Habiba Ezzahi Ben Romdhane - Les violences physiques contre les femmes: l’arbre qui cache la forêt (Album Photos)
La Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes 2019 a été marquée par un formidable mouvement planétaire, de Santiago du Chili -où les manifestant(e)s ont impressionné par leur nombre, leurs mots d’ordre et les scènes spectaculaires-, à Sidney, à Paris et à Moscou. Les Tunisiennes et les Tunisiens ont manifesté dans plusieurs villes. En dépit de la gravité de la cause défendue par les manifestant(e)s, une ambiance bon-enfant a régné à l’Avenue Habib Bourguiba de Tunis. Des jeunes et des moins jeunes ont battu le pavé au rythme du tambour et au son des ustensiles de cuisine.
Dans toutes les manifestations en Tunisie et ailleurs, ce sont les violences physiques avec leur forme extrême -le féminicide, le harcèlement sexuel et le viol- qui ont dominé les slogans et les dénonciations scandés par les manifestant(e)s. S’il est vrai que ces formes de violence intolérables et inacceptables sont en progression et qu’elles sont les plus fréquemment rapportées par les statistiques, les autres formes de violence ne sont pas moins graves.
Aujourd’hui, les violences faites aux femmes constituent l’une des violations des droits humains les plus répandues, les plus persistantes et les plus dévastatrices dans le monde. Elles demeurent également l'une des moins signalées en raison de l'impunité, du silence, de la stigmatisation et du sentiment de honte qui l'entourent. Une femme sur trois dans le monde a subi des violences physiques et/ou sexuelles à un moment donné dans sa vie, le plus souvent de la part d’un partenaire intime. Une femme sur deux tuées dans le monde a été assassinée par son partenaire ou sa famille, tandis que seulement un homme sur vingt a été tué dans des circonstances similaires. 71 % de toutes les victimes de la traite des êtres humains dans le monde sont des femmes et des filles, trois quarts d'entre elles sont exploitées sexuellement.
En Tunisie, qu’elles soient menées à l’échelle nationale ou à l’échelle régionale, les enquêtes ont montré que les violences faites aux femmes sont très fréquentes, les violences physiques dominant le tableau. Cependant, d’autres types de violences, comme les violences sexuelles, les violences psychologiques (dénigrement, insultes, humiliations, isolement de la famille, contrôle des déplacements) et les violences économiques (exploitation financière, privation d’argent, exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, contrôle du salaire, vente des biens….) sont très fréquentes. La précarité économique est une situation à risque, exposant les femmes à la violence de laquelle elles ne peuvent se soustraire faute de ressources financières et c’est le début de l’infernal cercle vicieux de la violence.
Il s’est avéré que la sphère intime constitue le premier lieu dans lequel la femme subit tous les types de violence, psychologique, physique, sexuelle et économique. Mais pas uniquement la sphère intime.
Une autre forme de violence est de plus en plus dénoncée par les femmes : la violence institutionnelle quand, au lieu de soulager et protéger, l'institution ajoute de la violence à la violence.
Il ressort des témoignages des femmes victimes de violence que, quand elles arrivent à surmonter leurs propres blocages et qu’elles se décident à entamer les démarches pour mettre fin aux violences qu’elles subissent, c’est un parcours du combattant, semé d’embûches qu’elles vont découvrir. Des témoignages de certaines ressortent de graves lacunes et défaillances du système et des structures de prise en charge.
Qu'elle soit produite au sein de la structure ou issue de ses propres modes de fonctionnement (manque de moyens, manque de formation des intervenants, surcharge des structures), cette violence institutionnelle est la conséquence d'un abus de pouvoir à l’encontre d'une personne en situation de vulnérabilité. Les postures et les actes que subissent ces femmes en raison de leur statut de victimes de violences prennent toutes les formes : négligence, non-assistance, humiliation et brutalité verbale . Elles prennent également le hideux visage du harcèlement et du chantage sexuel. Cette violence institutionnelle met à mal le processus de réhabilitation psychosociale des femmes en quête de justice et de sécurité.
Parce qu’elles revêtent plusieurs visages et qu’elles sont rarement isolées, mais enchâssées dans plusieurs formes de domination, les violences faites aux femmes ne peuvent être éradiquées que par une approche multisectorielle, visant à la fois la prise en charge des victimes, avec tout ce que cela implique de mise à niveau des structures de prise en charge, mais également l’éradication des « causes de ses causes » qui sont enracinées dans la société et qui font des victimes de violences conjugales des victimes de violences institutionnelles. L’autonomisation économique est l’une des questions épineuses de la prise en charge des survivantes aux violences. C’est un gage de sortie des femmes de la domination économique et le précieux sésame pour sortir du cercle de la violence et de la pauvreté.
La Loi sur les violences faites aux femmes, adoptée en juillet 2017 fait référence à la prévention des violences faites aux femmes et à la prise en charge globale des femmes victimes de violences. Cette prise en charge globale implique l'intervention de plusieurs ministères : ceux de la Santé, de l'Intérieur, des Affaires sociales et de la Justice.
La loi a suscité un immense espoir chez beaucoup de Tunisien(ne)s ; il nous incombe aujourd’hui de lui donner corps.
Habiba Ezzahi Ben Romdhane