Majid Chaar: la Tunisie a besoin d’une greffe de cœur!
Enfin, le rideau est tombé sur «les débats» télévisés entre les candidats à la présidentielle. Les Tunisiens, face à un débat qui n’a pas eu lieu, sont restés sur leur faim. Les candidats aussi n’étaient guère satisfaits de leurs prestations.
Pourtant, l’expérience mérite d’être saluée, car le rôle et la noblesse du service publique, c’est justement, d’offrir une tribune à tous les tunisiens. C’est à ce prix que la télévision publique pourra gagner la confiance de téléspectateurs.
Un service publique re-légitimé
Comme la plupart des Tunisiens, j’ai une très haute idée de ce que la télévision publique devait apporter, surtout dans le contexte d’une élection nationale. Du reste, c’est son rôle, elle est seule à pouvoir s’en acquitter aussi bien. S’en priver, c’est signer sa propre condamnation et renoncer à sa première vocation d’informer, d’éduquer et de distraire
Trop de rigueur tue la rigueur
Le bilan de cette expérience inédite dans l’histoire de l’audio-visuel tunisien ne peut se limiter aux failles qui ont terni l’éclat suscité par cette belle expérience : Une mécanique horlogère n’a pas aidé à départager les projets des candidats ni à faire jaillir leurs personnalités respectives. Ils couraient jusqu'à l’essoufflement, car la consigne leur était sans appel- « Une minute trente secondes, douche comprise»!
La place est au chronomètre, une véritable épée de Damoclès, ouvrant la voie aux formules faciles, hâtives et sentencieuses. Point de cohérence dans les propos décousus, presque dans toutes les réponses, qui était inégales et souvent décevantes, sans aucune interaction sauf celle des regards figés sur le chrono qui déferlait sur l’écran. Tout çà pour çà !
Une mission presque impossible
Dans ce non-débat, les Tunisiens s’épuisaient à suivre attentivement les questions qui fusaient et les réponses évasives et forcément laconiques qui s’en suivirent.
A cet égard, toutes les théories de l’information en arrivent à la même conclusion : la multiplication des messages transmis provoque, chez les téléspectateurs un « bruit » et une confusion croissants. Les informations sont de plus en plus diluées dans un ensemble incohérent et mal hiérarchisé.
Dur, dur pour tous ! Surtout quant on sait, en matière de communication politique à travers les mass-médias, la télévision en tête, « Tout homme est deux hommes et le plus vrai est l’autre », (Jorge Luis Borges).
On ne peut s’attendre de ce genre de « parade » qu’à la cacophonie, la platitude et un flux de propos de circonstance. Point d’interaction ou d’approfondissement, pourvu que les « rivaux » gardent leur « sagesse », en tant qu’ « examinés » soucieux de passer un « oral » déterminant pour leur avenir.
A bas les masques
Au delà de ces considérations immédiates, le grand mérite de ces débats c’est d’avoir dévoilé, un tant soit peu, la personnalité des candidats. Tous se sont évertués à se montrer qu’ils se portaient comme un charme, pensant à l’image qu’ils ont d’eux même, et oubliant le « naturel » que le médium sublime et amplifie.
Tantôt séducteurs angoissés, tantôt directs et rusées, agités ou réfléchis, sincères ou cyniques, prudents ou culotés, mais tous ou presque animés de la rage de gagner et la passion de servir.
À nous tous, de tirer le bon grain de l’ivraie et de continuer à exercer notre faculté de discernement jusqu’au bout du chemin. La télévision, à elle seule, ne peut se substituer au bien fondé de chacun de nous.
Le brouillard finira par se dissiper
Pour moi, il n’y a qu’un seul message dominant qui doit animer les tunisiens : Nous devons travailler à maintenir la paix sociale, renforcer l’équité, les valeurs de la démocratie et du travail bien fait, et surtout ne pas creuser les déchirures sociales. Point de (faux) génies ou de leaders présumés, mais choisir celui qui donnerait à la fois, une impression de force inébranlable, d’intégrité morale et d’extrême pudeur.
J’ai vu un homme qui se profilait avec une voie grave, avec une éloquence précise, rigoureuse, derrière laquelle on devinait, bridée, beaucoup de sincérité, de patriotisme, de conviction et de passion, s’exprimant d’une seule masse, tout entier, engagé dans ses paroles et inflexible dans l’action.
Cet homme, un candidat, la sympathie que j’éprouvais pour lui venait de cette rassurance qu’il dégageait et qui imposait le respect.
La Tunisie a besoin aujourd’hui d’une greffe de cœur. Faute de donneurs réels, nous devons bien réfléchir, penser et agir froidement…pour ne pas creuser les déchirures.
Majid Chaar
Ancien directeur des médias, FAO
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