«Parmi les priorités de mon programme électoral, la désignation d’une femme à la tête du ministère des Affaires étrangères. Peu importe qu’elle soir diplomate de carrière ou non. Pourquoi pas ? Nous devons tenter l’expérience. » Le « camarade » Abid Briki, candidat à la présidence de la République affirme vouloir étrenner pleinement ses attributions constitutionnelles... en tant que chef de la diplomatie, en faisant déguerpir l’actuel ministre Khemaies Jhinaoui pour le remplacer par une femme. D’ailleurs, il avoue ne pas avoir en tête un nom particulier, comme il le dira mardi au micro d’Elyès Gharbi sur Mosaïque, laissant transpirer sa totale improvisation désinvolte. Et sans s’assurer que l’actuel titulaire de la fonction souhaite remplier ou remettre les clefs. Mais, pour Briki, c’est juste du Why not! L'essentiel
L’intention, en cherchant à favoriser l’accession de la femme tunisienne aux plus hautes charges, est certes noble. Mais, revendiquer une alternative à la tête d’un département ministériel au titre uniquement du critère « genre », est réducteur.
Oui, il ne faut pas barrer la route à une femme bien qualifiée pour diriger le ministère des Affaires étrangères. Oui, il faut plus de femmes diplomates à plus de positions élevées et à la tête de postes à l’étranger. Oui, il faut encourager les jeunes filles à postuler aux concours de recrutement des secrétaires des Affaires étrangères (secrétaire, est le premier grade avant de devenir conseiller, ministre plénipotentiaire et plus.)
Lever les interdictions désuètes
le plus important, c’est d’abolir cette vieille règle interdisant à un couple de travailler ensemble dans un même poste diplomatique à l’étranger. Et aussi, de lever l’interdiction faite aux conjoints des diplomates tunisiens à l’étranger de travailler. S’il est compréhensible que ces conjoints ne sauraient être salariés de l’administration publique dans l’Etat d’accréditation, par souci d’indépendance diplomatique et de sécurité y liée, rien ne saurait les empêcher d’occuper un poste au sein d’une université, d’un hôpital, d’un cabinet d’avocat, d’expertise comptable et de conseil, ou encore une ONG ou une entreprise privée.
C’est à cela que doit s’attaquer le futur président de la République, avant de chercher à « expérimenter » l’efficience d’une femme au poste de ministre des Affaires étrangères. Plus encore, son rôle est d’accroître et consolider le budget du Département et, partant, celui des postes à l’étranger (vous n’avez qu’à voir l’état de la plupart de nos chancelleries et résidences), d’accorder aux diplomates l’assurance intégrale des soins de santé à l’étranger et autres revendications légitimes.
Briki ignore-t-il combien de femmes tunisiennes diplomates, par la force de leur compétence, ont pu accéder aux positions élevées, et dirigé, aujourd’hui encore, de grandes ambassades ? Pour mémoire, la toute première délégation tunisienne conduite par Bourguiba à l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, le 11 novembre 1956, comprenait une jeune femme diplomate, Mlle Radhia Mestiri...
Plus, beaucoup plus
Femmes ambassadrices de Tunisie à l’étranger, femmes consules et consules générales, femmes diplomates, en poste à l’étranger, comme au siège du Département à Tunis : elles sont là et réussissent brillamment. Leur nombre reste insuffisant. Les nominations gagnent à favoriser une discrimination positive, essentiellement, sur la base de la compétence. Le problème de l’affectation à l’étranger butte souvent sur le statut du conjoint. Un couple de diplomates n’a pas le droit de travailler ensemble dans un poste, encore moins, l’un sous l’autorité de l’autorité de l’autre. Les sacrifices seront alors multiples : d’abord, le mari ou sa conjointe doivent mettre en hibernation leur carrière le temps d’une affectation en poste. C’est d’ailleurs l’option du moindre mal, car l’autre alternative, c’est d’être séparé l’un de l’autre. Premier cas, chacun ira travailler en poste dans un pays différent (l’unique exception est celle des pays où la Tunisie dispose d’une ambassade et d’une représentation permanente, Washington et New York, Berne et Genève, Paris et l’Unesco).
Deuxième cas, l’un partira en poste et l’autre restera à Tunis, s’agissant souvent de la femme devant se charger des enfants. Imaginez alors la situation. Une ambassade sans un couple d’ambassadeur avec son conjoint ou sa conjointe, est une ambassade sans âme. Le ministre des Affaires étrangères, khemaies Jhinaoui, en est convaincu pour l’avoir déclaré à Leaders.
Autant de priorités que tout candidat à Carthage doit examiner attentivement et intégrer dans la séquence « Relations extérieures » de son programme. Merci, «camarade Briki, de nous avoir donné l’occasion pour le rappeler.
Taoufik Habaieb