News - 14.08.2019

50 ans après «le petit pas pour l’homme » de Neil Armstrong, L’appel de l’Espace

Monji Ben Raies: L’appel de l’Espace

La génération d’aujourd’hui n’était pas née, il y a 50 ans, quand l'Homme marchait sur la lune. Mais, iconiques, le premier pas de l’Homme sur un autre sol que la Terre, a certainement joué un rôle moteur dans sa vocation technologique et scientifique. La Lune, notre satellite, à 400 000 kilomètres de la Terre ; tout près de chez nous, à trois jours en vaisseau spatial. Elle est apparue comme un champ de bataille désert, bombardé par des millions d’astéroïdes et météorites. Un champ infini de roches grises. Nous la voyons toutes les nuits ; c’est un visage familier dans notre ciel. Les risques étaient grands pour les astronautes d’Apollo, mais le prix est unique ; voir notre planète comme personne ne l’a vue auparavant. Déjà un demi-siècle est passé depuis que Neil Armstrong a effectué, son "grand pas pour l’humanité". Depuis la nuit des temps, l’Espace est la nouvelle frontière et, la franchir pour se rendre sur la Lune, a toujours fait rêver l’Humanité. Les progrès de la technologie ont permis de réaliser ce rêve et d’envisager la possibilité d’envoyer un Homme sur la Lune. Mais au-delà de sa conception technique, la conquête de l’espace a été envisagée à l’origine comme un enjeu politique, diplomatique et de puissance pour les Etats. La course à l'espace, puis à la Lune, et maintenant à Mars, n’a pas cessé d’être un enjeu majeur, notamment sur le plan idéologique. De l’exploit technologique à l’instrument de domination politique, il n’y a souvent qu’un pas. Prodigieuse réalisation, comme on en vit peu dans une vie d’Homme, qui marqueront longtemps encore l’imaginaire de l’Humanité, concrétisant de fait le rêve d’échapper à l’enfermement terrestre. Face à l’évènement, nous pouvons oser une comparaison avec les odyssées des grands navigateurs découvrant une terra incognita, le premier survol de la planète par l’Homme, qui inaugure une nouvelle ère de notre histoire, dont les chants résonnent partout dans le monde. La conquête de l'espace a évidemment eu d'énormes répercussions culturelles, philosophiques et même métaphysiques, dont on ne cesse de mesurer les effets concrets. Elle a introduit une rupture profonde dans l'histoire de l'Humanité, un changement fondamental qui a finalement permis d’irriguer toutes les composantes de la culture du dépassement, la pensée philosophique comme la publicité, les arts comme les utopies. C'est un miroir qui a été tendu à nous-mêmes, une façon de regarder de l'extérieur chacun des aspects de la vie sur la Terre. Notre satellite est alors devenu le concentré symbolique d'une prise de conscience de l'unité planétaire. La pensée écologique en a pris de la vigueur, à partir de ce moment charnière, car vue de haut et de loin, notre belle planète bleue devient encore plus précieuse et fragile. Elle rappelle la formidable mécanique de l'humanité, pour engranger ses souvenirs et transmettre sa mémoire aux générations futures…

