News - 14.11.2019

Exclusif : Comment Ren Zhengfei a bâti en 30 ans l’empire Huawei: Ses souvenirs en Tunisie, son message à la jeunesse tunisienne

Comment Ren Zhengfei a bâti en 30 ans l’empire Huawei: Ses souvenirs en Tunisie, son message à la jeunesse tunisienne

Shenzhen, Sud de la Chine, de l’envoyé spécial de Leaders, Taoufik Habaieb - La première fois que Ren Zhengfei, fondateur icône de Huwaei Tehnologies, était venu en Tunisie, c’était il y a maintenant 17 ans, un 8 mai 2002. Il y était arrivé en miraculé. Ne devait-il pas prendre la veille un vol qui devait l’emmener du Caire vers Tunis. Malgré le printemps, la journée était pluvieuse, de gros brouillards s’abattaient cet après-midi-là d’un ciel lézardé par les éclairs. L’avion que devait prendre Ren Zhengfei s’écrase à l’approche de l’aéroport international de Tunis-Carthage, sur les hauteurs du parc Ennahli, faisant quinze morts parmi les soixante-quatre personnes qui se trouvaient à bord. Son collègue Lu Xiaofeng, qui y avait pris place, en sortira indemne, mais après avoir eu un noble geste en faveur d’une petite fille survivante, grelottant sous le froid et la pluie. Ce souvenir restera vivace dans la mémoire de Ren Zhengfei, comme il le confiera à Leaders. Mais, ce n’est pas le seul. Il découvrira les vestiges majestueux de la civilisation carthaginoise, la richesse d’un patrimoine historique millénaire, un pays où il fait bon vivre, une société ouverte et un peuple enthousiaste et ambitieux.

Ce qui avait le plus frappé Ren Zhengfei à l’époque, c’est que le PIB par tête d’habitant en Tunisie était de 1 400 dollars, pointant parfois jusqu’à 2 000 dollars, alors que la Chine n’était encore qu’à 1 000 dollars. A ses yeux, le pays jouit de réels potentiels qu’il faudrait savoir activer pleinement. Le rebond de la Tunisie doit s’appuyer sur l’implication dans la transformation digitale et la formation des compétences. Son message est de favoriser l’émergence de nouveaux leaders technologiques à même de s’imprégner des innovations, de les développer et de les déployer en faveur de la communauté, du progrès et de la prospérité.

C’est la première fois, depuis plus de trente ans, que Ren Zhengfei a accepté cette année de s’ouvrir aux médias. Préférant rester discret, loin des feux de la rampe, cultivant une modestie légère et affichant dans son style de vie une grande discrétion, il a toujours considéré que tout son temps doit être réservé au travail, à la réflexion et à l’inspiration motivante des équipes. Les sanctions américaines édictées le 16 mai dernier contre Huawei ont fini par le convaincre qu’il doit prendre la parole pour réfuter les accusations, apporter les clarifications nécessaires et défendre la réputation de son groupe. Parcimonieusement, Ren Zhengfei acceptera alors de s’entretenir avec des journalistes de renom, triés sur le volet, y compris parmi ceux qui sont les moins favorables à ses thèses. Se prenant au jeu, il aime le débat contradictoire et croiser ses réflexions avec des contradicteurs coriaces, n’éludant aucune question qui lui est posée.

Deux heures durant par une superbe matinée automnale d’un dimanche fin octobre dernier, Ren Zhengfei recevait alors l’envoyé spécial de Leaders au siège de Huawei à Shenzen, dans le cadre d’une rencontre de presse avec un groupe restreint de représentants de grands médias arabes venus du Maroc, de Tunisie, d’Egypte, d’Arabie saoudite, du Qatar, du Koweït et des Emirats arabes.

Dans ce magnifique palais ultramoderne, décoré avec beaucoup de goût, comme tant d’autres édifiés par Huawei dans la banlieue de Shenzhen, l’ambiance est fébrile, tant parmi les journalistes que le staff de Huawei. Le moment est en effet important dans l’attente de la rencontre avec Ren Zhengfei et le recueil de ses déclarations. Une fébrilité qui sera rapidement apaisée par l’arrivée très simple de la superstar du jour.

A dix heures précises, Ren Zhengfei débarque d’une modeste voiture: veste bleue, sur chemise rose, sans cravate, et pantalon beige, il arbore un large sourire accueillant. D’emblée, il passera un à un ses invités. Puis, prenant place juste en face, il commencera ses propos introductifs, après les mots de bienvenue, par une longue envolée sur tout son émerveillement par la civilisation arabe, millénaire et édifiante.

De cet émerveillement, il fera son fil conducteur pour décliner sa réflexion et livrer sa vision, avec comme question clé: «Pourquoi la civilisation arabe qui devançait la civilisation européenne de 3 millénaires a fini par se laisser dépasser par celle-ci?» Il s’attardera sur la construction de monuments exceptionnels restés aujourd’hui encore témoins du rayonnement arabe, mettra en exergue l’apport des architectes, ingénieurs et différents corps de métiers, rendra hommage à l’avancée des mathématiques et l’invention du zéro, en véritable révolution. Puis, remontant le temps, il reviendra sur les relations historiques entre le monde arabe et la Chine et leurs échanges commerciaux à dos de chameau.

La question du gap aujourd’hui enregistré taraude Ren Zhengfei. Il y apportera la réponse et prescrira en levier de rattrapage une transformation profonde de l’éducation, de l’économie et des services grâce à l’innovation technologique. C’est ce qu’offre précisément la 5 G. A force d’exemples, d’argumentaires sur l’épuisement inéluctable du pétrole, les grandes mutations dans le monde et les compétitions internationales, le plaidoyer de Ren Zhengfei se veut convaincant.

