Opinions - 15.01.2020

Ridha Bergaoui: Travail et leadership

Ridha Bergaoui: Travail et leadership

Depuis exactement neuf ans, notre pays connait une crise économique de plus en plus aigüe ainsi qu’une véritable crise politique qui affectent la vie quotidienne de nos concitoyens ainsi que leur moral et leur état psychologique. Complètement déçus, les jeunes ne savent quoi faire. Ils ne trouvent pas le travail qu’ils espèrent et passent leurs journées à trainer dans les cafés. Certains se jettent dangereusement en mer pour essayer d’atteindre l’autre rive où il fera probablement meilleur, d’autres deviennent des trafiquants ou  des délinquants. Notre seule issue c’est avoir des décideurs éclairés qui élaborent des politiques et des stratégies correctes menant à la croissance économique, la création de richesses et la relance de l’emploi. Travailler plus et encore plus dur est normalement la solution à la crise encore faut-il créer de l’emploi pour tous ces chômeurs (environ 600 000 dont 200 000 de diplômés du supérieur). Ceux qui ont la chance de travailler, surtout dans le secteur public, se plaignent des mauvaises conditions de transport et de travail et surtout du salaire relativement bas (malgré des augmentations consistantes ces dernières année) et la destruction de leur pouvoir d’achat. Pour eux le travail leur permet d’avoir juste une rente pour survivre et subvenir aux besoins de leur famille. 

Dans les pays développés les problèmes sont autres. Le chômage est relativement faible et certaines entreprises peinent à trouver le personnel dont elles ont besoin. Par ailleurs afin d’attirer des cadres intéressants ces entreprises offrent certains avantages pour les retenir et profiter de leurs compétences afin d’améliorer la productivité et la rentabilité de l’entreprise.

Travailler moins mais plus efficacement

Il y a quelques jours les medias ont rapporté une information concernant la Finlande dont la Première Ministre, la toute jeune Sanna Marin, allait annoncer l’instauration de la semaine de quatre jours de travail au lieu de cinq (avec six heures de travail par jour en passant ainsi de quarante heures par semaine (5x8) à seulement vingt quatre heures) sans toucher au salaire des gens et sans aucun recrutement complémentaire. L’idée c’est qu’en réduisant le temps de travail, l’employé consacrerait plus de temps à sa famille, l’éducation de ses enfants et les loisirs. Il pourra ainsi atteindre un meilleur équilibre vie professionnelle/vie privée et sera plus efficace au travail ce qui permet de rattraper le manque de temps consacré au travail.  Quoique cette information séduise beaucoup de monde, elle s’est révélée fausse et la première Ministre Finlandaise n’a pas l’intention de réduire le temps de travail des Finlandais. Toutefois cette idée a été testée par certaines multinationales dont l’agence Microsoft du Japon, qui compte 2300 employés, au mois d’Aout 2019. L’expérience a été couronnée de succès et Microsoft a constaté que son personnel était plus heureux et plus épanoui au travail ce qui a entrainé une amélioration de la productivité et des performances. Elle a également entrainé une importante économie d’électricité et de photocopies. Cette réduction du temps de travail permet à l’employé d’être plus équilibré, plus serein et donc plus efficace au travail. L’employé travaille mieux, ne perd pas de temps, il travaille intelligemment. Cette idée de réduction du temps de travail ne fait pourtant pas l’unanimité et plusieurs pensent que la croissance et le développement passe par plus de travail, un travail plus dur.

Equilibre vie professionnelle/vie privée

De nos jours, notre rythme de vie a complètement changé et la plupart des gens se plaignent du manque de temps. On est soumis à de plus en plus de contraintes à l’origine de stress. Ces stress nous fragilisent, nous épuisent et nous rendent malades. On ne va pas au travail ou on n’est pas productif au travail et l’entreprise va en pâtir. Notre organisme n’est pas la batterie qu’on charge le weekend et qu’on épuise au travail au cours de la semaine. La vie familiale est normalement source d’équilibre et de bonheur, elle représente un précieux soutien et refuge pour l’individu. Si on néglige la vie familiale au profit de la vie professionnelle on risque de perdre notre équilibre et notre efficacité. C’est pour cette raison que l’entreprise moderne s’intéresse au bien-être de ses employés et fait tout pour qu’ils soient épanouis. L’employé va au travail motivé et plein de volonté de plein gré  et digne. « Il n’y a pas de dignité du travail que dans le travail librement accepté » disait Albert Camus. Le secret d’un bon manager c’est  de veiller à l‘épanouissement de ses collaborateurs et l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale.