Formellement, l’espace infini et ouvert du cosmos s’oppose à des espaces infiniment clos qui se referment de plus en plus ; l’intérieur confiné du vaisseau spatial, ensuite l’intérieur plus réduit de la capsule de sortie, puis l’intérieur du scaphandre, dernière protection contre la morsure glacée du vide. Mais alors que l’Homme se retrouve quasiment démuni face à l’immensité, ce qu’il perçoit en permanence, c’est lui-même, sa propre respiration qui envahit tout son espace sonore. Cette respiration, c’est sa priorité ; elle est tout ce qui le relie à son humanité et à ses origines terrestres. S’il devait cesser de la percevoir, ce serait le signe de sa confrontation directe au vide, à la mort et au néant, sans plus même la faible protection de son casque. Casque, et vaisseaux, plus que des attributs classiques et indispensables de l’astronaute parti explorer l’univers, ils sont posés comme aboutissements de l’évolution humaine, l’Homme qui conquiert et prend le contrôle de son environnement par l’outils. Il est le premier barreau d’une échelle de Jacob qui mène aux étoiles et pose une continuité fondamentale entre l’arme improvisée, mais révélatrice d’un nouveau regard porté par l’humanité sur son environnement, et le vaisseau complexe qui effectue des missions orbitales en emmenant ses passagers en toute sécurité, vers des stations qui évoluent au rythme du ‘’Beau Danube bleu’’ de Johann Strauss. L’Univers s’entend, d’ailleurs merveilleusement, à capter l’émotion dans les regards, et à faire de ces regards une illustration paroxystique de son propos. Un regard suffit souvent à poser les enjeux d’une relation, l’intériorité d’un personnage, son rapport à l’univers qui l’entoure. Dans l’épopée spatiale, les regards qui comptent sont, celui de l’astronaute, froid, déterminé et efficace au départ, puis de plus en plus exorbité et rendu vide par un mélange de terreur et d’incompréhension, quand il se trouve confronté à l’inconnaissable, à une vision totale et concentrée d’un univers qui le dépasse et qui vient de l’engloutir ; mais aussi le regard d’une machine, l’ordinateur de bord, l’intelligence qui commande le véhicule et le relie à son point d’origine. Une voix désincarnée, venue de la Terre, qui peut jaillir de n’importe où dans le vaisseau, et suit même les astronautes à l’extérieur, dans leurs sorties extra-véhiculaires. Mais cette voix, qui est celle qu’on imagine à Dieu interrogeant Adam et Ève dans le jardin d’Éden, ou poursuivant Caïn à l’Est d’icelui, n’est rien comparée au regard de la machine. Des objectifs parfaitement ronds, à la pupille rougeoyante, démultipliés dans tous les recoins du vaisseau, parfaitement inexpressifs et glaciaux. Ils sont les reflets de l’intelligence froide et inhumaine de la machine, à la fois cyclope et monstre fait uniquement d’yeux, omniscients, panoptiques et omnipotents dans le cadre de son petit univers. La mission ‘’Apollo XI’’ fut un choc esthétique, dont les scènes marquèrent durablement les esprits de l’époque, mais ce fut aussi l’occasion de lancer un discret dialogue, par-delà les frontières et les années. Apollo XI s’inscrit dans un mouvement de l’humanité vers le ciel, une tradition dont il n’est que le continuateur, de la même façon que le vol des frères Wright est présenté comme le résultat d’une chaîne d’évolution technologique commencée à l’aube de l’humanité. Il impose une tension continuelle, un effort de dépassement de sa condition par l’Homme, s’éloignant toujours un peu plus de ses racines animales pour atteindre un niveau surhumain, nietzschéen, accompagnant son évolution, l’amenant à un stade divin après qu’il se soit dépouillé de tous ses artifices, y compris son rapport à l’espace et au temps. Réfléchir sur ces deux mondes, l’espace, la Terre, pose bien plus qu’une solution de continuité ; elle affirme leur unicité profonde et décrit une marche inexorable de l’histoire de l’un vers l’autre. Et elle pose aussi, de façon lancinante, la question du retour ; quand le voyage spatial a transformé le voyageur parti, qu’est-ce donc qui revient sur Terre ?

Au début des années 1960, le concept de "logiciel" est indéfini et l’informatique est encore balbutiante, avec les premières briques de codes développées à cette période, qui constitueront les bases de ce que sera l’informatique moderne et l'automation, l'utilisation des services d'un logiciel dans une application informatique et aux technologies de guidage. Au début des années 60, le microprocesseur n'a pas encore été inventé et pourtant, l'ordinateur de guidage d'Apollo, est une merveille technologique, même s’il est à peine plus intelligent que le système de commande d’un lave-vaisselle. Grâce à lui, l’informatique a pu effectuer un bond de géant. Sa conception, fruit de huit ans de recherches, a mobilisé plus de 700 des plus brillants mathématiciens, ingénieurs ou programmeurs de l’époque, dont Margaret Hamilton qui a inventé le premier système informatique capable de fonctionner en temps réel. Ainsi, la plupart des technologies qui ont permis à l'Homme de se rendre sur la Lune ont dû être inventées, comme les composants internes de l'ordinateur de guidage. Sur la Lune, est alors offerte en récompense, la vue unique de la Terre, perle bleue perdue dans l'immensité de l'espace.

