«L’Echelle de la mort» de Mamdouh Azzam: Un signe prémonitoire
Pour le romancier désireux de répondre aux goûts de ses lecteurs, les délits d’honneur constituent un moyen idéal. L’auteur syrien Mamdouh Azzam n’a pas manqué d’y recourir. Son roman ‘Mi’râj al-mawt’, édité en 1989, à Damas,et publié aujourd’hui par Actes Sud sous le titre L’Échelle de la mort, est une fresque sociale courte et dense, d'un village dans la région druze, au sud du pays,où les crimes d'honneur continuent à être commis impunément et sans susciter la moindre compassion.
«Le matin, elle cracha du sang. Pour la première fois depuis qu’ils l’avaient conduite ici, il y a un mois, et avaient verrouillé la porte, ses jambes se dérobaient sous elle, son corps usé et léger fléchissait au point de ne plus pouvoir supporter le poids de sa tête qui dodelinait et tombait sans cesse sur sa poitrine». (p.11)
Ainsi commence L’Échelle de la mort. Elle, c’est Salma, une jeune femme, accusée d'avoir souillé "l'honneur de la famille", et condamnée par ses proches à périr lentement, cruellement, au fond d’une cave secrète. La démarche suivie dans ce livre se révèle un jeu d’équilibre tant l’enchaînement des événementsy est parfait. Le lecteur n’éprouveaucune peine à saisir non seulement la capacité de résistance de Selma, les nuances et la vérité des sentiments qui animent les personnages, mais aussi, indirectement,le jugement personnel de l’auteur:
«Son visage exprimait un amour profond, pareil à la brume du matin, qui lui disait qu’elle l’aimerait tant qu’elle resterait en vie. Elle lui parut délicate, frémissante, comme un jeune arbre sur le point de se briser, mais il était persuadé qu’elle tiendrait le coup, qu’ils tiendraient le coup, ensemble, grâce à cet amour pur, ailé, qui berçait leurs cœurs et les transportait loin, très loin, au-delà des nuages menaçants.» (p.101).
N’étant pas ainsi pris au dépourvu, le lecteur ne peut s’empêcher alors de ressentir un arrière-goût d’amertume et de pitié devant le terrible châtiment subi par une jeune femme désireuse de mener sa vie à sa guise, une vie de femme émancipée, libre de toute contrainte.Toutefois, ce qui frappe en premier lieu le lecteur c’est plutôt la restitution de l'atmosphère, à la fois austère et lubrique, du village, un lieu perdu dans la montagne druze où le culte de la virilité est prépondérant et le sens de l’honneur y est poussé à l’extrême.
Faut-il s’en étonner? aujourd’hui encore, nous croyons savoir que l’article n° 587 de la Constitution italienne, qui date de la réforme fasciste du 1er juillet 1931, protège celui qui « lave son honneur dans le sang» tant il est vrai que les délits dits "d’honneur", dans le pourtour méditerranéen du moins, semblent répondre à une exigence éthique des plus profondes. Tuer l’amant de sa femme, le séducteur de sa fille ou de sa sœur, devient tout simplement un devoir, sous peine de devenir la risée des voisins. Au Moyen Age, celui qui refusait de se venger était même châtié.
Dans L’Échelle de la mort, la technique narrative, la description subtile, indirecte, des personnages, les rapports humainssouvent hypocrites, parfois sincères, mais toujours révélateurs, sous-tendentl’attitude générale dictée par les conventions sociales, le contrôle des coutumes sexuelles,sans oublierégalement, la réalité socio-politique qui prévalait à l’époque. En effet,rares sont les romans arabes qui ne soient pas rapportés à l’histoire moderne. L’auteur, Mamdouh Azzam, né en 1950 dans la province de Suwayda, à laquelle il reste passionnément attaché, a été professeur dans l’enseignement secondaire.Il est l’auteur de huit romans et recueils de nouvelles qui ont marqué la vie littéraire syrienne. L’une de ses œuvres, ‘Qasr al-matar’ (Le Château de la pluie), a été condamnée par une fatwa des cheikhs de la communauté́ druze et censurée par la suite. Comme Le Château de la pluie, L’Échelle de la mort constitue bel et bien un reflet de la vie quotidienne des paysans druzes, et il peut lui aussi, servir de base à d’utiles réflexions et constituer un enseignement utile: critique indirecte des temps présents, et possibilité donnée d’en tirer des conclusions.On ne peut guère lire ce romansans songer à la cruelletragédie qui déchiretoujours la Syrie,depuis dix ans maintenant.
Mamdouh Azzam, L’Échelle de la mort, roman traduit de l’arabe (Syrie) par Rania Samara, Actes/Sud, Paris, 2020, 102 pages.
Rafik Darragi