Mohamed Larbi Bouguerra: Il y a soixante-dix ans, la Chine brisait ses chaines
Ce qui se passe en Chine devrait faire réfléchir les Tunisiennes et les Tunisiens à l’heure où nous allons librement décider de l’avenir de ce petit pays pour les cinq ans à venir et peut être pour bien plus longtemps encore. La Chine n’est pas le paradis sur terre mais son développement et ses progrès doivent nous interpeler.
Ce furent cinq minutes mémorables. Le 1er octobre 1949, Mao Zedong proclamait la République populaire de Chine depuis la terrasse de la Porte- de la Paix- Céleste, face à la Cité interdite et l’un des monuments symboliques du pays. Il devait figurer par la suite sur le blason du nouvel l’Etat. 300 000 personnes écoutent le chef victorieux de la Longue Marche célébrer ce «peuple (qui) s’est levé».
La Chine, une nation qui veut devenir moderne et reprendre sa place dans le monde. Bien sûr, la Chine a offert au monde les «quatre inventions»: le papier, la boussole, l’imprimerie et la poudre à canon mais elle vise plus à présent. Aujourd’hui, elle ne vise rien moins que la Lune et est la deuxième puissance économique mondiale.
Un «miracle»?
En 1949, la pauvreté des paysans était effroyable. L’analphabétisme fleurtait avec les 80% et l’économie chinoise ne dépassait pas 1% du PIB mondial. L’espérance de vie était de 40 ans à peine.
La Chine sortait en fait exsangue des invasions étrangères – notamment japonaise, française et britannique-et de la guerre civile contre le Guomindang du Maréchal Tchang Kaï-chek, battu à plate couture par les communistes et contraint de se réfugier à Taïwan en décembre 1949.
Des humiliations à la pelle
«Le peuple (qui) s’est levé » avait détruit en 1839 le stock d’opium importé par les Anglais en échange de thé et de soie. La perfide Albion envoya alors un corps expéditionnaire qui occupa la Chine méridionale. Il dut céder Hong Kong en 1842 mais la France et le Royaume Uni lui firent une 2ème guerre de l’opium, organisèrent le sac du Palais d’Eté et imposèrent la légalisation de l’importation de l’opium en 1860 (Traité de Pékin) afin de contrôler les ports. Quant au Japon, il annexa, en 1931, la Chine avec la complicité des Etats signataires du Traité de Versailles. L’armée de l’Empire du Soleil Levant commit des horreurs sans nom et d’horribles crimes de guerre contre le peuple chinois allant jusqu’à utiliser des armes chimiques et bactériologiques.
Le 1er octobre 1949, l’infâme slogan du parc de Hangpu de Shanghai «Interdit aux chiens et aux Chinois» devint une tache au front des colonisateurs européens et japonais. Dans ses deux grands romans «chinois», Les Conquérants (1928) et La Condition humaine (1933), André Malraux voyait loin: il traite des luttes politiques et sociales qui se sont déroulées à Canton en 1925, puis à Shanghai en 1927 et montre que la Chine faisait son entrée dans l’Histoire contemporaine et allait mettre fin aux humiliantes « concessions » ces zones urbaines sous administration étrangère (France, Italie, Allemagne, Belgique, Grande Bretagne). Tout comme l’ancien ministre de de Gaulle, Alain Peyrefitte qui a écrit un livre évènement « Quand la Chine s’éveillera…le monde tremblera» en 1973 dans lequel il affirme sa conviction que le peuple chinois sortira du sous-développement.
Peuplée de 475 millions de personnes, le quart de l’humanité, la Chine reprenait son destin en main en 1949. Un pays immense avec 56 nationalités et 55 minorités selon la classification officielle des années 1960.
Tout est à reconstruire. Il y a tant de féodalités. Et le père de Mao lui-même n’est autre qu’un propriétaire terrien tyrannique qu’il faut remettre à sa place et donner leurs droits à ses vassaux et à ses serfs, paysans misérables et férocement exploités.
Parmi les premières lois adoptées, il y a celle sur le mariage qui date de juin 1950 et fait voler en éclats la famille patriarcale. La loi autorise maintenant le divorce et assure l’égalité homme-femme. Elle met fin au terrible bandage des pieds des femmes datant de la première République de 1912.
Une leçon d’histoire
Dans un article sur la démocratie populaire, Mao revient sur les éléments – devenus historiques- qui ont rendu possible la victoire : « Si l’Union soviétique n’existait pas, s’il n’y avait pas eu de victoire à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale antifasciste, si, ce qui est particulièrement important pour nous, l’impérialisme japonais n’avait pas été anéanti, si les pays des démocraties populaires n’étaient pas apparus en Europe…la pression exercée par les forces réactionnaires internationales aurait certainement été beaucoup plus forte qu’elle ne l’est aujourd’hui. Aurions-nous pu, dans ce cas, remporter la victoire?
Certainement pas. » Mais dans les mois qui précèdent la victoire des communistes sur les nationalistes du Guomindang en 1949, Mao pointe un autre adversaire: «L’impérialisme existe encore près de nous et c’est un ennemi très cruel, il faudra encore beaucoup de temps pour que la Chine réalise pleinement son indépendance économique. Celle-ci ne sera atteinte que lorsque l’industrie sera développée et que la Chine ne dépendra plus économiquement des puissances étrangères.»