Même si, dans la vie, il y a eu des faits marquants qui ont croisé les fils de la petite et de la grande histoire, l’image restée figée dans les mémoires, est celle d’hommes en blanc qui volaient littéralement à chaque pas. D’ailleurs, il faut quand même préciser, que nous avions une vision assez confuse de la conquête de l’espace. Et pourtant, cette nuit de l’été 1969 (02H56 GMT le 21 juillet 1969), tous ceux qui étaient en âge d’être devant leur poste de télévision noir et blanc, s’en souviennent. Un grand moment de vie, une nuit blanche, pour 650 millions de Terriens à travers le monde. Partout, les gens étaient devant cette modeste fenêtre, qui avait aboli les frontières, écoutant des communications radio crépitantes, jusqu'à ce que Neil Armstrong déploie sur le sol lunaire, un dispositif exceptionnel conçu par la Nasa, ainsi qu’une caméra en noir et blanc, avant d'y faire son premier pas au nom de l’humanité, par procuration. Mais, la conquête de l'espace change le regard des hommes sur la Terre, cette magnifique petite chose nichée dans le velours noir du reste de l'univers. Cette nuit des 20 – 21 juillet 1969, c'est toute l'humanité qui a posé le pied sur le satellite naturel de la Terre et par là, franchi la frontière planétaire.

Après la Lune, Mars ?

Aujourd’hui, la Lune a perdu son caractère inaccessible et devient une cible dans la mire d'une nouvelle génération, qui tente de relancer la quête sélène en alliant science, argent et profits. Mais la Lune, ce n’est plus assez et les Terriens regardent maintenant vers Mars et scrutent encore plus loin vers les étoiles. « Espace, frontière de l'infini, vers laquelle voyage notre vaisseau spatial ‘’Enterprise’’. Sa mission (…) : explorer de nouveaux mondes étranges, découvrir de nouvelles vies, d'autres civilisations et au mépris du danger, avancer vers l'inconnu et faire reculer l'impossible ». (Star Trek - Générique). Chaque épisode de la conquête spatiale illustre, à partir de métaphores variables, un thème métaphysique bien précis. Certains de ces thèmes reviennent même de manière constante et récurrente. Celui de l'évolution universelle, par exemple, qui nous fait imaginer une infinité de modèles de civilisations, à travers lesquels revient une même idée centrale ; l'évolution irait du matériel vers le spirituel, de la recherche de l'avoir vers celle de l'être et de notre place dans l’Univers. Grâce à un développement simultané de la science et de la conscience, l'Homme est sans doute appelé à abolir la frontière entre matière, pensée, et énergie, et à s'affranchir ainsi de ses dernières limites pour embrasser l’immensité du Cosmos ... Les moins de cinquante ans n'ont connu l'épopée prométhéenne de la conquête de l'espace qu'à travers la fiction et pourtant, la magie opère toujours. L’Humanité a besoin d’une nouvelle course à l’espace, de moins baisser les yeux sur les écrans des smartphones, mais, au contraire, de lever la tête vers le ciel et de scruter les étoiles, pour commencer à rêver son devenir. La course à la Lune sert toujours de catalyseur pour réenchanter le rêve humain : c’est le sens même du discours dit des « Nouvelles frontières » de John F. Kennedy prononcé lors de la convention démocrate de Los Angeles en juillet 1960. « Une nouvelle frontière est ici, qu’on la cherche ou pas. Au-delà de cette frontière se trouvent des zones encore inexplorées de la science et de l’espace, des problèmes non résolus de guerre et de paix, des problèmes invaincus d’ignorance et de préjugés, des questions non résolues de pauvreté et d’excédent. ».

Depuis l'arrêt des missions Apollo...

