Mohamed kasdallah: Interopérabilité des forces armées maghrébines dans la lutte antiterroriste: essai d’appréciation de situation
La contribution de cet article, appuyé notamment sur l’expérience multinationale de l’auteur, se veut pragmatique: elle ne traitera pas des aspects symboliques, politiques ou économiques de la question, elle s’efforcera, en partant de ce qui pourraient être nos besoins opérationnels en matière de lutte antiterroriste et de ceux de nos voisins actuellement et dans les années à venir, d’évaluer la situation et d’envisager quelques pistes de coopération.
Le titre aurait pu être: le Maghreb de la défense ou la défense du Maghreb, mais en ces moments d’aridité argumentaire, il y aura toujours des éternels grincheux qui ne verront que des nuages s’accumuler au-dessus de nos têtes tourmentées. C’est pourquoi, je dénonce au passage, l’influence néfaste de ceux dont la seule préoccupation est de saper le moral de tout ce qui bouge et que l’on peut qualifier de «munitions inépuisables» du terrorisme.
Après quelques décennies de lutte antiterroriste dans nos régions et en dépit de quelques succès irréfutables, on dirait que la lutte n’a pas gagné un pouce puisque les tangos continuent à hanter nos montagnes voire nos villes et villages .Pourquoi alors ne pas susurrer dans l’oreille des décideursque les insuffisances actuelles pourraient être corrigées et les obstacles pragmatiquement contournés en agissant ensemble. Seule une coopération étroite et poussée entre nos Armées peut en finir avec ce fléau. Pourcela, une réelle volonté politique est indispensable afin de fédérer les efforts en suivant la voie de la sagesse, de la pondération et de la clairvoyance.
Les Maghrébins disposent, peut-être sans le savoir, d’une base non négligeable pour conduire des actions militaires conjointes. Toutefois, la coopération en matière de préparation opérationnelle est un prérequis nécessaire pour obtenir un standard d’interopérabilité le plus élevé possible pour fluidifier le travail en commun car la vie de nos soldats et la victoire en dépendent.
L’interopérabilité, de quoi s’agit-il? De prime abord, c’est un vocable inconnu jusqu’ici à l’échelon maghrébin. Il peut être défini par la capacité de forces de pays différents à intervenir de manière coordonnée et efficace. Il s’agit de l’aptitude pour une entité opérationnelle d’un pays à travailler de façon fluide avec d’autres entités de pays amis, sans nécessiter un temps de montée en puissance trop important.
L’expérience a permis de distinguer trois niveaux d’interopérabilité:
- L’interopérabilité technique, et en particulier dans le domaine des télécommunications. Les équipements nécessaires doivent être autant que possible d’une grande compatibilité afin d’échanger en temps réel l’information opérationnelle et le renseignement permettant la prise de décision donc l’action. La compatibilité en matière d’équipement peut aussi permettre des gains significatifs en termes de maintenance et de soutien logistique.
- L’interopérabilité opérationnelle, qui couvre la doctrine et les procédures qui doivent être connues et compatibles et sans lesquelles la compréhension de la manœuvre envisagée n’est pas possible.
- L’interopérabilité culturelle, qui permet une compréhension partagée des analyses des enjeux et sur laquelle s’établit la confiance réciproque indispensable à un engagement en commun. Des militaires parlant le même langage tactique (et si possible la même langue) permet de travailler ensemble pour remplir la même mission .Cette dimension est essentielle car aucun développement technologique ne remplacera la connaissance et la compréhension préalables des méthodes de travail et de réflexion tactique du partenaire.
Il va de soi que l’interopérabilité ne se décrète pas, elle se construit jour après jour par une connaissance mutuelle et une pratique du «s’entrainer ensemble» lors d’exercice commun. Elle exige volonté et persévérance pour avancer et pour effacer nos différences voire nos différents.
Quelles voies a emprunter concretement à présent?
On le voit, on ne part pas de rien, du moins avec nos frères algériens avec qui la coopération en matière de lutte antiterroriste n’est pas encore à imaginer. La situation actuelle avec l’Algérie permettrait d’ores et déjà de constituer et d’engager une force de taille respectable et au fonctionnement satisfaisant.
Pour rester dans le souci de pragmatisme que s’est fixé cet article, il convient de trouver des voies de coopération présentant un bon rapport coût-efficacité dans des délais raisonnables. On en évoquera trois:
- La pratique des échanges d’officiers
Cette pratique est ancienne elle est particulièrement vertueuse avec un double effet: un effet immédiat en bénéficiant de l’expertise, de l’expérience et de ressenti d’une solidarité réciproque .Un effet différé lors du retour de cet officier dans les rangs de son armée nationale qu’il nourrit à son tour de ce qu’il a vu ou appris lors de son détachement.
- Coopération dans les domaines de la formation et l’entrainement
En perspective d’actions communes entre maghrébins, il conviendrait de multiplier les champs de formation, en particulier aux grandes écoles telle l’école de guerre. C’est là qu’on y travaille en profondeur les divers aspects de l’interopérabilité et tout particulièrement son volet culturel.
Aussi, au lieu de se disperser, pourquoi ne pas imaginer développer, quelque part sur les frontières, un centre d’entrainement spécifique pour le combat contre le terrorisme .Le camp de Souk el Jomaa est tout indiqué pour la création de ce centre.
On peut également envisager le jumelage de certaines unités militaires des deux armées; exemple: les centres para commandos d’Erroumadia en Tunisie et son similaire de Biscra en Algérie.
- Coopération dans le domaine de la simulation
Un domaine d’avenir où une coopération est indispensable, c’est celui de la simulation dédiée à l’entrainement.
Les voies qui s’ouvrent avec le développement de l’Intelligence Artificielle (IA),de la robotique doivent être explorée impérativement au niveau maghrébin. Le champ des possibles sera sans doute immense avec l’IA dans le développement des automates des logiciels de simulation du combat pour permettre un entrainement plus réaliste selon le principe sacré du fameux «train as youwillfight».
Voilà quelque exemples de pistes à explorer pour développer encore plus la coopération maghrébine en matière de préparation opérationnelle et de lutte antiterroriste. C’est le prix à payer pour que nos armées soient au rendez-vous des engagements de demain. En attendant qu’un jour peut-être les politiques comblent leur retard.
Puisse cet article servir de matière de réflexion au niveau de la Présidence de la République et précisément à l’équipe conduite par notre frère et ami, le Général de Brigade M.S El Hamdi, nouveau Conseiller présidentiel de la Sécurité Nationale. Cela aura pour mérite de bien situer la question militaire maghrébine à son bon niveau, le niveau politique.
Mohamed kasdallah