Mohamed Nafti- Elections présidentielles: le procès de monsieur k …
On avait peut être volontairement jeté le discrédit sur Monsieur K… C’est ce que soupçonnaient ses proches, ses admirateurs, les militants de son parti et tous ses électeurs. Il n’avait fait de mal à personne. Mal lui en a pris de faire du bien à un grand nombre de citoyens déshérités disaient- ils. Il fut arrêté un vendredi après midi, disons juste après la prière du vendredi sur l’autoroute de Béja. Cela rappelle un certain vendredi après midi de septembre 2012, sur l’autoroute de la Marsa vers l’ambassade américaine. Ce n’était jamais arrivé au cours d’une campagne présidentielle. Mais la grande Tunisie est une terre d’exception.
Acte I
K…roulait calmement en voiture cet après midi d’un vendredi 13 vers une direction inconnue. Il s’arrêta à un contrôle routinier de la police routière. Son chauffeur salua le policier et présenta ses papiers. Le policier ne lui prêta aucune attention et ouvrit calmement la porte arrière droite. Freeeeze ! cria-t-il énergiquement à K. qui ne broncha pas. Nullement intimidé, ce dernier croyant que c’est un coup de « Caméra cachée » soigneusement réalisé par la prestigieuse chaîne de télévision la Brise. K.. souriait et apprécia même ce beau geste qui ne fera pensa-t-il que renforcer sa campagne présidentielle. Il se tourna à gauche de sa voiture. Quatre hommes sveltes, solidement bâtis étaient aux aguets. Ils portaient des habits noirs et collants pourvus de ceintures sous les aisselles de pochettes sur les bras et les avant bras des sangles détachées au niveau des genoux et des fesses qui donnaient à ces vêtements une apparence particulièrement pratique sans qu’on put cependant imaginer à quoi tout cela pouvait servir. Le doute avait fini par se glisser dans l’esprit de K…
- Que voulez-vous messieurs ? Qui êtes -vous ? demanda K...
Le chef de la bande passa sur la question et se contenta de lui dire : Monsieur K… vous avez dépassé la sortie du Palais, nous sommes accourus pour vous aider et vous accompagner…
- Quel palais ? le palais présidentiel ?
- Oui et non .
- comment ça oui et non ? je suis sur l’autoroute de Béjà. Jusqu’à maintenant je n’ai dépassé que la sortie de Mornaguia.
- C’est vrai ce que vous dites Monsieur K… vous avez dépassé la sortie du Palais présidentiel de Mornaguia et on est venu vous orienter … et courtoisement.
- je ne comprends pas ! voilà qui est fort ! expliquez-moi ce bordel !
- Nous ne sommes pas ici pour vous le dire. vous saurez tout au moment voulu. on vous conseille de vous taire car tout sera rédigé. Et comme vous n’avez pas votre avocat avec vous…
- Alors je suis arrêté ? pourquoi serais-je donc arrêté ? Et de cette façon, pour comble.
- Nous ne répondons pas aux questions d’un candidat à la présidence. En quelque sorte, nous observons le silence électoral.
- Quel silence ? vous n’êtes pas candidats, vous ! vous n’êtes pas riches ! Ca se voit et vos gueules … ah les pauvres, ils viennent se mesurer aux magnats de … Expliquez- moi les raisons de mon arrestation ! Vous devez vous trompez monsieur !
- …
- Et pourquoi en ce moment précis ?
- Ce n’est notre tâche de vous expliquer ça ! nous sommes des employés du Palais. Nous nous connaissons rien à cette arrestation et nous n’avons pas autre chose à faire que de vous garder et de vous protéger jusqu’à la fin du processus de l’élection présidentielle. Vous serez certainement élu Président de la Tunisie mais vous serez maintenu au Palais de Mornaguia jusqu’à la fin de votre procès. vous vaquerez à toutes vos activités présidentielles au sein de ce beau Palais.
- c’est drôle, c’est même absurde ! comment puis-je être à la fois Président et détenu.
- voilà le terme qu’il faut « Absurde » ! Mais il n’y a aucune contradiction. Tous les présidents sont détenus dans les palais. Ce sont les noms des palais qui changent. D’ailleurs, si vous opérez à partir du palais de Mornaguia, vous allez prouver à toute la plèbe, qui est majoritaire dans notre pays, que vous êtes le président authentique du peuple. Et tout le monde vous soutiendra…
- je ne comprends pas, comment on peut être arrêté, en prison et faire sa campagne et assister quelques jours plus tard à son élection à la magistrature suprême ?
Acte II
On avait avisé Monsieur K… que la justice va procéder à son interrogatoire d’une manière régulière sans pour autant entraver sa campagne électorale. Pour cela, il fallait, lui avait –on conseillé de les subir au cours de la nuit, tard dans la nuit pour ne pas le déranger dans ses affaires électorales. De jour, on lui permettait de recevoir le directeur de sa campagne, ses lieutenants et les responsables de la chaine de télévision qui va s’occuper de sa campagne. L’essentiel, lui avait-on dit est que vous ne seriez pas lésé par rapport aux autres candidats. l’ISIE se préoccupe beaucoup du règlement et surtout du temps imparti aux différents candidats.
Dans son allocution télévisée, Monsieur K. s’adressa au grand public : mes chers amis, je ne cherche pas un succès d’orateur, je ne réussirais d’ailleurs pas. J’ai troqué l’aide concrète aux démunis contre le blabla électoral de ceux qui n’ont rien à offrir au peuple. Vous savez bien, je suis un Azad, un Robin Hood moderne, je ne vole pas et même si je prends quelque chose c’est pour le donner au peuple. Mais je ne veux pas m’étaler sur mon programme électoral, je veux simplement soumettre au jugement du public tunisien une anomalie qui est publique. J’ai été arrêté, vous le saviez déjà. Le fait en lui-même m’amuse et il ne s’agit pas de cela. Je suis détenu dans ce palais de Mornaguia et on me permet de conduire librement ma campagne électorale. Et voila j’ai gagné cette élection. En fait c’est grâce au peuple ou mieux encore c’est le peuple qui a choisi son président et c’est là la vraie démocratie. Et puisque notre système politique repose sur la séparation des pouvoirs et que la justice est souveraine, je vais attendre le verdict. Peut être ; et si tout va bien il tombera quelques semaines avant les prochaines élections de 2024. Le temps de peaufiner ma deuxième campagne pour enchainer un deuxième mandat.
Je ne sais pas si je resterai en vie jusqu’à la fin de mon deuxième mandat. Je suis au moins sûr de jouir d’un excellent cérémonial funèbre à l’instar de feu BCE.
D’ici là je croise les doigts. Et en attendant Godot, j’attends le verdict.
Mohamed Nafti