Samir Gharbi - IACE : un lanceur d’alerte tunisien?
L’institut arabe des chefs d’entreprise (IACE) organise, du 6 au 7 décembre à Sousse-Kantaoui, la 34e édition des Journées de l’entreprise sur « le nouveau rôle de l’Etat ». Ce thème prémonitoire tombe à point nommé : la Tunisie dispose d’un nouveau président de la République et d’un nouveau parlement et elle est en passe de changer de gouvernement.
Le dimanche 1er décembre, un accident dramatique – le « bus de la mort » - a été un révélateur de presque tout ce qui ne va pas dans le pays et de tout ce qui s’est détérioré depuis 2011. Il a révélé – alors que les enquêtes sont en cours – des dysfonctionnements très graves dans les rouages de l’administration : les douanes qui bloquent le dédouanement des ambulances, les services de contrôle technique des véhicules qui accordent des « bon à circuler » moyennant un « bakchich », les services qui autorisent sans regarder le transport des voyageurs, les gendarmes qui ne contrôlent pas suffisamment lesdits véhicules, les assurances et bien d’autres services publics défaillants (santé, hygiène, tourisme intérieur, sécurité, fiscalité…)…
La Tunisie est aujourd’hui à un tournant décisif : soit elle va encore dans le mur ou dans le trou, en continuant comme si de rien n’était (une fois l’émotion et les larmes des orphelins séchés), en continuant à fermer les yeux (pour les uns) et à vociférer dans le vide (pour les autres). Soit elle se lève comme une « seule personne » pour dire stop et faire cesser la gabegie. Non sans sanctionner les hors la loi où qu’ils soient et si haut perchés soient-ils.
J’ai écrit sur ce site – Leaders.tn – le 4 novembre dernier un appel au président Kaïs Saïed pour qu’il fasse faire un « état des lieux » exhaustif et indépendant (sans avoir froid aux yeux), par des gens compétents et patriotes (il y en a encore dans ce pays). Un état des lieux qui montre clairement toutes les failles et qui propose des pistes de solution (au nouveau gouvernement d’agir). Avec un comité de suivi, de veille et de surveillance au sein de la Présidence et du Parlement. Voir : « La Tunisie a besoin d’un état des lieux pour avancer » (https://www.leaders.com.tn/article/28343-samir-gharbi-la-tunisie-a-besoin-d-un-etat-des-lieux-pour-avancer).
A défaut, le pays continuera à naviguer à vue, dans l’insouciance, l’impunité jusqu’à la prochaine secousse sociale.
Je profite des Journées de l’IACE pour proposer au Comité directeur de l’IACE de devenir le 1er « lanceur d'alerte » tunisien. Initié en Europe et en Amérique en 1999, ce mouvement salutaire n’est pas devenu « endogène » chez nous. Il ne faut pas attendre que les autres nous alertent…
Un « lanceur d’alerte » est, selon la définition mondialement reconnue, « toute personne, groupe ou institution qui, ayant connaissance d'un danger, un risque ou un scandale, adresse un signal d'alarme et, ce faisant, enclenche un processus de régulation, de controverse ou de mobilisation collective… A la différence du délateur, le lanceur d'alerte est de bonne foi et animé de bonnes intentions : il n'est pas dans une logique d'accusation visant quelqu'un en particulier mais affirme divulguer un état de fait, une menace dommageable pour ce qu'il estime être le bien commun, l'intérêt public ou général » (fin de citation).
Fondée le 30 octobre 1984, l’IACE a fêté ses 35 ans. Elle est engagée dans la promotion de l’entreprise et l’amélioration du climat des affaires ; elle a déjà formulé des idées et des propositions (Livre blanc 2015). Il est temps qu’elle fasse le point sur son bilan et devienne une institution, toujours sans but lucratif, « écoutée et vigilante », car il ne peut y avoir d’entreprises prospères dans une société accablée. Cette mission, elle a la légitimité et le devoir de la mener, elle a la compétence pour dire haut et fort ce qui ne va pas. Même, si dans ses rangs il peut y avoir des résistances, elle ne peut continuer à broyer dans le vide.
Samir Gharbi
Leaders.tn