Ridha Bergaoui: Faut-il abattre les dromadaires pour lutter contre le réchauffement de la planète?
Il y a quelques jours, les autorités australiennes avaient annoncé qu’elle allait abattre, dans une première étape, 10 000 dromadaires (sur un total de 1,200 million que compte ce continent) suite à la sécheresse exceptionnelle qui s’abat sur l’Australie et le manque d’eau. Les dromadaires, à l’état sauvage dans ce pays, sont accusés de contribuer au réchauffement climatique ainsi que de torts portés aux aborigènes du nord-est du pays, qui subissent de la part des dromadaires des assauts en forçant les clôtures à la recherche d’eau pour s’abreuver. Ces animaux en liberté seront abattus par des snipers et laissés se décomposer sur place pour être incinérés plus tard. A la lecture de la nouvelle, beaucoup ont été surpris et scandalisés par cette démarche barbare et se demandaient quel est le rapport entre le dromadaire, les incendies et la canicule que vit l’Australie et le changement climatique?
Le réchauffement climatique et le dromadaire
Depuis quelques années, la température du globe ne cesse d’augmenter. Ce réchauffement de la planète est attribué par les scientifiques à la production excessive de gaz, appelés gaz à effet de serre ou GES, (oxyde de carbone, méthane, protoxyde d’azote…) résultant de l’activité humaine (industrie, transport, agriculture…) et une forte consommation de l’énergie fossile. Ces GES empêcheraient une partie du rayonnement solaire réfléchi de se dissiper dans l’atmosphère qui reste emprisonnée dans l’atmosphère, ce qui conduit à une augmentation de la température au niveau du globe. Celle ci a entrainé la fonte des glaciers et la multiplication des catastrophes climatiques un peu partout dans le monde : inondations, sécheresses... .
L’élevage est source de GES surtout avec la production de méthane par les ruminants. Ceux ci produisent du méthane qu’ils libèrent dans l’atmosphère suite à la digestion microbienne des aliments cellulosiques dans le rumen. Le dromadaire étant un ruminant, il digère les aliments comme les vaches ou les moutons et libère du méthane. L’effectif de dromadaires en Tunisie a beaucoup régressé depuis la fin du siècle dernier, passant de 250 000 têtes en 1950 pour se stabiliser aux environs de 100 000 têtes les dix dernières années dont 70 000 femelles. Le sud de la Tunisie représente le berceau de l’élevage camelin, il détient environ 70 000 têtes dont 50 000 femelles. Le dromadaire est considéré comme un animal noble, jadis une locomotive de la civilisation arabe et islamique. C‘est un excellent animal de rente élevé pour la production d’une viande (surtout le jeune chamelon) très prisée par certains consommateurs, très appréciée également pour son lait connu comme hypoglycémiante. Le dromadaire est adapté aux conditions sahariennes et désertiques les plus difficiles, il fait partie des quelques rares espèces à pouvoir digérer le régime sec et ligneux qu'offre la végétation du désert. Qualifié de "vaisseau du désert", c’est le seul animal domestique à pouvoir traverser le désert et marcher sur son sable brulant.
Le dégagement de GES par les dromadaires est certainement insignifiant par rapport aux autres secteurs comme les transports et l’industrie. Un dromadaire produit environ 80 kg de méthane par an, rapportée aux 20 millions de dromadaires et chameaux vivant sur terre, la quantité de méthane produite par ces camélidés serait de 1,6 million de tonnes. Ce chiffre est insignifiant comparé aux 53,4Giga tonnes équivalent CO² produits dans le monde en 2016 objet du réchauffement climatique.
Exterminer le dromadaire pour sauver la planète comme le prétendent les australiens, est un raccourci bien pratique pour justifier le massacre d’un nombre aussi élevé de dromadaires et il est absurde de faire porter le chapeau du réchauffement climatique à des animaux qui n’ont aucune volonté alors que tout le monde sait que c’est l’homme qui en est responsable suite à sa gestion environnementale inconséquente.
Incidences du réchauffement climatique
Le réchauffement climatique a des incidences néfastes sur la plupart des secteurs d’activité et des effets directs sur la vie quotidienne du citoyen. L’impact des changements climatiques varie selon l’emplacement géographique des pays. La Tunisie, ainsi que le reste des pays de la région méditerranéenne et de l’Afrique du nord, est très vulnérable au réchauffement climatique. Suite à la fonte des glaciers et l’élévation du niveau de la mer, des régions et des villes entières peuvent être englouties. Le tourisme sera concerné par la disparition de certaines plages, la santé de l’homme sera menacée suite à l’apparition de nouvelles maladies et l’eau potable deviendra de plus en plus rare.
Le réchauffement climatique affectera profondément l’agriculture. La sécheresse et la rareté des pluies vont entrainer la perte de forets par desséchement et incendies plus fréquents. La disparition d’une partie des forets se traduirait, pour les populations qui y habitent, par plus de pauvreté et de l’exode. Elle s’accompagnerait par la disparition de faunes et de flores qu’abrite la forêt. Avec la sécheresse il y aura également disparition du couvert végétal, dégradation des sols et désertification avec pertes importantes des surfaces agricoles et des parcours pour le pâturage des animaux. La disparition des forêts et du couvert végétal qui absorbent le CO², se traduirait par plus des GES et encore plus de réchauffement.
