Lettre de Bagdad : Au milieu du chaos irakien !
«Garder sa tête quand tous les autres la perdront !» Cette phrase du célèbre poème de Kipling, n’arrête pas de raisonner dans mon esprit comme un garde-fou pour ne pas sombrer dans la panique générale ! Un silence assourdissant hante les bureaux environnants ! Personne n’est là, internet est coupé et avec lui ma seule fenêtre vers le monde extérieur ! Le couvre-feu a été décrété à 5 heures du matin, ce jeudi 3 octobre, à Bagdad. Un sentiment de déjà vu me rappelle un certain 25 janvier 2011, où à 7 heures du matin, j’étais à l’aéroport du Caire en partance pour Tunis, le régime de Moubarek avait décidé de couper internet, pensant qu’en faisant cela, il pouvait empêcher un peuple en colère de descendre dans la rue pour crier haut et fort son mécontentement !
Il semblerait que les gouvernants n’apprennent pas les uns des autres. A Tunis, le Caire ou à Bagdad, même autisme généralisé ! C’est à croire qu’ils le font exprès. Je suis sidérée par le manque d’imagination et d’intelligence émotionnelle des uns et des autres. Je ne le répéterai jamais assez, les peuples sont pauvres financièrement mais pas émotionnellement ! Ils peuvent se taire pendant des années mais quand la goutte de trop est versée, elle les fait tous descendre dans la rue, tel un animal blessé, et qui en veut au monde entier pour sa souffrance. Quand nos gouvernants vont-ils enfin comprendre qu’il faut arrêter d’insulter l’intelligence de leur peuple ? Leur silence n’est jamais qu’un répit entre deux révolutions !
La lame de fonds est en train de grandir dans plusieurs pays de la région et le jour où elle va s’élever à son maximum, tel un Tsunami, elle balayera tout sur son chemin !
Les consignes sont claires, le moins de mouvements possibles et rester dans nos chambres qui sont sécurisées grâce à une double cloison ! Je ne suis pas sûre si la double cloison est anti-balles ou anti-missiles. Je me rends compte de l’absurdité de me poser une question pareille maintenant…est-il trop tard ? Demain vendredi 4 Octobre, tout le monde craint le pire, 19 personnes sont déjà tombées et demain, leurs familles comme des milliers d’autres descendront dans la rue pour réclamer vengeance ! Que peut-on contre une foule en colère…rien ou presque !
Cloîtrée dans ma chambre, je ne tiens plus le coup, j’enfile ma tenue de sport, je préfère sortir et supporter le bruit des balles et des bombes lacrymogènes qui ne s’arrête plus maintenant ! Ce bruit continu est plus rassurant que le silence effrayant de ma chambre ! Sans m’arrêter, je me rends compte que cela fait plus de 90 minutes que je cours dans la salle de gymnastique comme pour m’exorciser de cette peur enfouie en moi depuis des millénaires. Fascinée par l’écran de télévision en face de moi où des images défilent en boucle, des visages menaçants, des blessés, des jeunes pliés en deux par la douleur insoutenable d’avoir perdu l’un des leurs…et enfin l’horreur, une femme qui sort de sa voiture en flamme et une explosion l’empêche de sauver sa petite fille qu’elle voit bruler devant ses yeux ! L’horreur a-t-elle un nom ? Ce soir, elle porte le prénom de ce petit ange parti pour un monde meilleur !
Je rentre, essoufflée par cette course folle pour échapper au drame qui se joue devant mes yeux, mais ma mémoire gardera à jamais ces images qui hanteront désormais mes nuits et mes jours !
A quand la paix pour ce peuple frère qui n’a connu que la guerre ces dernières 40 années ?
KTM
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Comme je t’ai toujours connu: courageuse et perceptive! Tu m’as remporté une fois encore à mon passé tout récent plein de cris de cœur et d’aventures . Bonne chance à Baghdad et garde ta tête:) . ❤️❤️