Lauréat du Prix Nobel de la paix 2019, le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed avait séduit Béji Caïd Essebsi
Béji Caïd Essebsi aurait célébré cette haute distinction et vivement en féliciter son heureux récipiendaire qu’il avait longuement rencontré à Addis Abéba, en février dernier. Le prix Nobel de la paix 2019 a en effet été attribué ce vendredi au premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed. Il est récompensé « pour ses efforts en vue d’arriver à la paix et en faveur de la coopération internationale, en particulier pour son initiative déterminante visant à résoudre le conflit frontalier avec l’Erythrée », comme l’a déclaré la présidente du comité Nobel norvégien, Berit Reiss-Andersen. C’est là une reconnaissance à «tous les acteurs œuvrant à la paix et la réconciliation en Ethiopie et dans les régions d’Afrique de l’Est et du Nord-Est », a-t-elle ajouté.
Le premier ministre Abiy Ahmed succède ainsi à Nadia Murad, la militante yézidie victime de l’esclavage sexuel en Irak sous la tyrannie de l’Etat islamique (Daech) et au gynécologue congolais Denis Mukwege, qui ont été conjointement primés en 2018 en reconnaissance de leur combat contre les violences sexuelles.
L’Utica, dont l’ancienne présidente, Ouided Bouchamaoui est co-lauréate avec les autres membres du Quartet, de cette haute distinction pour l’année 2015, a été prompte à adresser ses vives félicitations au chef du gouvernement éthiopien et saluer ses mérites. « C’est un acquis précieux pour notre continent africain et pour nos deux pays », écrit Samir Majoul, le président de la centrale patronale tunisienne.
Un lien très particulier
Le nouveau prix Nobel de la paix 2019, Abiy Ahmed, a un lien très particulier avec la Tunisie et plus particulièrement son ancien président, Béji Caïd Essebsi. Leaders l’avait déjà mentionné, dans son reportage sur la participation du chef de l’Etat au 32 Sommet de l’Union africaine.
Elle mérite d’être détaillée. Nous sommes le lundi 11 février 2019 à Addis Abeba où le président Caïd Essebsi conduisait la délégation tunisienne. Ce jour-là, il devait se rendre tôt à l’imposant palais historique de l’Empereur Hailé Sélassié, où devait le recevoir en grande pompe la présidente de la République, Sahle-Work Zewde (ancienne ambassadrice à Tunis). Un moment haut en couleur qui revient sur des relations bilatérales historiques et le rôle joué par Bourguiba, en 1963, pour la création de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA). La séquence suivante du programme initial, établi avant le départ de Tunis, ne prévoit qu’un passage au centre des congrès où se tiennent les travaux du sommet et une rencontre avec des représentants de la communauté tunisienne installée en Ethiopie.
Changement de dernière minute, le président Caïd Essebsi recevra à 10 heures du matin, au salon qui lui est réservé au deuxième étage du centre des congrès, le tout nouveau premier ministre éthiopien, Ahmed Abiy. Le ministre des Affaires étrangères, Khemaies Jhinaoui et l’ambassadeur de Tunisie à Addis Abeba, Kais Kabtni étaient présents. Récit.
Un grand réformateur
Pendant plus de 45 minutes, l’entretien en anglais, sans interprète, entre le président Béji Caïd Essebsi et le jeune Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed (42 ans), a été impressionnant. A la tête de la coalition au pouvoir, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (Fdrpe), il succède à Haile Mariam Dessalegn, démissionnaire, au poste de Premier ministre le 2 avril 2018. Son tour de force est d’être un rassembleur, mais aussi un transformateur. En quelques mois seulement, il a su apaiser tant de tensions internes, désamorcer tant de conflits et dépasser les questions ethniques, religieuses et politiques, pour forger une union sacrée.
Reprenant à bras-le-corps le programme de croissance et de transformation économique, en imposant des réformes urgentes et une âpre lutte contre la corruption, il lance en parallèle un grand plan social. Abiy Ahmed ne se contente pas de cette dynamique interne qu’il imprime au pays. Il se lance en effet dans un ambitieux projet de pacification de l’ensemble de la Corne de l’Afrique ensanglantée par des guerres (Somalie, Erythrée...) et le terrorisme. Profitant de la nouvelle donne dans les pays du Golfe, au Yémen et sur les rivages de la mer Rouge, il positionne son pays, l’Ethiopie, en nouveau partenaire privilégié des grandes puissances occidentales, du Golfe et de la Chine.
Abiy Ahmed sera tout ouïe pour écouter les analyses géostratégiques que sait faire Béji Caïd Essebsi. Et le président Caïd Essebsi sera très attentif aux explications fournies par le nouveau leader de la région. Avec, évidemment, les perspectives de coopération entre les deux pays. Un véritable coup de foudre.
Taoufik Habaieb
Envoyé spécial à Addis Abeba