Le  chef d’entreprise ou même l’employé qui se tue au travail avec le risque de dépression et de «burn out » et délaisse sa famille n’est pas le bon exemple, celui qui ne fout rien au travail non plus d’ailleurs. Ce qui compte ce n’est pas tellement la présence physique au travail et le nombre d’heures passés  mais surtout l’efficacité au travail. Ce n’est pas la quantité qui compte mais plutôt la qualité. Pour les étudiants, futurs acteurs économiques, savoir travailler intelligemment doit être appris à l’université et il y a de nombreuses techniques qui nous enseignent comment bien travailler sans trop nous épuiser

Les entreprises modernes et le leadership

Depuis la fin du XXème siècle et l’avènement des nouvelles technologies NTIC et Internet,  les sociétés humaines ont été complètement bouleversées. Notre vision des choses et des valeurs a changé et le travail pour plusieurs n’est plus notre seule raison d’être et on est passé du « vivre pour travailler au travailler pour vivre». On s’est aperçu que notre vie privée est aussi importante si non plus importante que notre vie professionnelle. Notre objectif devait être de s’épanouir, d’être équilibré, de vivre bien sa vie et de la partager avec sa famille, ses enfants et ses proches. Notre rapport avec notre environnement et notre société est également important et nos relations sociales et avec notre entourage (amis, voisins, société civile…) est un facteur d’équilibre important.

Avec les nouvelles technologies, l’organisation du travail a complètement changé. On ne parle plus de chef mais de leader. Le chef autoritaire qui impose ses idées et donne ses directives à ses subordonnés devient un meneur d’hommes qui encadre et motive son équipe. L’entreprise devient une famille dans laquelle chaque membre a un rôle précis à jouer. Tous sont concernés par le devenir de l’entreprise et veillent à sa bonne marche et à son développement tout en ayant un fort sentiment d’appartenance au groupe et à l’entreprise et à ses valeurs. Dans les entreprises modernes, l’agent ne va plus au travail par devoir mais par plaisir. L’entreprise, qui a tout intérêt à avoir un personnel motivé, essaye d’encourager son personnel et faire de l’entreprise un lieu d’épanouissement en leur offrant un environnement propice. Elle peut assurer les repas de midi, la garde des enfants, une salle de détente et de sport… Elle offre à ses employés des assurances maladie et retraite complémentaires, la possibilité d’accéder à des sessions de formation et de recyclage, des congés sabbatiques et des possibilités d’évolution professionnelles claires et intéressantes. Grace aux nouvelles technologies, l’entreprise peut proposer à ses employés (qui ne sont pas en contact avec la clientèle) des heures de travail flexibles et même du télétravail où l’employé ne va pas au bureau mais reste chez lui et travaille à domicile tout en restant connecté à son entreprise.

Avantages des horaires flexibles

Grace aux nouvelles technologies et le travail en équipe, les horaires fixes (tous les jours de travail de telle heure à telle heure) tendent de plus en plus à disparaitre. Les horaires flexible deviennent la règle. Cette formule est aussi intéressante pour l’employé que pour l’entreprise. Pour l’employé elle lui permet de mieux gérer son temps et le partager selon ses besoins entre vie professionnelle et vie privée et d’éviter les déplacements aux heures de pointe à l’origine de perte de temps et de beaucoup de stress. Pour l’entreprise les horaires flexibles permettent d’avoir des employés disponibles, épanouis  et en forme pour aborder leur travail ce qui est un gage d’efficacité. Cela permet également d’éviter les absences du personnel soit pour des motifs personnels soit pour autres raisons (grève des moyens de transport, incidents divers). Les managers modernes misent sur une relation de confiance avec leurs collaborateurs qui s’impliquent à faire leur travail correctement au rythme qui leur convient le mieux. Avec les horaires flexibles, l’employé est plus serein et l’entreprise est gagnante en productivité et rentabilité.

Qu’en est-il chez nous?

Les notions de temps flexible, de motivation du personnel, du souci de l’administration et même de l’entreprise privée du bien être de son personnel sont encore complètement ignorées. L’organisation de notre administration est basée sur la hiérarchie, la discipline, l’autorité, les sanctions disciplinaires… Le personnel est là pour exécuter des tâches définies, et l’administration n’a rien à voir avec les problèmes personnels de ses employés. Ceux –ci doivent être là aux heures d’ouverture souvent pour ne rien faire. Cette méthode a bien fonctionné jusqu’à la révolution, depuis tout a changé. Le Tunisien rejette toute autorité, ne reconnait plus ses chefs (le fameux dégage des hauts responsables de l’administration scandé juste après le 14 janvier 2011) et abuse de ses libertés. Le résultat est un disfonctionnement complet de l’administration, de l’absentéisme, du laisser aller, de la négligence, des abus, de la corruption… et une efficacité presque nulle. Sans compter la surcharge en personnel inutile, le départ des meilleurs dégoutés de la nouvelle ambiance au sein de l’administration et la masse salariale colossale qui met le pays à genoux, au bord de la faillite.

