellement de décès, augmenteront inévitablement. Mais ce qui risque de s’amplifier encore plus rapidement que la transmission du virus lui-même, c’est le phénomène d’infodémie tel qu’identifié par l’OMS, se traduisant par la diffusion rapide d'informations de toutes sortes, y compris des rumeurs et des informations peu fiables. Cette infodémie peut être une véritable source de stress et d’anxiété pour la communauté comme pour les intervenants, et de sabotage du travail de coordination à grande échelle dans un temps où le mot d’ordre devrait être: organisation, organisation et organisation!
Face l’infodémie, le devoir de la communication
Dans le cadre de toute épidémie, notamment celle de virus à fort potentiel de transmission, chaque jour compte pour sauver des vies! Ceci accentue d’avantage l’importance de contrôler rapidement et efficacement ces flux d’informations, notamment en bâtissant une relation de confiance entre les intervenants et la communauté visée. Ce lien ne pourra être établi que grâce à une communication transparente, régulière et soutenue du monitoring et des chiffres de la phase actuelle, mais également des projections et des détails de préparation pour une gestion efficace de la phase suivante, notamment celle de l’amplification qui est la phase la plus redoutée.
Seule cette communication bidirectionnelle, dynamique et évolutive à mesure que l'épidémie se développe va pouvoir épargner à la communauté des niveaux de stress et autres complications qui parfois s’avèreront plus menaçant que le virus lui-même. Un peu dans la même logique de l’approche «patient empowering», ce lien de confiance va également contribuer à la responsabilisation de la communauté du rôle clé et majeur qu’elle va devoir jouer dans le ralentissement de la propagation du virus par le devoir de la distanciation sociale à travers des gestes clairs, simples, rappelés à répétition, tout en lui évitant de chavirer dans la paranoïa. Cet engagement à l’unisson entre responsables, intervenants et communauté est une condition sine qua none de “l’aplatissement” de la courbe de transmission; en d’autres termes la diminution de son pic et la limitation du nombre maximal de cas à prendre en charge pendant un même lapse de temps.
Attention à la stigmatisation dangereuse
Les éclosions de maladies s'accompagnent souvent de la présence dans la communauté d’interprétations ou de raccourcis parfois trompeurs qu’il est impératif de détecter et de corriger sans délai pour une meilleure mitigation du risque. A titre d’exemple, la concentration pendant la phase d’introduction du virus sur les cas ‘importés’ peut laisser entendre qu’ils présentent la seule source du virus, alors qu’il est entendu que plus le temps passe plus le nombre de cas de contamination intra-communauté va de loin dépasser celui des cas ‘importés’. Ceci peut donner un faux sentiment de sécurité et un certain relâchement des mesures de prévention au sein de la communauté dans le cas par exemple de la fermeture des frontières. Il est aussi impératif de combattre la stigmatisation sociale des cas réels et potentiels au risque de voir des gens potentiellement porteurs s’autocensurer de la déclaration de leurs symptômes de peur se voir refuser certains de leurs droits les plus fondamentaux.
Que disent les chiffres d’aujourd’hui de la situation de demain
Face à l’incertain et l’inconnu, il est naturel de vouloir retrouver un certain sens du contrôle sur la situation. C’est pourquoi nous avons recours à des méthodes statistiques afin de mieux appréhender des phénomènes probabilistes. Il est bien vrai qu’en usant de certains modèles prédictifs, il nous est aujourd’hui permis d’approximer relativement bien l’étendue d’une crise sanitaire future, mais il faut aussi rappeler l’existence possible de plusieurs facteurs non identifiés ou non contrôlés qui peuvent avoir le potentiel de biaiser significativement nos résultats. Partant de ce fait, et loin du désir de gonfler le nombre réel des cas incidents, une lecture conservatrice de nos estimations ne peut que nous permettre de mieux se préparer et ne pas épuiser rapidement les moyens matériels et humains mobilisés pour la phase d’amplification. En d’autres termes, espérons le meilleur mais préparons-nous au pire!
Faisons de l’épreuve une opportunité
La pandémie COVID-19 sera certainement une épreuve pour le monde entier, mais il dépendra de la volonté de chaque pays de transformer cette épreuve en tremplin. La Tunisie à son tour peut saisir cette opportunité pour réévaluer les vraies limites et lacunes de son système de santé face à une crise sanitaire, et d’y identifier les moyens d’y remédier. C’est aussi une occasion pour réaliser l’importance vitale de certains corps professionnels, notamment médical, dont malheureusement les conditions de formations et de travail ont été mises à rude épreuve durant la dernière décennie, et son impact direct sur et l’accès et la qualité des soins. Mais les leçons à tirer ne s’arrêteront pas à au système de la santé, elles pourraient également celui de l’enseignement, le secteur bancaire et autre secteur qui aujourd’hui se voient leurs fonctionnements entravés par le devoir impératif de la distanciation sociale dans un temps où paradoxalement les nouvelles technologies sont largement diffuses et utilisées en Tunisie. A méditer!
Il va sans dire également que le devoir de la distanciation sociale et les différents principes de prévention, quand ils sont pratiqués intelligemment, sont une excellente opportunité pour le rappel et la mise en pratiques des principes d’hygiène de manière générale au sein de la communauté et dans son environnement physique.
Mot de la fin, il n’en tiendra qu’à nous Tunisiens de nous forcer à réfléchir, innover et nous améliorer afin de pouvoir naviguer la pandémie COVID-19 et ses conséquences directes et indirectes, autant sanitaires, sociales qu’économiques.
Rihab Gamaoun
Ph.D. en Sciences Pharmaceutiques, spécialisation épidémiologie et santé préventive