Le débat avec le fondateur de Huawei roulera alors rapidement sur les grandes questions d’actualité: les accusations américaines et les sanctions prises, leurs incidences sur l’organisation du travail de Huawei et sa croissance, les changements dans les chaînes de valeur globales, les nouvelles opportunités d’innovation et de création de valeur... Deux heures durant, sous le feu roulant des questions, Ren Zhengfei a livré des messages instructifs. Interview:

La Tunisie peut s’ouvrir davantage et devenir un grand centre technologique et manufacturier aux portes de l’Europe

Ren Zhengfei fait un parallèle intéressant entre Dubaï et la Tunisie : tous deux dépourvus de ressources naturelles et tous deux à même de connaître un grand essor, grâce à des choix judicieux. L’histoire voudra que Dubaï ait en fait adopté le concept fondateur de Carthage, un port très actif, ouvert sur un large marché, accueillant diverses nationalités et se tournant vers la mondialisation. La comparaison s’arrête à un certain moment, mais les voies de réussite à l’avenir convergent.

«Je suis passé pour la première fois par Dubaï en 1996, déclare Ren Zhengfei, dans ses propos préliminaires, lors du Projet Oil for Food par les Nations unies. A l’époque, on démolissait les maisons dans la ville et érigeait de nouvelles constructions. J’ai été très impressionné par l’ouverture de la culture dans cette ville. Dubaï se trouve dans une zone dépourvue de toute ressource et pourtant les gens se montrent très audacieux et très ouverts, ce qui a suscité mon admiration. J’ai lu un ouvrage de Sheikh Zayed pour qui j’ai énormément de respect. De retour en Chine, j’ai écrit un article intitulé «Les ressources finissent toujours par s’épuiser mais pas la culture humaine». Notre entreprise ne dispose pas de ressources naturelles, ce qui ne nous empêche pas d’exploiter le gisement pétrolier, de charbon ou les grandes forêts... dans le cerveau humain. Nous prônons une culture de travail dur qui se veut ouverte. J’ai également été en Tunisie pendant la même période. Le PIB par tête en Tunisie était de 1 400 dollars. La société tunisienne est très agréable à vivre. Ce sont toutes les deux des régions qui n’ont pas de ressources naturelles. Mais la rénovation de la religion a permis à la culture arabe de recommencer à dégager une splendeur sans pareille. Dubaï et la Tunisie ont donc joué un rôle exemplaire pour la région.»

Comment s’est passé votre premier voyage en Tunisie?

Quand je suis allé pour la première fois en Tunisie, mon collègue Lu Xiaofeng est parti un jour avant moi. Mais l’avion qu’il avait pris a subi un accident sur le territoire tunisien. Une quarantaine de passagers ont pu survivre, y compris mon collègue. J’étais censé prendre le même vol que lui mais j’ai eu un empêchement et j’ai dû partir plus tard. Au moment du crash, il pleuvait fortement.

Lu Xiaofeng a pris son portable pour appeler la police sous la pluie. Il a réussi à sauver une petite fille  qui grelottait en enlevant sa veste pour la couvrir. Quand je suis arrivé le lendemain, je lui ai fait cadeau d’une nouvelle veste et d’un nouveau pantalon. C’était en 2002. A l’époque, le PIB par tête en Tunisie était à peu près de 2 000 dollars alors que le PIB par tête en Chine n’était que de 1 000 dollars. J’ai trouvé la société tunisienne très harmonieuse, très agréable, avec un paysage magnifique sur la côte de la Méditerranée. Ce pays m’a donc laissé une très belle impression. Bien sûr j’y suis retourné beaucoup de fois depuis, mon impression du pays s’améliorant chaque fois.

La Tunisie est avide d’innovation technologique comme celle développée  par Huawei? Comment pourrait-elle en bénéficier, notamment à travers sa jeunesse talentueuse, mais aussi contribuer à son enrichissement?

Le développement tunisien est le fruit de la rénovation de votre religion. Je trouve que le pays pourrait être encore plus ouvert. Vous n’êtes séparés de l’Europe que par la mer alors que la main- d’œuvre coûte bien moins cher dans votre pays. L’Europe devrait délocaliser les centres manufacturiers dans les pays de cette région.

Comment réussir un tel transfert ? D’abord, la formation. Et puis, l’amélioration des infrastructures, y compris bien évidemment celles de la télécommunication et du réseau qui permettent de rendre l’éducation beaucoup plus accessible. La Corée du Sud est un pays qui a énormément investi dans la 4G. Si les opérateurs de télécom n’ont pas touché un rendement extrêmement élevé, ces efforts ont au contraire contribué à la croissance du PIB. Chaque dollar investi dans les infrastructures d’ICT permet de générer bien plus de dollars. C’est pour cette raison que l’IA et la 5G sont des technologies très importantes pour votre pays.

Si vous souhaitez ce transfert du secteur manufacturier européen, il faut vous adapter à leur système, leurs standards et leurs normes.

Hier vous avez visité les lignes de production de Huawei. Depuis la conception jusqu’à l’approvisionnement en passant par la fabrication, nous utilisons les logiciels allemands de Siemens et de Bosch ou bien du français Dassault. Beaucoup d’équipements de production sont fabriqués par les Japonais et les Allemands. Il n’y a qu’une faible partie de l’IA qui a été développée par nous-mêmes. Il n’y a presque personne dans ces lignes de production qui mettent une vingtaine de secondes pour créer un smartphone à partir de zéro. Je suis donc convaincu que l’industrie va progressivement se délocaliser. Il faut qu’on soit prêts pour ce jour. Il faut embrasser la mondialisation avec détermination.

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