Opinions - 12.02.2020

Mohamed Salah Ben Ammar: Fin du jeu de bonneteau

Mohamed Salah Ben Ammar: Fin du jeu de bonneteau

Arrive le moment où se taire revient à trahir. Nous y sommes. Plusieurs personnes crédibles, l’ont dit et redit, le pays est en danger comme il ne l’a jamais été.

Trop c’est trop. Partis politiques sans âmes, crées pour satisfaire l’égo d’un individu, financements occultes d’une campagne électorale totalement faussée, programmes électoraux inexistants ou fantaisistes, candidatures saugrenues ou révoltantes…ont totalement sidérée la société civile et le citoyen lambda ne se sent plus concerné par la vie politique du pays, pourtant !

Pourtant, aujourd’hui le pays subit de plein fouet les conséquences d’une transition qui a trop duré (2011-2015) et d’un quinquennat raté (2015-2019), marqué par le conflit entre un président qui n’a pas admis la constitution et un chef de gouvernement qui n’avait aucune légitimité électorale. Il était impossible dans ces conditions de faire la moindre réforme sérieuse. La politique ultra-libérale des gouvernements de droite a ruiné l’économie. Les régions oubliées ont vu les écarts se creuser. L’enrichissement indécent d’une infime minorité, qui a mis la main sur l’économie du pays, a rendu encore plus révoltante la paupérisation de toutes les classes sociales, notamment les familles de jeunes chômeurs diplômés. « On n’y arrive plus » est le mot qui revient le plus souvent dans la bouche de nos concitoyens.

Dans ces conditions, il ne faut pas chercher bien loin les sources de l’explosion de l’insécurité. Braquages, attaques à main armées sont devenus quotidiens. La fameuse lutte contre la corruption, slogan électoral plus qu’un programme structuré, a fait long feu, pire nous avons eu l’effet inverse, la corruption s’est généralisée, institutionnalisée même. Pour celui qui doit payer les factures à la fin de chaque mois, donner des bakchichs pour accéder à ses droits élémentaires comme la santé ou l’éducation de ses enfants, tendre la main devient vital. Dépressions et tentatives de suicides, consommations de drogues, immigrations illégales sont désormais des maux qui touchent toutes les régions et toutes les couches sociales.

Cette situation bien sombre ne semble pas gêner nos politiciens outre mesure, ils paradent comme si de rien n’était sur les plateaux télévisés dans de beaux costumes, pour… nous faire l’exégèse de leurs différends. Quels sont leurs idées, où sont leurs programmes ? Nul ne le sait vraiment, les problèmes de personnes sont plus importants que les projets. Le courage n’est pas ce qui les distingue. Comme dans un jeu de bonneteau, ils montrent une carte et en jouent une autre.

Les mêmes qui s’étaient engagés en 2012 à assurer une transition de un an, ont ensuite dirigé le pays mais en arrière-plan, aujourd’hui ils veulent nous refaire le coup pour les cinq prochaines années. Leur objectif est de fixer progressivement le pays dans un schéma de société qui est le leur. Ennahdha, parti de droite dure dont l’idéologie propose une interprétation achevée du monde, à partir d’une seule et unique clé censée ouvrir toutes les portes comme le dit Hanna Arendt, a été la colonne vertébrale des différents gouvernements Chahed, qui s’accommodait bien avec ces orientations libérales. Mais comme au jeu de bonneteau on ne distingue plus le rouge du noir, ce qui est sûr c’est que la politique libérale conduite depuis cinq ans a creusé les écarts entre les riches et les pauvres.

Autre constat, on nous a vendu la stabilité gouvernementale mais en changeant 17 ministres et en guise de stabilité depuis le mois de juillet, soit 8 mois, nous n’avons plus de fait de gouvernement. Nous avons eu l’intérim de M. Kamel Morjane, puis les démissions successives et les limogeages des ministres. On continue toutefois à caser les copains dans les hautes fonctions. Ces incertitudes ont créé une ambiance angoissante pour le milieu des affaires et dans le secteur financier. Le pays est comme un bateau ivre, ceci nous a fait beaucoup de tort en politique étrangère notamment mais pas seulement. Rien n’était trop beau pour satisfaire les ambitions d’un ovni nommé Chahed.

