Mohamed Meddeb: Crise libyenne, et si la Tunisie présentait sa propre initiative!
Ce dimanche, 19 janvier 2020, l’Allemagne abritera une importante réunion portant sur la crise libyenne. La Tunisie, officielle et populaire, très étonnée et déçue de ne pas figurer parmi les invités à ce rendez-vous international qui, pense-t-on nous concerne en premier chef, se demande encore sur les raisons de cette mise à l’écart. A cet égard, quelques précisions et rappels en matière de relations internationales s’imposent.
Sont généralement invitées à de telle réunion, les parties jugées, par leurs statures diplomatiques, politiques, capacités économiques, militaires ou autres, jugées en mesure d’impacter sur le cours des évènements objet de la rencontre, ceux-là auront alors la latitude de suggérer et au besoin d’imposer les approches et les compromis à considérer. Naturellement, ces rencontres sont aussi pour les conviés, l’occasion de défendre leurs intérêts nationaux respectifs en rapport avec l’objet de ces réunions. Par contre, les pays qui n’arrivent pas à s’imposer en tant qu’acteurs incontournables, même les victimes les plus touchées par les retombées de la problématique examinée, risquent fort d’être peu considérées si non, tout simplement ignorés. Bref, pour être convié à une quelconque rencontre et avoir l’occasion de défendre ses intérêts nationaux, il y a lieu de s’imposer, de se faire en quelque sorte incontournable, soit par ses capacités de puissance et à défaut par une diplomatie proactive et intelligente, ce qui semble ne pas être le cas de notre pays, du moins pour les organisateurs de la conférence du 19 janvier à Berlin.
En outre, il faut reconnaitre qu’à ce stade de la crise libyenne, la diplomatie tunisienne semble ne pas réussir à se faire percevoir par les parrains de cette réunion, suffisamment déterminante quant à la résolution pacifique de cette crise.
En effet, cette diplomatie tunisienne souffre lourdement de la situation politique très instable et confuse dans le pays, depuis juin 2019 avec le début des préparatifs des élections et la disparition subite du Président de la République, feu Bèji Caid Essebsi. Malheureusement, même l’achèvement des élections et l’annonce de leurs résultats n’ont rien arrangé, jusqu’à ce jour, la diplomatie tunisienne, qui n’a ni Chef ni adresse, brille par son balbutiement frappant et les conséquences sur le pays ne se sont pas faits attendre.
Les choses étant ce qu’elles sont, l’important reste de tirer les enseignements qui s’imposent et que la diplomatie tunisienne reprenne son dynamisme et se fasse incontournable dans la résolution de cette crise libyenne.
Comment ? Que faire ? Voici une modeste suggestion
D’abord, concernant la crise libyenne, il y a lieu de préciser ce qui suit:
• Nonobstant l’embargo onusien sur les livraisons d’armes à la Libye instauré depuis 2011 (Résol. Nr 1970) et récemment renouvelé pour un an (Résol. Nr 2473 du 11juin 2018), les parties libyennes en conflit continuent à bénéficier de soutien extérieur militaire en fonds, armes, experts militaires et mercenaires même. Ce sont ces soutiens militaires qui entretiennent, au fait, chez les différents belligérants libyens l’espoir de remporter la bataille militairement et réaliser leur objectif politique final, s’emparer du pouvoir dans le pays. Seulement, jusque-là aucun des belligérants n’a bénéficié d’un soutien suffisamment conséquent lui permettant de changer clairement les rapports de forces en sa faveur et d’en découdre, d’où un conflit sans fin de très faible intensité qui s’éternise aux dépens des libyens et de ses voisins dont notamment la Tunisie. D’ailleurs, rien n’exclut que cela soit le résultat d’une politique délibérée de la part des pays fournisseurs d’armes aux belligérants libyens, perpétuer suffisamment longtemps le conflit armé pour laisser la Libye s’auto-détruire et les libyens s’entretuer jusqu’à épuisement matériel et moral total, ce qui permet à ces puissances régionales et mondiales d’imposer plus facilement leurs dictats aux frères ennemis libyens épuisés, tout en assurant leurs intérêts respectifs, le cas de l’Irak est bien édifiant et ne sera certainement pas le dernier !
• A mon humble avis et ferme conviction, les parties libyennes en conflit, ne se donneront jamais sérieusement à des négociations pacifiques et concéder les compromis, parfois douloureux mais nécessaires, pour sortir de cette crise, tant qu’elles sont soutenues de l’extérieur, financièrement et surtout militairement, en armes et mercenaires. D’où, la nécessité d’œuvrer d’abord pour arrêter réellement et définitivement les soutiens militaires enregistrés, avant d’engager toute démarche et négociations pacifiques sérieuses.
Et puisque la Tunisie est depuis quelque temps, membre non permanent au Conseil de Sécurité onusien, pourquoi n’entreprendrait-elle pas une initiative avec objectif d’engager la Communité Internationale, lire les pays bailleurs de fonds et fournisseurs d’armes, dans une démarche aboutissant à l’arrêt définitif et réel, de tout soutien militaire étranger à toutes les parties belligérantes libyennes ? Cela nécessite une nouvelle résolution renforçant l’embargo sur les armes, déjà en vigueur, sur toute la Libye et instaurant aussi des sanctions à l’égard des pays qui se hasardent à enfreindre les résolutions onusiennes. Le contrôle du strict respect d’une telle décision onusienne, pourrait être confié à une commission ad-hoc déployée sur le territoire libyen même et faisant partie de la Représentation Onusienne dans ce pays.
Faut-il noter que, déjà, de nombreuses organisations humanitaires ainsi que des parties officielles poussent l’ONU à agir dans ce sens, ce qui ne fera que faciliter la tâche à la diplomatie tunisienne et renforcer une telle initiative d’arrêt total de livraisons d’armes aux parties libyennes en conflit.
La Tunisie peut très bien présenter cette initiative en tant que victime principale de la prolifération des armes en Libye et dans la région sahélo-saharienne, en mettant en exergue les quantités d’armes qu’elle continue à dénicher dans le pays et provenant de cette région. Une telle initiative est de nature à non seulement contribuer à réaliser la condition, sine qua none, à la résolution pacifique de la crise libyenne, mais aussi permet à notre pays de regagner la place qui lui revient sur la scène internationale, un pays qui, sans s’immiscer dans les affaires intérieures des autres pays, ne cesse d’œuvrer pour la paix dans la région et dans le monde tout en protégeant ses intérêts vitaux légitimes dans la région, une réelle dynamique pour la paix et la prospérité des peuples, dans le respect total de la légalité internationale. Ne sont-ils pas là les nobles fondements et objectifs de notre diplomatie nationale ?
- Que Dieu garde la Tunisie –
Gl de Brigade (r) Mohamed Meddeb
Armée Nationale
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