La mort de Jean Daniel, le journaliste, l’écrivain et l’ami de Bourguiba
Jean Daniel est décédé mercredi à Paris à l’âge de Bourguiba. « Un siècle finit. Un nouveau siècle commence » confie à Leaders son ami de longue date Guy Sitbon. Une amitié née à Tunis, lorsque Jean Daniel était venu en 1961, couvrir pour l’Express, l’actualité algérienne (le FLN était alors basé à Tunis) et tunisienne, témoin directe de la guerre de Bizerte en juillet 1961 où il était gravement blessé avec Béchir Ben Yahmed et d'autres confrères, alors que Sitbon était correspondant du journal Le Monde. Il connaissait déjà Bourguiba. Franck Nouchi rapporte dans l’excellent hommage posthume qu’il lui rend sur Le Monde cette rencontre, restée historique. « Fait la connaissance, à Paris, de Bourguiba. Houleux : « Vous voulez donc que ce soit un pays exsangue et décapité de ses élites qui obtienne l’indépendance ? Vous voulez donc toujours vous mêler de nos affaires, la droite pour nous exploiter, la gauche pour nous donner des leçons ? Qu’estce vous connaissez de nous ? (…) Vous savez ce qu’ils sont, ces hommes de gauche, eh bien, moi, Bourguiba, je vais vous le dire, ce sont des impérialistes idéologiques ! ‘’ Ce mot, Jean Daniel s’en souviendra toute sa vie. »
Fidèle en amitié, Jean Daniel gardera contact avec Bourguiba. Jusqu’à ces derniers jours à Monastir, après sa déposition le 7 novembre 1987. Il demandera à Ben Ali de l’autoriser à aller le voir et « arrachera » cette autorisation. Leurs retrouvailles seront-elles aussi historiques. Mohamed Ali Mahjoub avait rapporté dans Leaders les détails de cette rencontre. « Jean Daniel en obtint l’autorisation, avec date et heure fixés pour un rendez vous à Monastir, lieu de la résidence de Bourguiba. Il arriva donc à l’heure convenue et fut reçu par le gouverneur, geôlier officiel du président, qui l’introduisit auprès de Bourguiba, et s’assit lui-même pour assister à l’entretien, comme Jean Daniel en a été prévenu.
L’entretien a duré 20 minutes durant lesquelles le visiteur et le Président n’ont pu échanger que quelques banalités. Puis le gouverneur se leva signifiant ainsi la fin de l’entretien. Jean Daniel fit de même et se préparait à prendre congé du Président quand ce dernier lui fit signe de l’accompagner jusqu’à la porte de la résidence, parcours, que le Président utilisa pour chuchoter à l’oreille de Jean Daniel une adresse parisienne, rue de l'estrapade.
Sur le chemin de retour vers Tunis, puis en avion au retour vers Paris, Jean Daniel essaya de percer le mystère de cette adresse. Arrivé dans la capitale Française, Jean Daniel se précipita vers l’adresse, il y trouva une librairie où l’on ne vendait que des livres d’histoire et où officiaient un couple – sans doute un mari et sa femme – qui, à la question du journaliste, répondaient ne pas connaître, ni de près ni de loin, Bourguiba.
Un peu désorienté, Jean Daniel se préparait à quitter les lieux quand son regard fut attiré par un tableau célèbre représentant Victor Hugo, exilé à l’époque à Guernesey. Et Jean Daniel a soudain tout compris « Je suis prisonnier de ce monstre Ben Ali, et je le suis illégalement. Dites-le à tout le monde SVP ! ». Mais Jean Daniel, à raison n’en fit rien : Mitterrand informé par ce dernier, s’y opposa.
"Spécialiste et acteur du moyen-orient" Jean Daniel, amis de Camus, proche de Mendès, puis de Mitterand, exercait un véritable magistère sur la gauche en France et dans le monde et la sphère intellectuelle. Du Nouvel Observateur, il avait fait le forum d'une pensée avant-gardiste, libre et indépendante.
Ces liens avec la Tunisie resteront toujours forts. Après la mort de Bourguiba, il entretiendra comme une relique du bourguibisme, son amitié avec Béji Caïd Essabsi qui aimait à le revoir à Tunis et à Paris.N’ayant pu assister aux Journées de Tunis qu’organisait L’Obs en juin 2015, il avait tenu à adresser « une déclaration de fidélité à la Tunisie », dans une belle expression d’amitié, reprise par Leaders.
Dans une interview exclusive accordée à Samy Ghorbal pour Leaders, le 16 mars 2016, il est revenu longuement sur l’indépendance, Bourguiba, Ben Youssef et Mendès France. Un document qui garde toute son actualité.
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