Malheureusement, les décideurs politiques sont toujours restés excessivement « Terra-centrés ». Ils ne voient l’intérêt de l’Espace qu’en fonction de la Terre en général et de leurs relations avec les autres grands pays du monde, en particulier. Depuis l’arrêt des missions Apollo, l’Homme ne va plus très loin, dans l’espace, même s’il y reste longtemps. Depuis l’exploit d’Apollo XI, la réalité nous a rattrapé et a transformé l’espace épique en un espace économique avec des perspectives de marché et de rentabilité. La conquête est devenue une observation de l’espace. Le télescope spatial Hubble a quand même permis de plonger dans le passé, mais aussi dans le lointain, de l’univers et finalement,
en 1995, la première exoplanète, ‘’51 Pegasi b’’, a été mise en évidence. Le fait que l’on en ait recensé plus de 4000 aujourd’hui, pourrait raviver l’intérêt du public à ressusciter le rêve spatial de la Génération Alpha.

Beaucoup ont tenté d’expliquer le relatif désenchantement à l’encontre de l’aventure spatiale au cours de ces dernières décennies. Il est sans doute dû, en partie, au fait qu’une limite technique bride les ambitions humaines. Il faut quatre jours pour aller sur la Lune, huit mois à un an, en théorie, pour atteindre Mars, combien pour atteindre l’infini ? Non seulement nous ne disposons pas encore de la technologie nécessaire pour passer la vitesse de la lumière dans l’infiniment grand, mais les capacités des moteurs thermochimiques des vaisseaux actuels (environ 50.000 km/h), nous limitent à une fraction de cette barrière physique théorique, faisant du système solaire notre seul horizon immédiat et notre prison. La science-fiction du milieu du XXe siècle (Isaac Asimov, Ray Bradbury, Gene Roddenberry ou Arthur C. Clarke, auteur de 2001 l’Odyssée de l’Espace, en 1964) imaginait volontiers l’imminence de progrès technologiques fulgurants. La réalité en a été et est toute autre : le téléphone portable s’est avéré, finalement, moins révolutionnaire que le téléphone, la voiture autonome que la voiture, Internet n’a pas eu, sur la productivité, les effets qu’a pu avoir, en son temps, l’électricité. C’est La Grande stagnation (titre d’un essai marquant paru en 2011) que masquent d’amusants gadgets. Les innovations disruptives du passé n’ont pas d’équivalent à l’époque actuelle, qui privilégie les innovations incrémentales rapidement profitables aux entrepreneurs pressés. Mais c’est aussi psychologiquement que l’espace a cessé d’être accessible. Depuis 1970 la population humaine a plus que doublé et l’Humanité est confrontée à des crises systémiques, énergétiques (1973, 1979) ; géopolitiques (1989/1991, 2001) ; financières (2007) ; environnementale ; globale enfin (le rapport Meadows est publié en 1972, l’année de la dernière mission Apollo), qui ponctionnent à l’excès les budgets et détournent l’attention des politiques. Aussi, le ciel n’est plus la priorité, tant la résolution pressante des problèmes terrestres impose son agenda et ses priorités.

Mais maintenant, 50 ans après, nous sommes à nouveau à la croisée des chemins et il semble bien, qu’encore une fois, nous prenions le mauvais. Le chemin vers les astres est long et sinueux. Les entreprises privées comme ‘’Space X’’ montent en puissance, qui n’ont pas la prudence frileuse de l’Administration et ont le souci, par contre, à la fois de l’exploit et de l’efficacité de leurs investissements. Ce sont probablement les héritiers des pionniers, refusant de se laisser cantonner aux perspectives des petits tours en orbite basse terrestre. L’esprit est là, chez ces hommes visionnaires, qui n’hésitent pas à s’impliquer, à s’efforcer de convaincre et à agir. C’est aujourd’hui, cinquante ans après le « petit pas pour l’homme » de Neil Armstrong, ce qui nous permet d’espérer, qu’un jour, la lourde superstructure administrative suivra ou accompagnera notre envol dans l’espace profond et son infinité de possibles que nous avons aujourd’hui la capacité d’affronter et d’utiliser.

Monji Ben Raies
Universitaire, Juriste,
Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques,
Université de Tunis El Manar,
Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis

 

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