Mohamed Meddeb: M. le Président de la République, il vous revient de sauver le pays de cette dangereuse impasse !
D’abord je tiens à préciser que ce qui suit n’est ni une attaque ni un appui ni à l’un ni à l’autre des deux présidentiables, d’ailleurs je n’ai voté pour aucun des deux au premier tour. Ce n’est qu’une modeste tentative d’éviter le pire au pays.
M. le Président de la République, de par vos activités quotidiennes, votre préoccupation quant à l’impasse qui menace tout le processus électoral, donc la transition démocratique et de là l’avenir même du pays, est très perceptible. Voilà qu’un présidentiable passe au deuxième tour mais se trouve en prison ou en détention préventive (?), dans les deux cas, empêché de jouir des mêmes droits que son concurrent lors de la campagne électorale. Cette situation inédite et imprévue est le fruit du retranchement de chacune des deux institutions, la Justice d’une part et l’ISIE de l’autre, derrière leur « indépendance » et les deux se limitant à leurs prérogatives spécifiques, semblent rejeter la responsabilité de ce blocage et de son dénouement sur l’autre, alors que cette même question, revêt dans ce cas très particulier et en même temps, deux aspects réciproquement influençables : le judiciaire et l’électorale. Seulement, les deux instances semblent ignorer que l’issue de l’un des deux processus impacte directement et très largement sur l’issue de l’autre d’où la nécessité pour chacune des deux parties et particulièrement pour le Juge d’instruction en question de tenir compte de l’impact de sa décision sur le processus électoral, de la situation dans le pays et de l’intérêt général, évidemment sans faiblir quant à son indépendance « sacrée ».
Peu importe qui a raison et qui a tort, l’essentiel est de bien comprendre que si le "duel" actuel ISIE, JUSTICE se poursuit dans les mêmes termes, avec l’un des concurrents toujours en détention, et quelques soient les résultats du deuxième tour, la TUNISIE risque de faire un grand faux pas, non seulement dans les présidentielles, mais aussi dans les législatives et ainsi tout le processus de la transition démocratique risque d’en souffrir irrémédiablement.
En effet dans ce cas, et quel que soit l’issue du deuxième tour des présidentielles, seulement deux possibilités nous sont offertes :
- M. Karoui gagne ce deuxième tour alors qu’il est toujours détenu : quelle serait alors la position de la Justice ? ne pas renoncer à sa détention alors qu’il est Président par le jeu d’élections universelles et la volonté du peuple ? où le libérer sous quelque motif que ce soit et quand même se contredire ? Dans les deux cas, personne ne peut prévoir la suite des évènements et leurs enchainements.
- La deuxième éventualité, serait que M. Karoui perd ce deuxième tour sans bénéficier autant que son concurrent de la campagne électorale : dans ce cas non plus la Tunisie ne sera pas mieux servie, ni à l’intérieur ni à l’étranger. D’abord ces résultats seront très vraisemblablement rejetés par les fans Karoui comme par l’étranger et ainsi on fera de lui, très certainement, une très grande victime, un héros même avec des conséquences difficiles à prévoir pour la cohésion sociale et l’unité nationale tant rêvées.
Dans tous les cas possibles, cités plu-haut, et en l’absence d’une initiative capable de faire bouger les positions avant qu’il ne soit trop tard, la transition démocratique tunisienne subirait un très mauvais coup, la Tunisie n’en serait que bien meurtrie et Dieu seul sait où cela pourrait mener le pays.
Ainsi, M. le Président de la République, de par vos hautes responsabilités, il vous incombe de tenter de débloquer cette situation, la Constitution non seulement vous le permet mais elle vous en prend pour responsable, n’êtes-vous pas le garant de la cohésion nationale ? Vous êtes, de loin, le mieux placés pour apprécier combien cette question divise la société tunisienne et combien elle le fera encore davantage au moment de la déclaration des résultats du deuxième tour des présidentielles et à l’occasion des législatives.
La tâche est dure, certes, mais reste possible et de toutes les façons c’est cela la responsabilité, c’est être présent aux grands rendez-vous pour justement forcer le destin.
Comment s’y prendre sans faillir au respect de la Constitution dont vous êtes aussi le garant ? Eh bien par le biais du Conseil de Sécurité Nationale auquel seront invités, outre les membres permanents du dit Conseil, le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, le Président de l’ISIE, l’UGTT, l’UTICA et tous ceux qui pourraient faire avancer les travaux, vous pouvez vous mettre d’accord sur une sortie honorable pour tous, tout en respectant l’indépendance de la justice et de l’ISIE et surtout en accordant la priorité à la cohésion sociale et l’intérêt général du pays.
Une sortie dont la teneur serait en gros, la libération du candidat Karoui avant le démarrage de la campagne électorale contre un compromis financier avec le fisc qu’il règle avant sa libération, tout en maintenant en vigueur la décision d’interdiction de voyage et du gel de ses avoirs. Evidemment les experts trouveront la bonne mise en forme d’un tel consensus. C’est de la sorte, avec un compromis aussi mauvais qu’il soit, qu’on pourrait espérer sauver le pays de l’irréparable. En de telle situation, un compromis vaut certainement mieux qu’une attitude se voulant « rigoriste », mais qui ne peut mener qu’à une impasse et générer à son tour de nouvelles positions encore plus radicales et c’est la spirale de la violence.
- Que Dieu garde la Tunisie –
Général (r) Mohamed Meddeb
(Armée Nationale)