Samia Kassab - Témoigner de notre diversité culturelle: un devoir national
La commémoration du 90ème anniversaire de la disparition de la chanteuse et comédienne judéo-tunisienne Habiba Msika, ce dimanche 23 février à Testour, s’est déroulée comme une fête de la culture. En présence de personnalités intellectuelles, d’étudiants et de jeunes élèves, la manifestation a débuté par la projection du film de Selma Baccar, consacré à la vie de Habiba Msika «La Danse du feu», avant de réunir l’ensemble des convives autour d’un bon repas dans la ville de Testour, puis d’un partage festif en hommage à l’artiste disparue.
L’événement était d’importance, non seulement parce qu’il marque la nécessité de nous réunir autour de notre patrimoine tunisien, matériel et immatériel, mais aussi parce qu’il coïncide avec une renaissance de Testour. Car en effet, particulièrement depuis quelques années grâce à l’action conjuguée d’associations citoyennes et de programmes de coopération judicieux (comme celui du Goethe-Institut), d’un maire dynamique et courageux, Mohamed Mensi, du président de l’Association de Sauvegarde de la Médina de Testour, Rachid Soussi, ainsi que de tous les amoureux de la ville, celle-ci a vu sa rue principale s’animer, la petite place centrale s’ouvrir aux exposantes et exposants qui viennent y vendre les produits du terroir, les vieux lieux de culte et de culture revivre. Comme si elle reprenait confiance en elle, après une longue période de latence et même d’oubli, Testour se retrouve aujourd’hui porteuse des enjeux capitaux auxquels la Tunisie doit faire face. Car outre qu’elle nous oblige à soulever la question d’une agriculture intensive menacée par trop d’industrialisation et de traitements chimiques massifs, et celle de l’épuisement des sols dans cette région si fertile, Testour est un point de rencontre des cultures et un exemple rayonnant de la richesse culturelle de notre pays.
Pourtant, il en est malheureusement de la culture comme de l’agriculture: appauvrie car réduite à une uniformité de surface que dément pourtant notre histoire millénaire, la culture lutte en ce lieu pour préserver sa biodiversité, pour la prémunir et la pérenniser. C’est ainsi qu’il s’est trouvé des esprits chagrins, et surtout ignorants, pour stigmatiser l’événement du 23 février et procéder aux amalgames habituels en lançant des invectives sur Facebook, eu égard à la confession juive de Habiba Msika. Ceux qui sont de Testour, ont des parents ou grands-parents ayant vécu là durant ce XXe siècle passé, connaissent parfaitement la profondeur de la culture de la tolérance qui y est implantée et sont conscients, comme d’une responsabilité nationale et pas uniquement régionale, de l’importance de faire valoir la multiplicité et la variété des propositions culturelles et intellectuelles qui se sont déployées sur ce site magnifique où Musulmans et Juifs vivaient ensemble, et dont témoigne l’architecture même et les détails exceptionnels, pour cette culture de la tolérance, du minaret de la Grande Mosquée. Eux peuvent faire comprendre à ceux dont le sentiment national est en souffrance, et dont l’estime de soi est si faible qu’ils sont offusqués par la remémoration d’une chanteuse disparue depuis 90 ans, que dans un monde menacé par une mondialisation qui homogénéise et lamine tout, il est pour nous un devoir patriotique de témoigner de ces cultures et de les perpétuer. Sans doute cette démarche est-elle bien plus efficace que les cris au loup pour rehausser la particularité tunisienne et porter haut notre méditerranéité locale. Pour que Testour ne soit pas un cliché de plus dans l’arsenal des images d’Epinal mais un fleuron subtil et un symbole de ce que la Tunisie a réussi dans le monde arabo-musulman.
Samia Kassab