Opinions - 20.11.2019

Ariha le 03 mars 1965...

Ariha le 03 mars 1965...

Récemment, à l’occasion d’une réunion internationale j’ai eu le plaisir de faire la connaissance d’une professeure d’université palestinienne, plus précisément de Beir Zeit à Ramallah. Elle habite Al Qods d’où sa famille est originaire et depuis des siècles. Le meeting  se tenait dans une grande capitale arabe, cette collègue y est arrivée directement par avion... de Tel Aviv !

Au fil de nos conversations elle m’a raconté son quotidien en Cisjordanie. Rien de ce que nous savons, une banalité glaçante. Un quotidien fait d’atteintes pernicieuses aux droits de l’homme, d’humiliations systématiques, bien structurées, faites de façon professionnelle.

Les limitations des déplacements, les check points, les délits de faciès, les expropriations, les arrestations arbitraires pour quelques heures ou jours ou quelques mois ou années…un petit exemple : officiellement, elle n’est ni jordanienne ni palestinienne, car si elle demandait un passeport palestinien, il lui sera automatiquement interdit de continuer à habiter à Al Qods. A Gaza, c’est encore pire, une prison à ciel ouvert pour deux millions de personnes. Et que dire des millions de réfugiés qui vivent dans des camps depuis 70 ans ? C’est dans ce contexte que fleurissent la corruption, la violence et les divisions savamment exploitées par tous, de tous les bords. Le mal est si profond, peut-être même insurmontable.

Pourtant et toujours la cause palestinienne restera une énorme blessure dans le cœur de chaque arabe, une passion, une injustice faite à tout un peuple. En 48, mon père était parti avec un groupe de jeunes tunisiens engagés volontaires pour faire la guerre en Palestine, ils ont été arrêtés par les anglais dans le désert libyen et ramenés en Tunisie. Moi-même, trente ans plus tard, étudiant, j’ai milité dans une association médicale pour la Palestine. Que de malheurs, que de morts, que d’humiliations, que de guerres perdues, que de territoires arabes spoliés, que de morts. Pourquoi ? Septembre 1970 en Jordanie, Sabra et Chatilla en 82… J’étais sur les quais à Bizerte en septembre 82. Les visages de ces combattants palestiniens descendant du bateau me hanteront jusqu’à la fin de mes jours. Des cadavres ambulants. 

La Tunisie n’a pas de leçons à recevoir, elle a toujours été du côté des palestiniens elle l’a payé par les bombardements de Borj Sedria et les divers assassinats de leaders palestiniens sur son territoire. Lors des bombardements israéliens de Gaza en 2014, la mobilisation des citoyens tunisiens en faveur des habitants de Gaza a été impressionnante. La Tunisie a été l’un des rares pays autorisé à envoyer à trois reprises un gros porteur militaire rempli de dons de toutes natures. Et si le 03 mars 1965 Bourguiba a eu à Ariha des mots prémonitoires, que seuls les imbéciles contestent encore, c’est parce qu’il était l’un des rares à ne pas avoir instrumentalisé la cause palestinienne. Comme Galilée, Bourguiba avait mille fois raison et ceux qui l’ont attaqué savait qu’il avait raison, c’est pour cette raison que leurs réactions ont été si violentes.

Un ambassadeur palestinien m’avait bien résumé la situation en disant « Que les politiciens arabes arrêtent de surenchérir à nos dépens, ils nous font plus de mal que de bien » et c’est le cas depuis 70 ans. Cette surenchère doit être dénoncée parce qu’elle a été l’une des causes des malheurs des palestiniens. Certes il est plus facile de s’en prendre au sportif qui va jouer dans une compétition internationale contre un athlète israélien qu’aux nombreux pays arabes qui entretiennent discrètement des relations soutenues et même une coopération militaire avec le pire gouvernement qu’ait connu Israël depuis sa création. On dénonce la normalisation alors que des milliers de riches touristes arabes non palestiniens passent tous les ans leurs vacances en Israël ; on démonte un scanner pour trouver une pièce made in Israël on crie au scandale alors qu’on utilise des dizaines de logiciels israéliens chaque fois qu’on utilise son téléphone portable etc…et dire que cela dure depuis 70 ans !

Mandela disait « Tout ce qui se fait pour nous sans nous est fait contre nous ». La vérité est qu’il y a un énorme décalage entre la maturité des citoyens palestiniens qui vivent dans les territoires et les mises en scène faites par des politiciens jusqu’au-boutistes.Lors de ses discussions, mon amie universitaire palestinienne a tenu à se démarquer des discours antisémites, de la diabolisation et des accusations de trahison contre tel ou tel qu'elle jugeait inacceptables et faisaient le jeu d’Israël. Ayons le courage de regarder en arrière, depuis 70 ans tous nos errements ont été exploités contre nous de façon quasi-parfaite. Pourquoi les pires dictateurs arabes ont-il exploité le filon sans aucune retenue ? Il est touchant d’exprimer son engagement avec ferveur mais cela ne changera rien aux souffrances quotidiennes des habitants de territoires occupés. Ce conflit doit cesser d’être une aubaine pour nos politiciens. Concrètement qu’ont-ils à proposer ? Faire le pari sur la démographie ? C’est simpliste et en plus, c’est un faux calcul.

Posons-nous les bonnes questions, pourquoi les palestiniens ont été systématiquement piégés à chaque fois aussi bien à Madrid en 91, qu’à Oslo 1 et 2  ou encore à Camp David 1 et 2 ?
Chaque semaine, chaque jour qui passe creuse l’écart entre les israéliens et les palestiniens d’une part et plus grave encore entre les palestiniens eux-mêmes d’autre part. Bourguiba avait raison, il n’y a pas de solution miraculeuse, ayons le courage d’aborder d’une façon radicalement différente cette cause qui nous est si chère si nous voulons éviter le pire.

Dr Mohamed Salah Ben Ammar