Le Grand Bond en avant de 1958 sera cependant un dramatique échec. La Révolution culturelle créera un chaos qui s’étalera sur une longue et pénible décennie qui comptera parmi ses victimes le propre père de l’actuel chef de l’Etat Xi Jinping.
De succès en succès
La Chine s’affirmera cependant comme grande puissance sur la scène internationale et entre aux Nations Unies et au Conseil de Sécurité en 1971 éliminant l’Etat-croupion de Taïwan qui ne représente guère le peuple chinois. Le président américain Richard Nixon rendra visite à Mao et le général de Gaulle enverra en 1964 comme premier ambassadeur de France Lucien Paye, ancien directeur de l’éducation publique en Tunisie du temps du Protectorat.
La Chine organise l’Exposition Universelle en 2010. Elle fait partie du G20. Grâce aux Routes de la Soie, elle se projette à l’extérieur et elle fait des progrès fulgurants dans l’exploration spatiale (Site de Leaders du 10 janvier 2019). Une Chinoise, le Pr Youyou Tu, a décroché en 2015 le Prix Nobel de Médecine ou de Physiologie (site de Leaders 25 octobre 2015)
Aujourd’hui, la Chine est en pointe dans les champs les plus avancés de la recherche scientifique : elle est le champion du monde pour le nombre de diplômés en science, en technologie et ingénierie soit quatre fois plus que les Etats Unis. Elle est le champion du monde du dépôt de brevets d’invention. Si elle s’est propulsée au 2ème rang mondial et est devenue le « rival systémique » de l’Union Européenne, elle le doit en grande partie à son industrie chimique. L’entreprise d’Etat SINOPEC, le plus important fabricant de produits chimiques de Chine, a réalisé pour 55,3 milliards de dollars de ventes en 2017, enregistrant ainsi une croissance de 32%. La Chine est en outre le premier producteur mondial de ciment, d’acier et d’aluminium. Premier rang encore pour la vente d’ordinateurs, de smartphones, de la 4G et de la 5G.
La Chine a été en mesure d’organiser les Jeux Olympiques en 2008. Un ancien député, Lau Nai-keung fait le lien avec l’acte fondateur de Mao: «En regardant en arrière, on se rappelle Mao Zedong, qui, le 1er octobre 1949, déclarait : « Le peuple chinois s’est levé ». La déclaration sonnait dans le vide, comme une déclaration d’intention. Quand, soixante ans plus tard, le 8 août 2008, son successeur de la quatrième génération, Hu Jintao, a officiellement ouvert les Jeux Olympiques, on peut dire, sans aucun doute possible, que le peuple chinois s’est levé. La Chine est désormais une force avec laquelle il faut compter ; elle a rejoint le club des nations incontournables. » (South China Morning Post). La Chine remettra çà en 2022 en accueillant les JO d’hiver.
Le 29 septembre 2019, le Livre Blanc publié par le gouvernement parle du « miracle » chinois et proclame que ses nouvelles capacités militaires sont « au service de la paix » soulignant : « En soixante-dix ans, sous la direction du Parti communiste chinois, la République populaire de Chine a connu de profonds changements et réalisé un miracle de développement économique sans précédent dans l’histoire de l’humanité…La Chine a réussi à accomplir quelque chose que les pays développés ont mis plusieurs centaines d’années à réaliser. » Mais la Chine ne possède qu’un unique porte-avions quand les Etats Unis peuvent en aligner une cinquantaine. Mais l’espérance de vie est passée à 77ans (79 ans aux Etats Unis mais le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz affirme dans le Monde du 25 septembre 2019 page 13 qu’elle diminue actuellement dans son pays à cause de la privatisation de la santé).
Face à la pollution, la Chine a engagé un énorme effort de reboisement de 35 millions d’hectares soit près de 3 fois la superficie de la Tunisie. Elle a aussi investi 760 milliards de dollars entre 2010 et 2019 dans les énergies renouvelables contre 356 milliards de dollars pour les Etats Unis.
L’éducation est la clé de ce succès ou plutôt de ce «miracle».
Mao Zedong affirmait: «La liquidation de l’analphabétisme, la littérature et l’art pour les masses, la santé publique, tout cela ne serait-il pas que de vains bavardages si on laissait de côté les 360 millions de paysans?»
De fait, les politiques éducatives chinoises ont permis de porter le taux d’alphabétisation, inférieur à 20% en 1950, à plus de 95% au début des années 2010, contre moins de 70% en Inde et 85% pour la moyenne mondiale. Actuellement, le taux de scolarisation est de 98,9% dans le primaire et de 94,1% dans le secondaire.
C’est ce qui permet au président Xi Jinping de brandir à la face du monde « le rêve chinois » - la résistance nationale après des siècles de domination étrangère dit le New York Times du 30 septembre 2019 - et de déclarer ce premier octobre 2019, à 10h, du balcon de la Porte-de-la-Paix-Céleste : « Aucune force ne peut entraver le progrès du peuple chinois et de la nation chinoise. Aucune force ne pourra bousculer le statut de la Chine ni empêcher le peuple et la nation chinois d'aller de l'avant » (Le Monde, 2 octobre 2019, p. 2)
Mohamed Larbi Bouguerra
Lire aussi
Un document exceptionnel: Le verbatim des entretiens Bourguiba-Chou En-lai en 1964