A l’occasion des Journées de l’IACE - Compétitivité: «Ô miroir, mon beau miroir… »
Le rapport « Global Competitiveness Report 2019 » est sorti le 9 octobre 2019. L’institut arabe des chefs d’entreprise (IACE) l’a remis justement à l’ordre du jour en le republiant sur son site web, à l’occasion de ses Journées annuelles, organisées à Sousse-Kantaoui, du 6-7 décembre.
Je suis sûr que tous les décideurs et tous les investisseurs étrangers l’ont lu et décortiqué. C’est leur « Mecque » pour orienter leur « business » dans les années à venir. Ce rapport de 558 pages est une mine pour « lire » ce qui se passe dans le monde, faire son autocritique, tracer la route pour mieux faire en corrigeant les erreurs, en se positionnant par rapport aux voisins. La Tunisie, avec ses beaux paysages et son soleil et ses plages, n’est pas seule au monde. Qui n’est pas content va ailleurs… Qui est déçu déménage à côté, dans un pays plus accueillant et visionnaire… Combien d’entreprises se sont délocalisées de chez nous depuis 2011 ? Comment de projets sont partis se faire ailleurs ?
L’essentiel est de ne pas pleurer sur le passé. C’est de comprendre qu’il est urgent d’agir si on ne veut pas rejoindre… l’Albanie, par exemple (savez-vous qu’on partage avec ce pays le même rang – 141e – pour la possibilité de faire venir un travailleur étranger chez nous ! « Nous sommes les meilleurs », pardi !
Blague à part. Combien de responsables tunisiens ont lu les trois pages de tableaux consacrés à la Tunisie dans ce rapport ? Je donne ma langue au chat pour dire « aucun ». Or, les trois pages contiennent le « miroir » dans lequel les étrangers nous voient. Et que montre ce miroir ?
Les auteurs du rapport ont établi des critères rigoureux (103 exactement) pour classer les 141 pays qu’ils ont analysés. Chaque critère est noté, chaque pays est classé comparativement aux autres. Les notes agrégées permettent de voir que la Tunisie se classe au 87e rang mondial (sur 141) selon les critères de compétitivité, non pas ceux de tel ou tel parti politique, tel ou tel syndicat, tel ou tel ministère. Non, il s’agit de critères établis par des professionnels, des observateurs, dont la mission est d’ausculter le « patient » et de donner sa température. La nôtre est de 56,4 sur 100 (la perfection), ce qui nous place au 87e rang mondial. Ce qui signifie qu’il y a 86 pays qui nous devancent et 54 pays qui font moins bien que nous. C’est une moyenne, car lorsqu’on regarde avec une loupe, on trouve que pour les critères essentiels notre pays est très loin en arrière (voir le tableau pour 40 critères choisis sur 103).
Je ne demande pas que nous égalions Singapour (note de 84,8 sur 100 et 1er rang mondial), ni la Malaisie (74,6, 27e rang). J’observe que le Maroc nous a bel et bien devancé (75e en 2019). En 2010, la Tunisie était classé au 40e rang (sur 133 pays), loin devant le Maroc, 73e. Qu’avons-nous fait au bon dieu !
Lisez le tableau qui suit, et vous comprendrez pourquoi. La faute n’est pas seulement à l’Etat, elle est collective : l’Etat (et sa bureaucratie), le syndicat ouvrier (avec ses revendications et ses grèves), le patronat (la cupidité, la recherche des gains immédiats et faciles, l’absence de transparence, de concurrence, de prise de risque), les faiblesses du secteur financier (mauvaises créances, mauvaise gouvernance, mauvais contrôles), la peur de l’innovation et des réformes, la chute fantastique de la qualité des formations (les quelques « lumières » qui sortent émigrent ou veulent partir parce qu’elles ne trouvent pas un environnement favorable pour s’épanouir)…
Le pays ne coule pas encore parce qu’il a encore des réserves, un socle solide d’hommes et de femmes qui y croient et des atouts : le pays ne manque de rien ou presque. De tout, il a un peu. Des avantages comparatifs, il en a beaucoup : proximité de l’Europe et de la Méditerranée, ouverture d’esprit (même si certains se sont refermés), un carrefour des civilisations… Les Carthaginois nous avaient conquis, les Romains nous avaient convoités… parce que justement nous avions des atouts.
