Azza Filali: Cherche désespérément compétences féminines….
C’est ce qu’a prétendu son excellence, monsieur le chef du gouvernement désigné, qui a confié qu’il n’avait malheureusement pas trouvé de compétences féminines pour composer son gouvernement. Un tel aveu s’inscrit dans la répugnante tradition du « faux et usage de faux », tradition qui représente, pour certains, une règle de vie…
Il n’est pas question pour moi d’opposer au chef du gouvernement la longue liste des compétences féminines exceptionnelles dont ce pays regorge. Ce serait une manière de se justifier. Or, il n’y a rien à justifier : dans ce cas de figure, la polémique est indigne de toutes les tunisiennes de valeur qui n’ont pas besoin qu’on les défende. Que monsieur Jomli se dédouane de ne pas avoir nommé de femmes dans son équipe, ce n’est peut-être pas plus mal, vu le niveau exceptionnel de ladite équipe en termes de compétences, de culture et, bien évidemment, de neutralité politique ! Mais, il aurait été, sans doute, plus décent que le chef du gouvernement garde le silence et ne trouve pas, comme prétexte, l’absence de compétences féminines, pour justifier ses choix.
Monsieur Jomli ignore les compétences féminines de son pays. En vérité, il a desproblèmes plus « sérieux » à résoudre : garder son poste, faire plaisir à Ennahdha, maintenir les apparences de neutralité de son gouvernement, apparences qui sont autant de « fakes » et que les tunisiens,(société civile,Ugtt, Utica et d’autres) ont déjà commencé à débouter. En fait, nommer des femmes est le dernier souci du futur locataire de la Kasbah ; pour lui, nommer une femme ministre s’apparente à un exercice de loisir décoratif, tout comme la nomination d’un ministre de la culture, d’ailleurs…
Ces hommes qui « ne trouvent pas de compétences féminines » sont encore nombreux dans notre bonne société patriarcale, tristement conformiste et qui continue de respecter scrupuleusement la loi du père. Une société que l’égalité entre les sexes hante puis s’en va, telle une vague houspillant la grève. Certes, il y a « le code du statut personnel », certes il y a des femmes aux postes de commandes : juridique, scolaire, universitaire, médical. Mais, il n’y a pas de femmes sur la scène publique. Il n’y a pas de femmes que l’imaginaire collectif place au-dessus de la mêlée. Parce que l’imaginaire collectif désigne encore la femme par ses rôles platement consacrés : mère, épouse, cordon-bleu, fée du logis. Si, par ailleurs, elle est chirurgienne,artiste, ou présidente de la cour de cassation, cela représente une cerise sur le gâteau. Mais le gâteau peut être savoureux sans cerise. Qu’une femme renonce aux rôles qui lui sont assignés depuis la nuit des temps, qu’elle refuse d’avoir des enfants, de mijoter des petits plats, qu’elle ne soit pas débordée, épuisée entre travail et maison, mais toujours prête à recevoir famille et amis, voilà qui passe mal ! Bien des compétences féminines, dans ce pays, n’obéissent pas au cahier des charges auquel Monsieur Jomli s’est astreint dans sa recherche de ministres. D’ailleurs, il est à parier que même si notre chef du gouvernement avait, par miracle, rencontré à « Dar Eddhiafa », une de ces compétences féminines, elles auraient été écartées pour non-conformité avec le prototype requis…
A travers sa prétendue quête de compétences féminines, le chef du gouvernement n’a faitqu’obéir à la sacro-sainte recherche de parité, une arithmétique imbécile, ne servant qu’à conférer à notre paysage public les apparences de l’égalité entre les genres et l’illusion d’une présence féminine agissante. Juste des apparences qui ne suffisent pas à installer l’image d’une femme prééminente, dans les consciences citoyennes. D’ailleurs, nous savons bien que la parité s’arrête là où les hautes responsabilités débarquent : avons-nous déjà eu une femme chef du gouvernement, ou ministre de la justice,une femme à la tête du ministère des affaires étrangères ? Soyons sérieux !
Que Monsieur Jomli se préoccupe si peu des compétences féminines, qu’il en vienne à avouer qu’il les ignore, cela est concevable de la part d’un citoyen lambda. Lorsque cette ignorance émane d’un futur chef du gouvernement, la chose acquiert d’emblée une tonalité politique. C’est toute la politique gouvernementale à l’égard des femmes, que cette petite phrase résume. Unephrase assassine, dont la sincérité, crue, vaut mieux que de longs discours.
Force est de convenir que ce n’est pas avec monsieur Jomli que les compétences féminines en Tunisie, seront valorisées, hissées sous les projecteurs, sollicitées de manière à ce que la société profite de leur expertise. Notre classe politique n’a pas encore changé d’époque. Monsieur Jomli appartient aux années 1960, avec leur lot de suffragettes, leurs manifestations en faveur des droits des femmes, et même leurs fadaises poétiques du genre : « la femme est l’avenir de l’homme ! » La femme a suffisamment à faire avec son propre avenir, pour ne pas endossercelui de son alter ego masculin…
Les femmes n’ont rien à défendre, rien à justifier, elles ont juste à être. Et si cette société vermoulue, éminemment patriarcale, les dénie et persiste à ne pas les connaître, ce n’est pas le problème des femmes mais celui de leurs vis-à-vis du sexe dit fort... Quant à monsieur Jomli, quêtant en vain des compétences féminines, il aurait dû poster un avis de recherche sur Facebook. Seul désagrément : il lui aurait fallu deux mois supplémentaires, pour dépouiller les CV des postulantes…
Une fois pour toutes, monsieur le chef du gouvernement, notre pays regorge de femmes d’expertise et de talent.Si vous les ignorez, cette ignorance est votre problème, à vous de la gérer ; quant à ces compétences que, prétendument, vous n’avez pas déniché, je peux vous garantir que la majorité d’entre elles ont dépassé l’époque des face-à-face ridicules avec leurs partenaires masculins : être égale, être mieux, se mesurer et autres conjugaisons d’un âge révolu. Les propos de monsieur Jomli sont en retard d’une bonne cinquantaine d’années. Hélas, on peut « s’agiter » en 2020 et vivre en 1960….
Azza Filali
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