L’Europe se prosterne devant l’apartheid israélien (Gideon Lévy)
L’Europe s’est foutue dans un sacré pétrin- et le nouveau chef de la politique étrangère de l’Union Européenne a laissé salir sa réputation. En osant seulement avertir Israël au sujet de l’annexion de territoire, Josep Borrell a immédiatement ouvert les portes de l’enfer. Le porte-parole du Ministère israélien des Affaires Etrangères a déclaré que Borrell s’est exprimé à ce sujet « quelques heures seulement après des rencontres en Iran », comme si cela signifiait que le responsable européen était en réalité un agent à la solde Téhéran. Le porte-parole a ensuite émis à l’intention de l’Europe la plus redoutable des menaces: «Choisir cette attitude est le plus sûr moyen de donner à l’Europe un rôle minimal dans tout processus diplomatique.»
L’Europe est perdue. Israël fera la paix en se passant d’elle. Demain matin.
Comme de bien entendu, Israel Hayom(1) joua sa partition dans cet acte de propagande en rappelant au ministre espagnol qu’il a été un volontaire sur le kibboutz Galon il y 50 ans de cela… suggérant qu’il soit déclaré persona non grata. Ce qui veut dire: «Borrell, vous pouvez dire adieu à votre carrière». C’est ainsi que sera traité tout homme qui ose s’exprimer contre l’impudent mépris affiché par Israël à l’endroit de la loi internationale.
Mais la menaçante offensive dirigée contre Borrell- si typique de la démocratie israélienne des dernières années qui fustige quiconque s’aventure à murmurer un mot de critique contre elle-vise en réalité un tigre de papier. Israël, ce héros qui terrasse les faibles, sait que l’UE est une souris qui rugit et a appris à l’ignorer. Benyamin Netanyahou a dit une fois, en privé, en pointant l’Europe Occidentale sur une carte et en riant sous cape: «Voilà le seul endroit au monde où nous avons un problème.» Le reste du monde est dans sa poche.
Netanyahou a raison. L’UE est vraiment un tigre de papier comparativement à Israël du fait de sa structure paralysante, à cause de la vague droitière de ses membres et parce qu’elle jette les armes face au chantage émotionnel qu’exercent sur elle Israël et le lobby juif. C’est ce qui arrive quand on passe des années à essayer de se débarrasser du sentiment de culpabilité, à entrer dans les bonnes grâces d’Israël par la flatterie, l’aide et la compréhension et à l’inclure dans l’Eurovision et le football européen. C’est ce qui arrive quand on se contente de déclarations de condamnation creuses et qu’on n’envisage jamais de prendre des mesures substantielles.
Borrell émit une pâle menace quand il affirma que l’annexion ne passera pas sans contestation. Mais l’annexion se fera sans contestation. En silence. Le silence assourdissant de l’Europe. On peut compter sur les amis de l’occupation dans l’UE, on peut compter sur ces phares de la démocratie et des droits humains que sont la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie et la République tchèque. On peut compter sur le sentiment de culpabilité de l’Allemagne, sur la haine des musulmans, sur les pressions qu’exerceront les Etats Unis.
Le lobby juif européen a déjà imposé le silence à l’Europe en criminalisant toute opposition à l’occupation et en en faisant l’équivalent de l’antisémitisme. L’Europe a déjà cédé à cette cynique manœuvre. Et c’est au plan d’annexion de Trump qu’elle doit encore céder maintenant. Une condamnation ou deux encore et tout redeviendra normal avec Israël, le chéri auquel tout est permis.
Détruire des équipements et des structures au profit des Palestiniens qui ont coûté des millions d’euros à l’UE ? Faites comme bon vous semble. Ignorer les décisions de l’UE? Bienvenue en Israël! Des sanctions? C’est seulement pour la faible Russie qui a envahi la Crimée pas pour la superpuissance qui a envahi la Cisjordanie et qui l’occupe pour de bon sans subir la moindre punition.
Si l’Europe veut vraiment exercer son influence, elle doit se débarrasser de l’idée qu’il faut parler gentiment avec Israël et d’essayer d’user aussi de la persuasion avec lui. L’Europe a essayé tout cela en vain des décennies durant. Europe, le temps de l’action est venu! Ou tu imposes des sanctions ou bien tu soutiens l’occupation. Epargne-nous seulement désormais tes déclarations pieuses mais vides de sens.
L’heure de regarder la réalité en face est venue pour l’Europe: la solution a deux Etats est perdue. Elle devrait demander à ses ambassadeurs à Ramallah à quoi ressemble la Cisjordanie maintenant et quelles sont les chances pour faire partir les centaines de milliers de colons qui ont mis la main dessus. Si l’Europe veut exercer de l’influence, elle doit adopter une manière nouvelle, révolutionnaire de discuter; une manière qui parle de droits égaux pour tous. Continuer à répéter «deux Etats» et faire le dos rond en tremblant devant les menaces d’Israël est le moyen le plus sûr d’assurer le triomphe de l’apartheid. Et l’Europe en sera un partenaire à part entière(2).
Haaretz du 6 février 2020
Traduit de l’anglais par Mohamed Larbi Bouguerra
(1)Israël Hayom est un journal gratuit très proche de Netanyahou, propriété du magnat des casinos Sheldon Adelson et placé sous la direction de sa femme Miriam.Adelson a contribué très fortement à la campagne électorale de Donald Trump (100 millions de dollars) pour son soutien à Israël. (Note du traducteur)
(2)37 anciens premiers ministres, ministres des Affaires Etrangères et autres ex-dirigeants de divers pays membres de l’UE avaient adressé, dès avril dernier, à l’UE une mise en garde publique contre toute tentative de s’inscrire dans la logique du plan Trump dont on connaissait déjà les grandes lignes (Lettre du 15 avril 2019 à Federica Mogherini).
Francis Wurtz, ancien député européen, relève avec ironie qu’Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France a dit trouver «extraordinairement curieux» le positionnement de Paris face au «document unilatéral» de Trump, dans lequel «une grande puissance, à la manière des empires de jadis, offre un morceau de territoire à un vassal pour qu’il en fasse ce que bon lui semble» (France Inter le 29 janvier 2020)(Lire L’Humanité-Dimanche, 6-12 février 2020, p. 20). (Note du traducteur)