Urgence de réformer l’administration

La réforme de l’administration est urgente. Le maintien d’un Ministère de la fonction publique (proposé dans le gouvernement Jemli) est très important pour opérer les réformes nécessaires pour remettre l’administration sur les rails. L’administration doit fonctionner comme une entreprise privée moderne avec à la tête un bon leader qui travaille avec des collaborateurs motivés et enthousiastes. De nombreuses administrations avec à la tête des responsables très honnêtes et  plein de diplômes ont été mal gérées. L’important ce ne sont pas les diplômes ni les grades administratifs mais plutôt le leadership. Ce qui nous manque, à tous les niveaux d’ailleurs (économique et politique), c’est ce leadership qui permet de motiver les gens, les orienter et leur montrer le chemin, tirer profit de l’énergie et de la bonne volonté de chacun au sein d’un groupe solidaire. Les responsables doivent trouver le moyen de redonner sur le lieu du travail le sentiment de plaisir afin que l’employé prenne à cœur son travail pour servir le citoyen. Une description précise des différentes fonctions permet de définir les missions et les rôles liés aux fonctions, identifiées dans l’organigramme de chaque service, ainsi que les compétences techniques et comportementales. Chaque agent doit connaitre ainsi les tâches qui lui incombent.

La flexibilité des horaires est une question intéressante à étudier en profondeur, veiller à l’épanouissement de l’agent public est très important. A quoi sert de maintenir un agent, prisonnier de son travail, qui ramène avec lui à son bureau ses préoccupations personnelles (ses problèmes matériels avec des besoins de plus en plus importants et un salaire dérisoire, des difficultés d’accès à des soins convenables pour lui et à sa famille ou l’accès à un enseignement de qualité pour ses enfants…). Cet agent ne va pas cesser de penser à ses difficultés et n’a en tête que trouver une solution légale ou illégale (la seule solution possible malheureusement serait la corruption). Améliorer les conditions de travail et favoriser une ambiance qui stimule l’effort est source de satisfaction et de motivation pour l’agent. Le travail à distance ou télétravail est intéressant pour certains agents qui peuvent être chargé d’une tâche précise (élaborer un rapport, faire de la recherche bibliographique, répondre à une requête…). Le cadre pourra ainsi travailler à l’aise dans de bonnes conditions sans être dérangé.  Enfin il faut trouver le moyen de récompenser matériellement et dans l’avancement administratif le bon agent qui exécute son travail correctement et sanctionner le mauvais. Il est injuste et inadmissible que tous les agents reçoivent le même salaire quelque soit l’effort fourni. Les mêmes remarques formulées précédemment peuvent s’appliquer au secteur privé où le leadership est essentiel pour la réussite et la survie de l’entreprise.

Conclusion

Les nouvelles technologies et Internet ont bouleversé notre approche en matière de formation et de gestion. Le monde du travail exige de plus en plus des facultés d’adaptation et d’autonomie. L’information est désormais disponible et facilement accessible. Le plus important c’est d’apprendre les techniques de recherche de l’information, comment utiliser l’information et la capacité à intégrer et élaborer de nouveaux savoirs. Le leadership et le travail en équipe sont des conditions nécessaires pour la réussite. L’entreprise doit favoriser l’épanouissement des ses employés. Elle doit œuvrer à ce qu’ils atteignent un équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée. Ceci leur permet de travailler plus efficacement dans l’intérêt de l’entreprise qui verra ainsi sa rentabilité améliorée. Il ne s’agit plus de travailler beaucoup mais de travailler plus intelligemment. Faire preuve d’intelligence et d’innovation est garant de la réussite avec un avantage important en matière de compétitivité et de bien-être social. L’administration est le moteur du développement. L’administration tunisienne est au stade de mort clinique, il est urgent de la secourir, de la réformer et de la moderniser pour qu’elle serve efficacement le citoyen et le développement du pays. L’enseignement supérieur doit être revu en fonction des exigences du marché de l’emploi. Il faut passer du concept de « la tête bien pleine » à celui de « la tête bien faite ».

Professeur Ridha Bergaoui
 

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