Aujourd’hui les alliés d’hier, les chantres de la stabilité, s’entredéchirent non pas sur des sujets socio-économiques mais sur les problèmes de personnes.

Sinon comment interpréter le fait qu’Ennahdha ait envoyé au casse-pipe un homme respectable, Mr Habib Jemliy, mais à qui on a bien pris le soin de savonner la planche ? Tahya désavoué par les électeurs se rapprochant de Qalb, son ennemi juré pour faire chuter le projet de gouvernement, c’est du grand art mais trois mois de perdus pour un pays en crise. C’était disent-ils pour contrer Ennahdha mais… il y a actuellement 11 ministres Ennahdha dans le gouvernement ??? Et voilà que, quelques jours plus tard, Ennhadha conditionne son soutien au gouvernement à la présence de Qualb ? Que s’est-il passé ?

Hier au cours d’un monologue paranoïde télévisé, le président de Tahya Tounès a déclaré la guerre, à Ennahdha et à l’UGTT! Etait-ce pour plaire au président de la république ou en prévision des prochaines élections anticipées ? Difficile de se retrouver dans cette mêlée, mais il y a sûrement un perdant, le pays.

Clairement nos politiciens se sont coupés de la population, ils ne réalisent plus à quel point ils se sont décrédibilisés à l’intérieur et à l’extérieur du pays.

Les alliances éphémères contre nature entre des partis que tout oppose sont dangereuses. Elles ne permettent pas de conduire une politique courageuse. Les ministères fonctionnent en silos et le pays en paye les conséquences.

C’est parce que la situation générée par les élections est compliquée que nous devons respecter un minimum de logique. Quelles orientations donner à la politique du gouvernement ? Le choix porté sur une personne sans soutien parlementaire est une prise de risque importante à mon sens, mais dans ses déclarations d’intention j’ai eu l’impression que M. Elyes Fakhfakh était sincère. Il s’est engagé pour une justice sociale et une politique de redistribution équitable des richesses. Cette clarté nous a manqué, comment va-t-il réaliser son programme avec des alliés non fiables ? Le risque de voir son gouvernement tomber ou pris en otage par ses dangereux alliés, qu’ils soient islamistes, populistes ou politiciens à la journée, est grand. Car ceux qui changent d’alliances tous les 15 jours n’auront qu’une idée en tête, le faire tomber dès que le vent leur sera favorable et repartir pour de nouvelles élections.

La gravité de la situation du pays et de la région nous impose une vraie stabilité politique avec une équipe soudée autour d’un projet et certainement pas un ramassis d’opportunistes de tous horizons. Comment trouvera-t-il sa majorité  sans perdre son âme? C’est la mission impossible d’Elyes Fakhfakh.

Dr Mohamed Salah Ben Ammar

«Précisons-le d’emblée: Dr Mohamed Salah Ben Ammar n’est ni candidat, ni proposé à aucun poste dans le prochain gouvernement ou hors du gouvernement.»
 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Oulmanne - 12-02-2020 16:12

On lit souvent dans vos colonnes et celles de certains de vos confrères des analyses de la situation pertinentes. Ceux qui en sont les auteurs sont réalistes et doués de beaucoup de bon sens. Mais comment se fait-il donc que le Bilan de près de dix ans de gestion des affaires de l’état soit si désastreux? Il faut peut-être chercher la réponse à cette question dans un système politique inadapté aux spécificités du pays. Il ne suffit pas de hisser l’étendard de la démocratie pour rêver d’un avenir heureux et du mieux viré ensemble. N’ayons pas peur des mots: l’exercice du pouvoir et celui de son contrôle doivent être exercés par les meilleurs des citoyens et citoyennes du pays, en clair par des élites reconnues pour leurs compétences, leur honnêteté, leur courage et leur engagement totalement désintéressé. Rien d’utopique dans tout cela car des hommes et des femmes de valeur sont nombreux dans ce pays.

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