Habib Touhami: Le poids socio économique du tourisme tunisien
Des légendes courent sur le tourisme tunisien et la place qu’il occupe réellement dans l’économie et l’emploi en Tunisie. Elles ne sont que des légendes. Pourtant, gouvernants et opinion publique partagent la conviction selon laquelle tout est conditionné en Tunisie à la réussite de l’année touristique et que tout va mal quand le tourisme va mal. Ce ressenti est subjectif, excessif et dangereux parce qu’il donne au tourisme tunisien une prépondérance qu’il n’a pas et qu’a contrario il réduit l’agriculture et l’industrie du pays à des quantités marginales ou négligeables.
En termes de valeur ajoutée, le secteur «hôtellerie et restauration» aurait contribué au PIB (aux prix du marché) à hauteur de 4,5% en moyenne entre 2003 et 2017, ayant enregistré son niveau le plus haut (5,4%) en 2005 et ses niveaux les plus bas (3,5%) en 2015 et 2016. Mais dans la mesure où l’INS parle d’«hôtellerie et restauration», on reste dans l’incapacité de distinguer ce qui revient au tourisme stricto sensu. Quoi qu’il en soit, le secteur «hôtellerie et restauration» n’a participé qu’à hauteur de 4,5% du PIB en 2017 contre 10,3% pour l’agriculture ou 16,1% pour l’industrie manufacturière (25,5% pour l’ensemble de l’industrie).
L’emploi «touristique» direct est estimé par l’Ontt à 96,5 mille en 2015, un volume quasi stable depuis quelques années (la même stabilité est constatée au niveau de la capacité en lits : 241 mille lits environ). L’INS estime la population occupée dans «hôtellerie et restauration » à 150,5 mille au premier trimestre 2019. Mais comme pour la valeur ajoutée, on ne saurait distinguer dans ce chiffre ce qui revient stricto sensu au tourisme. Cela n’a pas empêché le ministre du Tourisme et de l’Artisanat de parler de 500 000 emplois directs liés au tourisme et deux millions d’emplois indirects. A supposer que l’on sache déterminer avec précision la part du tourisme dans l’emploi occupé et mesurer convenablement l’emploi indirect qu’il génère, on restera malgré tout sous la barre des 350 000 emplois directs et indirects (la moyenne internationale de l’emploi total lié au tourisme est de 10% de l’emploi global).
Les recettes touristiques se sont élevées en 2017 à 2 831 millions de dinars. Certes, elles ont contribué à ce que le solde des services soit positif, mais comparées aux revenus du travail
(4 574 millions de dinars pour la même année) dont l’impact est autrement plus déterminant sur le solde des revenus des facteurs et des transferts courants, elles pèsent beaucoup moins, surtout si on prend en considération la balance en devises des rubriques considérées.
Evolution des principaux soldes des paiements courants (en MDT) selon la BCT
Les professionnels du tourisme tunisien contestent vivement ces faits, en ce qui concerne les recettes touristiques notamment. Ils remettent en cause les données fournies par l’Ontt à ce sujet en soulignant que les recettes touristiques telles qu’elles sont calculées par l’Ontt ne prennent pas en compte les revenus du tourisme local, les revenus des Tunisiens résidant à l’étranger et les revenus du transport aérien liés au tourisme. Contestation recevable sauf en ce qui concerne les revenus du travail. De même, ils contestent le poids économique attribué au secteur touristique l’estimant à 13% du PIB ou plus au lieu des 4,5% affichés officiellement. C’est un point de vue qu’il faut prendre en considération, mais ce n’est pas là le fond du problème.
Dès l’origine, le tourisme a été critiqué par les uns, soulignant son impact négatif sur les mœurs, élevé par les autres au rang de «sauveur» de la Patrie, indiquant son impact positif sur la balance des paiements. Les deux appréciations sont exagérées et subjectives. Contrairement à ce que disent certains économistes tunisiens, la multiplication du nombre de lits par deux (ou même trois) ne réglera pas définitivement le problème de la balance des paiements, et contrairement à ce que disent certains esprits étroits, le développement du tourisme n’a pas constitué le seul déterminant du bouleversement des mœurs en Tunisie. Si on se débarrassait une fois pour toutes de ces a priori, on s’apercevrait qu’au-delà de son impact socioéconomique, le tourisme constitue un formidable signe d’ouverture sur le monde et un potentiel multidimensionnel qu’il nous faut apprendre à exploiter et à développer de façon plus rationnelle et harmonieuse.
Habib Touhami