Mourou pour Carthage: Ennahdha s’affiche mais ne se compromet pas
Par Mohamed Nafti, Général de Brigade (r). On n’a pas tort de croire que ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie est un événement qui prend en haleine un grand nombre de tunisiens et mérite bien peu l’attention d’un citoyen sensé. Ce n’est pas la canicule ni l’achat du mouton de l’Aïd qui préoccupent les lecteurs tunisiens ni même le décès de la grande Toni Morrison prix Nobel de littérature 1993 survenu le 5 aout. C’est la saga des candidatures de la présidentielle du prochain mois. Il ne reste que quelques heures pour la clôture des candidatures et voilà enfin, les choses sérieuses qui commencent à se dévoiler. Les grosses cylindrées se présentent. M. Marzouki, on l’attendait. Ennahdha s’affiche enfin.
Mais Ennahdha ne se dévoile pas et ne se compromet pas. Son jeu (politique) reste incertain. La politique comme la guerre est le domaine de l’incertitude. Ce qui donne l’occasion aux professionnels de l’information de présenter une marée de tribunes et d’analyses dans les prochains jours sur un thème en or pour garnir les discussions stériles sur les plateaux de télévision et sur les réseaux sociaux. Dans un coin plus discret, on va dire un peu voilé, cette analyse se veut libre et sensée.
L’honorable Abdelfattah Mourou est candidat à la présidentielle. C’est légitime et il n’y a aucune surprise. C’est un citoyen tunisien qui exerce ses droits conformément à la Constitution. M. Mourou candidat d’Ennahdha est autre chose. On est permis de poser la question suivante: pourquoi lui ? C’est ce choix qui suscite une telle question. Ce n’est pas sa compétence qui est discutée. Ce n’est pas sa légitimité au sein de son parti qui est analysée. Ce n’est pas non plus son acceptation auprès de la population tunisienne qui fera polémique dans ce qui va suivre.
C’est tout simplement un essai d’analyse du choix qui me tente et qui ne sera qu’une simple conjecture.
Avant quelques semaines, on pensait que le président du parti Ennahdha devait logiquement se présenter comme candidat à Carthage. Ou plus exactement que le parti présentera M. Ghannouchi pour ce poste. Détrompez-vous, le chef du parti, en bon stratège, a fait un choix qui n’est pas prévisible aux adversaires. L’ARP est théoriquement le pivot du pouvoir dans le système politique en Tunisie. D’ailleurs, et faut-il le redire, c’est la Troïka qui l’a conçue en 2012. Et c’est apparemment très logique de voir le chef du parti Ennahdha se présenter pour les législatives de 2019 qui, sans surprise, l’intronisera comme chef de l’Assemblée. Il pourra ainsi peser de toute sa force et de tout son poids pour remettre la pendule politique tunisienne à l’heure, à son heure.
Avant quelques semaines, on pensait aussi que le secrétaire général d’Ennahdha, un jeune (originalité de la révolution tunisienne) qui a depuis acquis une bonne expérience au gouvernement pourrait aussi être un candidat à la présidence. On assistera à un bon duel entre les « jeunes », Chahed, Marzouk et autres. La révolution tunisienne était une œuvre de la jeunesse. Laissons nos vieux se reposer et mourir en paix. Donc M. Laadhari candidat ? Ce n’est pas évident. On nous dira tout simplement NO! Il est réservé pour le poste du chef du gouvernement. C’est aussi logique.
Et les autres ? Les Mekki, Larayadh et Harouni? Je n’y comprends rien. C’est aussi logique. On ne devrait pas déchiffrer le plan de guerre (la continuation de la politique) de Ennahdha. C’est le domaine de l’incertitude.
Mourou devrait être le choix logique du parti. Il est le plus gradé dans le grade le plus élevé dans ce qui reste après la candidature de M. Ghannouchi à l’ARP.
Peut-on conjecturer sur les chances de M. Mourou ? Certainement ! Il sera à mon avis au second tour. Mais si on applique le paradoxe de Condorcet, ça risque de se gâter pour lui. A moins que la stratégie de Ennahdha dans la présidentielle ne soit basée sur l’échec. L’échec voulu pour des raisons obscures voilées mais encore une fois de plus, logiques. Absurde pour nous, logique pour Ennahdha. D’ici là, croisons les doigts et bonne chance à M. Mourou ainsi qu’aux différents candidats!
Mohamed Nafti,
Général de Brigade (r), ancien Inspecteur général des Forces armées (IGFA)