News - 31.08.2019

Mohamed Ennaceur, le démineur: 90 jours pour tout réussir

Mohamed Ennaceur, le démineur: 90 jours pour tout réussir

«Je me conformerai à l’esprit et à la lettre de la Constitution. Je ne resterai pas au-delà des délais fixés pour la durée de l’intérim en cas de vacance définitive du pouvoir !» Intransigeant, Mohamed Ennaceur s’est compliqué la tâche et celle des autres, soumettant tout le monde à un calendrier fort serré pour l’élection du successeur du président Béji Caïd Essebsi à Carthage. Président de l’Assemblée des représentants du peuple, c’est lui que la Constitution désigne pour assurer l’intérim. Sans hésitation, contenant son affliction, il en assumera immédiatement la charge, dès l’annonce officielle du décès du Président, en toute fluidité et dans la continuité de l’Etat.

L’échéance des 90 jours paraissait théorique, pratiquement impossible à tenir, surtout que le processus électoral institue des délais de recours depuis le dépôt de la candidature jusqu’à la proclamation définitive des résultats, jusque-là incompressibles. Qu’à cela ne tienne, Mohamed Ennaceur est catégorique : «Pas un jour de plus, débrouillez-vous», lancera-t-il à Nabil Baffoun. En pleine trêve parlementaire, concocter un projet de loi spécifique, le soumettre à l’ARP qu’il a fallu convoquer en session spéciale, le faire examiner en commission puis en plénière : le pari était difficile. Il sera tenu.

L’Isie peut alors respirer, tout en prenant en charge le raccourcissement des délais de recours. Mais, c’est alors au Tribunal administratif de « trinquer », devant ainsi statuer en temps record sur une avalanche de recours. Les magistrats en feront mention, réclamant renfort en moyens et compensation en indemnités. Ils seront entendus. Délai donc irrévocable, Mohamed Ennaceur avait déjà déclenché le compte à rebours. Voilà donc un président qui, au lieu de savourer les lambris dorés du palais de Carthage et les privilèges et apparats de la présidence de la République, n’a hâte que de s’en affranchir. Du jamais vu dans le monde politique où chacun se cramponne à son maroquin et ne veut le quitter que pour accéder à un autre plus élevé.Aucun président de la République, de Bourguiba à Ben Ali, en passant par Mebazaa et Marzouki, ne connaissait, au moment où il accédait à la magistrature suprême, le jour exact de son départ.

Mohamed Ennaceur entrera ainsi dans l’histoire contemporaine de la Tunisie comme le premier président de la République à s’être attaché à une date fixe de son départ et à s’y conformer.

Docteur en droit social et du travail (Sorbonne), père des conventions collectives, Ennaceur connaît bien les précisions d’un contrat de travail, a fortiori de courte durée, ses tâches et ses échéances. Président de l’ARP, il a fait de la Constitution son unique loi suprême et n’ignore rien des attributions qui lui sont désormais dévolues. En homme d’Etat, il mesure la complexité du contexte et l’impératif de faire réussir les élections à temps et dans la transparence.

Démineur, c’est son métier

Sa présidence intérimaire sera pleine et arbitrale, car il est doté de toutes les attributions et est à équidistance de tous. En démineur, des pièges seront partout tendus. Celui qui s’est toujours proclamé «indépendant de toutes les parties, comptable devant tous, au service des Tunisiens et candidat à rien» l’incarnera à Carthage. Arbitral, c’est son credo qui trouve tout son sens dans cette zone de fortes turbulences, de tiraillements et de conquête acharnée du pouvoir. Il s’y emploiera, tout naturellement.

Démineur, c’est son métier. Plusieurs fois au gouvernement, Habib Achour (Ugtt), comme Ferjani Belhadj Ammar (Utica) et leurs successeurs en ont témoigné. A l’ARP, tout récemment, les exemples sont innombrables, des députés et leurs groupes en ont  bénéficié. Démineur, aujourd’hui plus que jamais, en ce sens que le terrain est jonché d’embûches.

Pleinement dans toutes ses attributions

Que n’a-t-il pas accompli depuis le premier jour et tout au long des 38 jours déjà. En arrivant tôt le matin, son cartable est rempli, comme à l’accoutumée, de documents qu’il avait lus et annotés la veille. Dans la poche, il a toujours cette fiche de «To do list» qu’il ne cessera de consulter pour s’assurer de s’en être acquitté.

  • Chef suprême des armées, il a réuni plus d’une fois le Conseil supérieur des armées (CSA).
  • Président du Conseil de sécurité nationale, il a convoqué ses membres à une série d’entretiens.
  • Chef de la diplomatie, il reçoit les ambassadeurs et consuls de Tunisie, suit au jour le jour les relations extérieures et l’évolution du contexte régional et international. Président en exercice de la Ligue arabe, il instruit le ministre Jhinaoui, devant conduire la délégation tunisienne à la réunion ministérielle ce 10 septembre au Caire. Comme il l’avait mandaté au sommet de Yokohama (Japon), fin août, pour obtenir la tenue à Tunis, en 2022, et ce pour la première fois, de la TICAD 8, la conférence Japon-Afrique, qui devrait drainer des dizaines de chefs d’Etat et de gouvernement et plus de 5 000 Japonais et Africains, notamment du monde des affaires.
  •  Une représentation exceptionnelle: le président Ennaceur se rendra ce 21 septembre à New York, pour s’adresser à l’Assemblée générale des Nations unies, étrennant le mandat de la Tunisie en tant que membre du Conseil de sécurité.
  •  Président de la République, il s’acquitte de toutes ses tâches, s’entretenant régulièrement avec le chef du gouvernement, recevant les nouveaux gouverneurs prêtant serment, et autres visiteurs. Il n’est d’ailleurs pas exclu s’il en a le temps, qu’il effectue une ou deux visites dans les régions.
  •  En charge notamment de la réussite de l’élection présidentielle, il reçoit les membres de l’Isie et de la Haica, les magistrats et autres corps concernés.
  •   A la tête de l’institution présidentielle, il prête attention à tout pour s’assurer du bon fonctionnement des différents rouages, réintroduisant les réunions du cabinet présidentiel qu’il préside lui-même, ce qui imprime plus de cohérence et d’efficacité. Pour la première fois, les cadres de la Sécurité présidentielle et de la Protection des personnalités, conduits par leur directeur général Raouf Mradaa, sont réunis en séance de travail. Pour féliciter ce corps d’élite qui a fait preuve de hautes performances, comme tout récemment lors du sommet arabe et des funérailles du président Caïd Essebsi. Mais aussi pour les exhorter à redoubler d’effort.

Sans se détourner du quotidien, la rentrée scolaire, l’éducation, la santé, le transport, les finances publiques, le cadrage du budget de l’Etat pour 2020, le panier de la ménagère, la paix sociale et la sécurité-défense. Ses journées à Carthage sont lourdement chargées.

Ragaillardi par l’ampleur de la mission, Mohamed Ennaceur affiche une bonne forme, le teint frais, l’esprit vif, le regard pétillant et l’élégance raffinée. Le bonheur de servir.

Un pouvoir pour servir et paver l’avenir

Maintenant qu’il tient en main ce qui est le plus précieux, le plus fragile, le plus convoité et le plus virtuel et réel à la fois, quelle est sa conception du pouvoir ? «Nullement une fin en soi, confie-t-il à Leaders. Ce n’est qu’un moyen pour servir la communauté nationale. Le pouvoir n’a de sens que s’il est conçu en mandat de compétence et de confiance, au service de l’intérêt général, au bien-être commun et pour préparer un avenir meilleur pour les futures générations.»

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