Me Brahim Bouderbala: Le bâtonnier de la ligne professionnelle indépendante
La huitième fois fut la bonne. A l’aube de ce dimanche 7 juillet 2019, Me Brahim Bouderbala, qui bouclera ses 67 ans ce 7 août (natif de 1952), aura relevé le défi qu’il s’était imposé depuis 21 ans et sept candidatures successives, en vain: il est élu bâtonnier des avocats de Tunisie pour la période triennale 2019-2022. Avec 71 voix seulement de différence, il l’a emporté au second tour contre son compétiteur de longues années déjà, Me Boubaker Ben Thabet, par 1 281 suffrages contre 1 210.Sa victoire est celle d’une ligne professionnelle indépendante, à laquelle il s’est toujours attaché, refusant tout engagement politique, tout alignement partisan. «La profession connaît suffisamment de problèmes pour s’engager dans des tiraillements politiques», confie-t-il à Leaders, au lendemain de son élection. «Attention particulière à la situation des confrères, notamment les débutants, concertation positive avec l’administration fiscale et renforcement de la formation avec un encouragement particulier de la spécialisation: ce sont les trois axes principaux que je me fixe au cours de mon mandat», poursuit-il.
Tout un programme auquel il doit s’atteler avec les 14 autres membres élus du Conseil de l’ordre national des avocats de Tunisie et les présidents des sections régionales. Sans compter la gestion du quotidien, les prises de position sur de grandes questions d’intérêt national, les relations avec la magistrature et les pouvoirs publics, la discipline, la résolution des conflits... Comme le veut la tradition désormais ancrée, le bâtonnier doit quitter son cabinet pour s’installer à plein temps au siège de l’Ordre, recevant une (modeste) indemnité mensuelle, en compensation de ses honoraires désormais perdus. Ce n’est donc pas sans émotion que le bâtonnier laissera son cabinet, rue de Hollande, en plein centre-ville, pour élire siège à Beb Bnet, où se trouvent le Palais de Justice et le ministère…Il restera cependant non loin de son quartier natal, Beb El Fella. Retour sur un parcours marqué par l’engagement, la persévérance et l’abnégation.
Comment devient-on bâtonnier?
Des oasis d’El Hamma, à 50 km de Gabès, dont sa famille est originaire, Me Bouderbala a hérité des valeurs gravées dans l’âme, des images restées toujours en tête: patriotisme, droiture, sens de la parole donnée, souvenirs de palmiers dattiers et de modestes cultivateurs s’échinant à produire des légumes…Son père, comme la plupart des hommes de sa génération, montera à Tunis à la recherche d’un emploi. Il installera sa famille, forte de 7 enfants, à Beb El Fellah, dans les proches faubourgs de la capitale. Brahim est le benjamin de la fratrie.
La nécessité de se loger près du lieu de travail poussera le père à déménager à Chouchet Radès, à l’entrée sud de Tunis, alors peu habitée et ne comptant que quelques fermes d’Italiens et de Français. Le petit Brahim fréquentera l’école du coin, avant d’être inscrit à celle de Mégrine. Admis à l’enseignement secondaire, il ira au Lycée Ibn Charaf, non loin du Palais de Justice. Bac en poche en 1972, une année très agitée en manifestations lycéennes et estudiantines, il choisira de faire droit et se retrouvera dès la rentée au Campus d’El Manar en pleine ébullition. Laboratoire d’idées progressistes, couvoir de l’islam politique, champ de bataille entre les factions de tous bords, c’était le lieu par excellence d’apprentissage, en plus du droit, de l’économie, des sciences ou de l’ingénierie (Enit), de l’action syndicale et politique. La plupart des grands acteurs du paysage politique actuel y avaient fait leurs premières armes à cette époque, et mené leurs gestes, parfois violente. De Hamma Hammami déjà avec Radhia Nasraoui à Cheik Mourou, Hassen Ghodhbane, Mohsen Marzouk, Lazhar Akremi, Abid Briki, Abdelkerim Harouni, Abdelwaheb El Béhi, et autres Noureddine Behiri, sans oublier les destouriens…
Studieux, Brahim Bouderbala ne tardera pas à décrocher en 1976 sa licence en droit et son certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA) et il ne lui restait plus qu’à trouver un stage au cabinet d’un confrère affirmé. Sa bonne étoile le mettra sur la piste de Me Sadok Marzouk, avocat près la Cour de cassation. Tout en mettant le pied à l’étrier, il rejoindra en 1979 l’association des jeunes avocats de Tunisie, la pépinière des futurs ténors de l’Ordre, en sera élu secrétaire général, puis président en 1983. Dès 1987, il fera partie du Conseil de l’ordre des avocats (réélu en 1989). Avec la nouvelle loi de 1989, portant nouvelle organisation de l’Ordre et la création de sections régionales, il sera élu en 1992 à la tête de la section de Tunis, la plus importante.
Maître Sadok Marzouk, son premier mentor, est une grande figure du barreau et de la gauche. C’est un bon juriste, très respecté de chaque côté du prétoire et apprécié par ses clients. Mais aussi un grand militant de la gauche tunisienne dès la décennie 1960 -1970, il avait subi les affres des arrestations violentes, des interrogatoires musclés sous la torture, de la prison et des interdictions de voyage… Ce n’est pas par hasard qu’il avait choisi comme sujet «Les luttes pour la succession de Bourguiba»… pour un mémoire de DES de sciences politiques soutenu à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne (Centre de Tunis) en 1972 (publié aux éditions Script, en 2016).
Sollicité par Leaders, Me Marzouk nous révèle une facette peu connue de son jeune stagiaire devenu bâtonnier. Me Bouderbala n’est pas l’unique jeune confrère issu du cabinet, hissé à la tête de l’Ordre. Me Abdessettar Ben Moussa l’avait précédé.
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