Des températures élevées diminuent les rendements des cultures tout en entrainant une prolifération des mauvaises herbes et des parasites. Le réchauffement climatique a un impact sur la répartition des plantes, des espèces envahissantes, des ennemis des cultures et des vecteurs de maladies. Il entraine également une perturbation de la croissance des plantes avec l’accélération de la croissance de certains végétaux, précocité de la floraison, perturbations du calendrier agricole des pratiques culturales, baisse de la qualité de certaines productions, extension géographique de pathogènes et de ravageurs des cultures…
En Tunisie, suite au réchauffement climatique, et à la diminution des ressources hydriques et l’augmentation de la température, certaines cultures traditionnelles importantes, comme l’olivier, le palmier dattier et les orangers, seront menacées. Ces cultures seront appelées à disparaitre dans certaines zones où l’eau devient rare, leur maintien dans certaines régions nécessitera un complément d’irrigation. Les céréales nécessiteront également un complément d’eau. Ce ci entrainera plus de pression sur les ressources hydriques déjà en régression. Certaines espèces végétales sensibles au stress hydrique vont carrément disparaitre. Le réchauffement climatique et la pression sur les ressources (eau et sol notamment) vont affecter les disponibilités fourragères par la réduction des surfaces fourragères cultivées et des parcours. Ce ci va avoir des conséquences graves sur l’alimentation du cheptel et ses productions. Le stress thermique ainsi que la sous alimentation du bétail auront également une incidence sur la mortalité et la morbidité des troupeaux, le développement des parasites (moustiques, tiques…) et l’émergence de nouvelles pathologies.
Lutte contre le réchauffement climatique
Il s’agit surtout de réduire les émissions des GES en optant pour des activités moins énergivores, l’utilisation des énergies renouvelables, les industries propres, des transports plus rationnels… Il faut également de la sensibilisation et de l’éducation à grande échelle aux méfaits du changement climatique et surtout sensibiliser tout le monde à la rareté des ressources hydriques et la nécessité d’économiser l’eau.
La recherche agricole a un rôle déterminant pour lutter contre le changement climatique et adapter les cultures et l’élevage. Parmi les thèmes qui peuvent être abordés on peut citer la sélection des variétés adaptées à cycle végétatif court, reconversion et repositionnement de certaines cultures en fonction de leur besoin hydrique, introduction et adaptation de nouvelles cultures peu exigeantes en eau, travail des sols pour lutter contre l’évaporation de l’eau, économies d’eau d’irrigation, choix de races animales les mieux adaptées au stress thermique … La recherche et la pratique d’agricultures respectueuses de l’environnement comme l’agriculture biologique, l’agriculture durable, l’agroforesterie, l’agropastoralisme, l’agriculture biodynamique… doivent être développés.
Il faut également faire bon usage des ressources naturelles surtout l’eau et le sol. La Tunisie se trouve parmi les pays les plus arides, plus des ¾ du pays se situe dans les régions bioclimatiques aride et désertique et reçoivent moins de 400 mm de pluie/an. Le quota des ressources hydriques est l’un des plus faibles au monde soit 450 m3/habitant/an (on parle de pénurie d’eau lorsque les disponibilités varient entre 1 700 et 1 000 m3/hab/an et de rareté de l’eau au dessous de 1 000 m3/hab/an). Une étude menée par le Ministère de l’Agriculture sur une période de 35 ans (de 1980 à 2015) montre que 9 années sont des années pluvieuses, 11 normales et 15 sèches. Les années sèches représentent 45% soit prés d’une année sur deux est une année sèche. Le réchauffement climatique va accentuer encore l’aridité du pays et réduire nos disponibilités en eau. Il est nécessaire de mobiliser au maximum les ressources hydriques y compris les ressources non conventionnelles (dessalement de l’eau de mer et utilisation des eaux usées). L’utilisation judicieuse des ressources hydriques (utilisation de techniques d’irrigation économes), la rénovation et l’utilisation des techniques traditionnelles de conservation de l’eau de pluie (citernes et Mejels), la construction des courbes de niveaux, jessours et digues… permettent de réduire les pertes en eau. Il faut également remettre à jour les cartes agricoles compte tenu de l’évolution du climat et des ressources et le reboisement des aires forestières qui représentent de véritables puits de carbone
Conclusion
Le réchauffement climatique est un phénomène irréversible qui est, à l’instar d’une pathologie grave, en train de s’installer et de se développer. Il représente une menace économique, sociale et même existentielle. Il doit être pris très au sérieux afin de le combattre et assurer notre survie et celle des générations futures. Le réchauffement climatique risque de limiter les productions agricoles alors que la demande ne cesse d’augmenter (augmentation d’une population de plus en plus exigeante). Les produits alimentaires seront de plus en plus rares et les prix élevés. Le phénomène étant international, la disponibilité mondiale des produits agricoles sera de plus en plus limitée et les pressions de plus en plus importantes. Il est indispensable d’assurer un niveau minimum d’autosuffisante et d’indépendance par rapport à l’étranger notamment pour les produits essentiels, stratégiques et traditionnels (céréales, huile d’olives, dattes, agrumes, légumes…).
Prof Ridha Bergaoui