Cette faculté des Sciences juridiques de Tunis, moule des nouveaux top stars
Quid de cette faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis (Fsjpst) dont le nom est désormais collé à celui de l’un de ses anciens enseignants, Kaïs Saïed, propulsé au second tour de l’élection présidentielle ? Le candidat donné favori à la magistrature suprême n’est pas l’unique de ses étudiants et enseignants à se hisser au premier plan de la scène politique depuis le 14 janvier 2011. Véritable pépinière de compétences, elle a en effet nourri tous les versants de la révolution, qu’il s’agisse de la réforme institutionnelle et constitutionnelle, de l’Assemblée nationale constituante, puis l’ARP, ou encore le gouvernement, les différentes commissions et instances, la diplomatie, les médias et même le pouvoir local.
Tout est particulier dans ses gènes depuis sa création il y a 32 ans, en 1987. «Le concept fondateur était une rupture pédagogique dans l’enseignement du droit au sein du corps enseignant, en favorisant de nouvelles vocations dans l’enseignement et la recherche », explique à Leaders un universitaire témoin de cette mutation. Si on voulait former des magistrats, des avocats et des juristes appelés à exercer essentiellement de chaque côté du prétoire, la Fsjpst a été voulue en creuset de recherche tout en encourageant les autres aspirations. Aujourd’hui, le palmarès est édifiant, nous indique Neila Chaabane, doyenne de la faculté : plus de 30 000 titulaires de divers diplômes, entre licence, maîtrise, mastère et doctorat. Cette année, on est à plus de 2 000 étudiants dont 1 300 en licence et mastère et 500 doctorants. Le corps enseignant est formé de 112 universitaires permanents auxquels s’ajoutent les vacataires et les contractuels.
Du campus, puis en montant de Sousse
Kaïs Saïed n’y est arrivé qu’à la fin des années 1990, en provenance de la faculté de Droit de Sousse où il avait enseigné pendant plus de 10 ans. Il a fait ses études de droit au campus universitaire d’El Manar, couronnées par un DEA. Chargé de créer la faculté de Sousse, son professeur et encadreur Béchir Tekkari (qui sera plus tard ministre de la Justice) lui demandera de l’y rejoindre avec deux autres de ses collègues. Tous trois allaient donc prendre le train ensemble, deux ou trois jours par semaine, pour se rendre à Sousse. Les jours fastes, c’était quand le Pr Mohamed Mahfoudh, le père du Pr Haykel Mahfoudh, avait cours à Sousse, il les invitait alors à l’accompagner dans sa voiture. C’est à Sousse que Kaïs Saïed fera la connaissance d’une jeune étudiante studieuse, Achraf Chebil, originaire du Sahel, qui deviendra son épouse (actuellement magistrate). L’enseignant universitaire, si sérieux, refusera d’énoncer la question qui devait être administrée et de corriger la copie de son étudiante. Plus tard, lorsqu’il sera à la faculté des Sciences juridiques, l’un de ses fils était orienté après le bac à cette même université. Saïed s’emploiera à lui faire changer d’orientation «pour qu’on ne dise pas de lui, le fils de…»
Grande énigme
Muté à Tunis, Kaïs Saïed était heureux de se retrouver dans cette faculté d’avant-garde. Il prendra la relève du Pr Abdelfettah Amor pour enseigner le droit constitutionnel aux jeunes étudiants et, de l’avis de tous, y excellera. Rapidement, il se fera un nom, et affirmera un caractère qui est devenu sa marque propre. Un seul paradoxe, lui qui a toutes les qualités académiques requises et les connaissances juridiques approfondies, pourquoi s’était-il contenté de son statut de base d’assistant universitaire, sans chercher à monter en grade ? Pourquoi surtout n’a-t-il pas soutenu sa thèse de doctorat ? Grande énigme ! Refusait-il de se soumettre à l’évaluation de ceux qui ne pouvaient du moins l’égaler en compétence ? Ou, plutôt, perfectionniste à l’extrême, estime-t-il toujours que sa thèse est inachevée ? C’est probablement cette explication qui est la plus plausible. Peu sensible aux grades et fonctions, ainsi qu’à leurs attributs financiers, Kaïs Saïed ne tient qu’à l’aboutissement, comme il le souhaite, de ses travaux et publications. Cette posture, et il le savait sans y prêter attention, devait lui coûter un départ à la retraite à l’âge de 60 ans, au lieu de 65 ans pour les grades supérieurs. Ce qui se passera donc en février 2018. Qu’à cela ne tienne pour lui.
En hommage, la faculté l’invitera à prononcer le cours inaugural de l’année universitaire. Magistral. Mais, comme toujours, le texte final n’en est pas encore publié. Une cérémonie de départ était également organisée en son honneur : très conviviale. Kaïs Saïed en a été ému, mais surtout très heureux. Il continuera à venir parfois à la faculté, consulter un ouvrage, rencontrer disciples et collègues, le lien est resté fort.
Au palmarès
Quand on dit faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, on ne peut omettre de citer ses prestigieux doyens : les Prs Abdelfettah Amor (septembre 1987 - avril 1993), Yadh Ben Achour (avril 1993 - avril 1999), Kalthoum Meziou (avril 1999 - avril 2002), Mohamed Salah Ben Aïssa (avril 2002 - juin 2008), Larbi Fadhel Moussa (2008 - 2014), Lotfi Chedly (2014 - 2017) et l’actuelle doyenne, Neila Chaabane. Ni ses illustres figures : Mohamed Charfi, Dali Jazi, Sadok Belaid, Rafaa Ben Achour, et bien d’autres, avec une génération montante des plus qualifiées.
Kaïs Saïed n’a pas été doyen. Il sera, sauf surprise de dernière minute, président de la République, s’ajoutant ainsi au palmarès de cette prestigieuse faculté.