Taoufik Habaieb - Tunisie : Une cohabitation en plein chaos démocratique
La Tunisie, désarticulée, aborde en ce mois d'octobre une redoutable phase de chaos. Sans points d’appui solide, elle traversera des convulsions successives qui risquent de durer longtemps et de coûter fort cher.
C’est vers une cohabitation, jusque-là inédite, à trois têtes, que nous nous acheminons, à l’issue des élections législatives et du second tour du scrutin présidentiel. Sauf un passage en force de Nabil Karoui sans Ghannouchi, à ne pas exclure, le trio Kaïs Saïed à Carthage, QalbTounes et Ennahdha au Bardo et la Kasbah, avec les « indépendants » et les rares partis rescapés, en galaxie, ne favorisera ni rapidement, ni facilement, la synergie entre trois visions et trois programmes pas nécessairement convergents.
L’antagonisme sera fort. Produit de la confrontation entre une transition politique qui n’a pas livré toutes ses promesses et une transformation économique et sociale qui n’a pas généré ses premiers dividendes, la Tunisie est désemparée. Prise entre une révolution trahie dans ses revendications profondes et une démocratisation inachevée, elle aborde une nouvelle séquence d’apprentissage à l’issue incertaine.
Relance économique mise entre parenthèses, fragilisation des fondements de l’Etat et de ses institutions, la remise en question des acquis de l’après-14 janvier 2011 et même de la période qui l’a précédé est ouverte à tous les pronostics. Les voies de l’espoir seront étroites. L’instabilité consacrera l’incapacité à gouverner le pays et sa remise sur orbite tant escomptée.
Les nouveaux jacobins qui s’installent, en toute démocratie, aux commandes et ils n’ yront pas de main morte. Les délibérations seront dans le cafouillage des décisions.
Le nouveau gouvernement ne sera pas facile à former. Avec quelles alliances et sur la base de quel programme ? Les ego des uns et les intérêts des autres ne feront que compliquer la donne. Tout comme la composition du bureau de la nouvelle Assemblée et la répartition des présidences de ses commissions.
Le champ politique en recomposition devient complexe. Les clivages classiques, islamistes / modernistes, régions prospères / zones défavorisées, élite aux différents pouvoirs / humbles citoyens, s’estompent. La précarité, le chômage, l’érosion du pouvoir d’achat, la dégradation des services publics, de la santé, des transports et de l’éducation s’imposent aux urnes avec une rare sanction violente et largement portée.
Comment reconstituer cette Tunisie exaspérée qui, sous le coup de multiples fractures, peine à retrouver ses ressorts de survie ? Qui sera l’incarnation, aux yeux des pauvres et démunis, mais aussi de la classe moyenne abandonnée et laminée, du salutaire redressement politique, économique et social vivement escompté ?
La démocratie, sans nourrir ses enfants, encore moins améliorer leur sort, aura enfanté ses propres démons. Sur fond de détérioration aggravée des finances publiques et dans un contexte régional et international de plus en plus à hauts risques.
Le chaos démocratique est redoutable. Les forces politiques, cloîtrées jusque-là dans l’illusion de leur puissance, ont perdu, à travers les urnes, de leur poids et de leur ascendant présumés. La redistribution des nouveaux pouvoirs et surtout des richesses sera l’onde de choc qui secouera la Tunisie durant les années à venir.
S’armer de patience et faire preuve de résilience et de la vigilance citoyenne, tout cela risque de ne pas suffire aux Tunisiens. En ces temps de graves turbulences qui menacent l’unité de la nation, la Tunisie est à sauver et les Tunisiens à rassurer.
Qui en sera capable ?
Taoufik Habaieb