Ces atouts sont toujours présents : des terres fertiles, un sous sol riche, une mer poissonneuse, du sable fin, le ciel, des rivages dans tous les reliefs… Ceux qui ont changé, ce sont les Hommes. Leur façon de penser et de voir le monde. Ce qui manque à l’écrasante majorité, c’est l’amour de la Patrie (qui s’est dilué dans une entité obscure), la droiture, la discipline, le civisme, la volonté de travailler, de faire des sacrifices et de gagner sa vie honnêtement à la sueur de son front, comme nos bons vieux paysans.
Pour remettre les pendules à l’heure, il faut un déclic. Des pays l’avaient fait avant nous. Ils sortaient de la guerre, ils ont tourné le dos aux miasmes du tribalisme et du confessionnalisme. Ils se sont reconstruits. Pas en un jour. Mais sur une longue durée. Avec conviction et endurance. Nous étions au niveau économique de la Corée du Sud dans les années cinquante. De la Malaisie dans les années soixante.
La Tunisie a plus que jamais besoin d’un « aggiornamento », d’une « mise à jour » intégrale de son logiciel de fonctionnement. C’est faisable sans la dictature, dans une démocratie bien comprise, pas celle de la foire d’empoigne permanente (regarder le triste spectacle que nous offres des députés à peine élus). Qui dit démocratie, dit droits et devoirs, sanctions et primes, état de droit.
Avant, on trainait sur la place publique les hors-la-loi pour les châtier. Et dissuader les contrevenants potentiels. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de faire pareil. Il s’agit de lever le secret publiquement en désignant « qui a fait quoi » et en chargeant la justice (avec tous les moyens qu’il faut) pour condamner « l’ivraie » et libérer le « bon grain ». Tant qu’on gardera le silence sur l’identité de ceux et celles contreviennent à la loi, tant qu’on les laisse poursuivre leur basse besogne, il n’y aura point de salut. Le peuple en a marre du mensonge. Et il ne faut pas espérer restaurer notre image vis-à-vis de nous même et de l’étranger. « Ô miroir, mon beau miroir, dis-moi que la Tunisie deviendra la plus belle ? »
Indice de compétitivité 2019-2020 : rang pour 40 critères choisis. Sur 141 pays classés | |
Critères | Rang Tunisie |
Possibilité d'embaucher un travailleur étranger | 141 |
Régulation du marché du travail | 133 |
Flexibilité du travail | 131 |
Progression au mérite | 128 |
Créances bancaires non performantes | 128 |
Vision à long terme du Gouvernement | 127 |
Salaires et productivité | 127 |
Entreprise et autocritique | 126 |
Stabilité macro-économique | 124 |
Qualité des services bancaires | 123 |
Services transports aériens | 118 |
Inflation | 117 |
Entreprise et innovation | 114 |
Lourdeurs bureaucratiques | 112 |
Avoir la "culture" de l'entreprise | 112 |
Taxation du travail | 109 |
Financement des PME | 109 |
Entreprise et prise de risques | 109 |
Compétence des diplômés | 108 |
Ouverture commerciale extérieure | 108 |
Services douaniers aux frontières | 107 |
Gouvernance administration | 106 |
Barrières commerciales non tarifaires | 105 |
Qualifications des travailleurs | 102 |
Infrastructures de transports | 101 |
Connextions maritimes | 101 |
Protection de la propriété intellectuelle | 100 |
Aptitude de l'administration à changer | 100 |
Qualité de la formation professionnelle | 99 |
Enseignement de l'autocritique à l'école | 99 |
Qualité de la fourniture de l'électricité | 98 |
Délégation de l'autorité au sein des entreprises | 98 |
Réseau routier | 96 |
Services aéroportuaires | 95 |
Système financier | 94 |
Capacité d'innovation | 92 |
Aménagement du territoire | 89 |
Facilité pour trouver un travailleur qualifié | 88 |
Gouvernance de l'actionnariat | 84 |
Risques dus à la mauvaise qualité de l'eau potable | 80 |
Samir Gharbi
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