Mouvement diplomatique avec 12 postes convoités: Qui veut quoi ?
Le suspens aura trop duré. Le mouvement annuel devant être opéré comme chaque été à la tête postes diplomatiques et consulaires tunisiens à l’étranger n’a pas été, à ce jour annoncé. Ce retard (dû sas doute au décès du président Béji Caïd Essebsi) n’a fait qu’attiser d’une part la convoitise insistante des uns et les craintes d’intrusion de non-diplomates d’autre part. Pressions et résistance se croisent âprement. Les souvenirs de l’assaut lancé par la Troïka sur les Affaires étrangères ont laissé de profondes séquelles et un grand traumatisme à ce jour non effacés. Nomination d’affidés et de partisans d’Ennahdha, Ettakatol et autres partis à la tête de grandes ambassades (Paris, Tripoli, Riadh, puis Sanaa) et consulats généraux (Paris...) ont ébranlé le corps diplomatique... D’ailleurs, l’ancien ambassadeur éphémère de Tunisie en Arabie Saoudite, puis au Yémen, nommé par Ennahdha est encore en poste au sein de notre ambassade à Doha...
Eclairages.
Les postes vacants
Douze postes sont à pourvoir, neuf ambassades et trois consulats. Les neuf ambassadeurs rentrant au terme de leur mission avaient été informés dès le mois de mai dernier ont fait leurs adieux aux autorités de leurs pays / organisation d’accréditation. Au total, 7 ambassades et deux missions permanentes auprès de l’ONU sont concernées. Il s’agit de celle d’Alger, Doha, Riadh, Moscou, Prague, Buenos Aires, et Islamabad, ainsi que des missions à New York et Genève.
Quant aux consulats, ce sont celles à Annaba (Algérie) et Rome qui attendent leurs nouveaux titulaires. Un troisième poste serait touché par le mouvement.
Résistance
Farouchement attaché à l’intégrité du corps diplomatique, le syndicat des Affaires étrangères lance une grève en port de brassard, ce mercredi 21 août, tant au siège du département que dans tous les postes à l’étranger. Si la démarche n’est pas inédite, certaines pressions avaient été exercées de par le passé, elle prend cette année une dimension particulière et s’inscrit en « résistance contre les intrus ». « Nous ne les avons jamais concurrencé dans leurs administrations et corps d’état spécifiques, pourquoi veulent-ils alors nous confisquer notre carrière et s’emparer d’une mission à laquelle ils n’ont jamais été préparée et qu’ils ne savent pas incarner, » dénonce furieusement un diplomate de carrière, très corpoartiste.
Une longue tradition
La levée de bouclier des diplomates fait suite à des rumeurs persistantes attribuant au gouvernement une tentative de placement de nombre de figures étrangères aux Affaires étrangères à la tête de postes à l’étranger, pour la plupart importants. La Kasbah lorgnerait cinq postes, alignant un diplomate et quatre autres nominés. « C’est un recasement de récompense, à la fin du mandat », dénonce un syndicaliste.
Il est cependant d’usage que la Présidence de la République et du gouvernement, dans nombre de pays se réserve un quota réduit dans les nominations de personnalités de divers horizons. La majorité étant réservée aux diplomates de carrière.
En fait, les mouvements diplomatiques successifs depuis l’indépendance ont toujours intégré diplomates de carrières, hommes politiques de premier plan (Mongi et Taieb Slim, Sadok Mokaddem, Hamadi Badra, Moussa Rouissi, Ahmed Mestiri, Abdelmajid Chaker, Néjib Bouziri, Mohamed Masmoudi, Béji Caïd Essebsi, Hédi Mabrouk, Mohamed Sayah, Mohamed Ennaceur...) et grandes figures, médicales (Saadoun Zmerli...), universitaires (Dali Jazi, Ahmed Friaa, Hatem Ben Salem, Ghazi Gheraïri...) et culturelles (Mohamed Laroussi Metoui ...) Des syndicalistes aussi y ont accédé (Noureddine Hached, Ismail Lejri...). La greffe a pris, sans fracas.
La doctrine Caïd Essebsi
Accédant à la présidence de la République, le président Béji Caïd Essebsi a révélé sa doctrine en la matière. Longtemps ambassadeur (Paris et Bonn), puis ministre des Affaires étrangères (1981 -1986), puis, Premier ministre en 2011, il parle en connaisseur. Promouvoir de jeunes diplomates, garder la qualité de l’école diplomatique et choisir les meilleurs aux postes, diplomates de carrière et autres grosses pointures, sur la base de la compétence et de l’engagement. C’est ce qu’il avait déclaré devant les ambassadeurs, consuls et cadres du ministère, lors de la clôture de la dernière conférence annuelle qu’il avait présidé i y a un an, le 31 juillet 2018.
« Ce qui me rassure le plus, ajoutera-t-il, c’est particulièrement cette poussée de jeunes diplomates qui tirent bénéfice de l’expérience de leurs ainés et font montre d'une réelle aptitude à défendre les intérêts de la Tunisie et à la représenter dignement. Nous devons les encourager afin qu’ils démontrent à tous la grande qualité de l’école diplomatique tunisienne forgée par Bourguiba et portée par les illustres Mongi et Taïeb Slim, ainsi que bien d’autres grands diplomates. Nous devons choisir les meilleurs, qu’ils appartiennent aux Affaires étrangères ou à d’autres départements. Ils sont tous Tunisiens, l’essentiel, c’est la compétence et l’engagement au service de la Tunisie. »
En fait, la doctrine BCE est formation de jeunes pousses, promotion de l’interne, et ouverture sur les meilleurs. Une ouverture pratiquée à petites doses homéopathiques comme l’attestent toutes les nominations décidées durant son magistère.
La sage décision tant attendue du président Ennaceur
Pour avoir été ambassadeur représentant permanent de Tunisie auprès de l’ONU à Genève, le président Mohamed Ennaceur connaît bien la fonction et le département. En examinant la liste des propositions qui lui sont soumises par le ministre des Affaires étrangères, Khemaies Jhinaoui, il réalise sans doute le poids des recommandations insistantes du chef du gouvernement, et les aspirations du ministère, ne considérant somme toute que la compétence et l’engagement, dans un bon dosage qui ne pénalise pas les diplomates. Au cours de sa longue carrière de ministre des Affaires sociales et depuis bientôt cinq ans à la présidence de l’ARP, M. Ennaceur avait fréquenté un très grands nombre d’ambassades et consulats, ainsi que les missions permanentes à l’étranger, jaugeant leurs titulaires, mesurant l’ampleur de la tâche qui leur incombe. Il est sans doute convaincu, que la diplomatie est, plus qu’un talent, un art et un raffinement, est surtout une spécialité pointue, fondée sur une formation spécifique et une maitrise des enjeux géostratégiques.
Le contexte l’exige, le contribuable le revendique
La complexité des relations internationales, l’émergence des diplomaties économiques, écologiques, scientifiques, de sécurité-défense, des nouveaux droits et autres, en font un véritable métier bien spécifique, d’experts et d’orfèvres. Nul ne saurait quel qu’en soit son talent s’improviser consul ou ambassadeur. C’est une charge complexe et compliquée et non une sinécure offerte en récompense.
Ce temps des recasements et de récompense de bons et loyaux services est révolu. Le contexte l’exige, le contribuable le revendique.
Taoufik Habaieb