Anouar Maarouf: Decash, 5G, e-Santé et fond des fonds du Start’Up Act (Vidéos)
Qui aurait cru qu’il resterait ministre des TIC pendant bientôt trois ans et battrait ainsi en record de longévité tous ses prédécesseurs depuis 2011? Ce pari, au moins, Anouar Maarouf, 49 ans, ministre des Technologies de l’information et de l’Économie numérique, au compte du mouvement Ennahdha, dans le gouvernement Chahed, depuis le 27 août 2016, l’a tenu. Mais, qu’a-t-il fait de son mandat ? Alors que l’âge théorique du gouvernement actuel expire dans moins de six mois, fin janvier 2020, l’heure est certes au bilan, mais aussi aux chantiers à rattraper d’ici là et surtout aux frustrations de ce qui n’a pu être accompli.
En délocalisant le siège de son département de l’historique Hôtel des Postes et des Télécoms de la rue d’Angleterre en plein centre-ville vers le quartier de la Place Pasteur, Anouar Maarouf a profité de ce déménagement pour imposer une digitalisation quasi- totale du cabinet ainsi que de l’administration. En pionnier et pour inspirer ses collègues à la tête d’autres ministères en leur démontrant que ça fonctionne.
Dans son nouveau vaste bureau high- tech au 7ème étage de cet immeuble moderne, sur les hauteurs du Belvédère, aucun parapheur sur la table, juste un ordinateur portable. Et des appareils téléphoniques, fixes et mobiles, instruments de commandement. Il répond aux questions de Leaders.
Activation de la loi Start ‘Up Act, renforcement de l’infrastructure TIC (Rnia2 et zones blanches), incitation au decash en invitant l'etat à interdire le cash en paiements et recettes, développement de l’e-santé, préparation de la G5, villes intelligentes, digitalisation des échanges de correspondances de l’administration, identifiant unique, et autre Cloud national. Entre projets déjà initiés par ses prédécesseurs, notamment Mongi Marzoug (dont il était chargé de mission au sein de son cabinet) et ceux développés depuis 2016, les chantiers à faire aboutir sont nombreux, stratégiques et exigeants. «Vous voyez bien pourquoi je n’ai pas le temps de faire de la politique », lâche avec humour Anouar Maarouf, qui n’a pas visé une investiture de son parti Ennahdha aux législatives de 2019 dans sa circonscription natale de Monastir.
Une série d’annonces
Un don chinois permettra de lancer une grande plateforme d’e-santé. Les licences pour la G5 seront accordées en 2021, en nombre réduit et à des montants incitatifs. Pas moins de 100 imadats rurales et frontalières seront couvertes par les réseaux de télécoms. Sur la trentaine de ministères, six pratiquent déjà l’échange électronique des correspondances, les récalcitrants suivront par la suite. Pour financer l’économie numérique, et couvrir le cycle de vie d’une startup jusqu’à sa réussite, un fonds est créé. Conçu en fonds de fonds avec un capital cible de 200 MD y compris les participations de la CDC et de nombre de de bailleurs la KFW, l’AFD, etc. Le capital de démarrage est de 100 MD.D’ores et déjà, une société Smart Capital est constituée avec un capital à 100% de fonds publics, mais une gestion à 100% privée. Bref, les annonces ne manquent pas.
Frustrations? Plutôt des regrets!
Anouar Maarouf n’aime pas le terme frustration pour parler du non-accompli durant son mandat. Il préfère parler de chagrins ou regrets. Mais quelle que soit la terminologie, trois grands projets, mis sur voie de garage à la Kasbah, lui restent en travers de la gorge.
ADN, code numérique et réforme de Tunisie Telecom
D’abord, l’ADN, cette Agence de Développement du Numérique devant servir de levier à la mise en œuvre des projets et à leur financement. Elle est conçue en superstructure, au même titre que d'autres organismes relevant du département. S’appuyant sur le fonds des TIC, alimenté auprès du Trésor public par un prélèvement de 5% sur le chiffre d’affaires des opérateurs téléphoniques (plus de 200 millions de dinars), elle se veut bailleur de fonds, facilitateur et accélérateur. Parmi ses actions projetées, l’intégration des compétences tunisiennes, notamment celles très pointues, dans la gouvernance des projets. Adopté en Conseil des ministres, le décret portant création de l’ADN n’est pas encore publié. Et risque de ne pas l’être. Il a suscité une levée de boucliers, notamment de la part des équipes du CNI et ceux qui craignent une mainmise politique sur cet organisme ultrasensible.
Le code numérique connaît lui aussi une même voie de garage. Moins avancé dans son processus de finalisation que l’ADN, il est encore en balade dans les bureaux de la Kasbah, sans parvenir au conseil des ministres.
Troisième regret exprimé, la réforme de Tunisie Telecom. «C’est un opérateur, non seulement historique, mais surtout à très fort potentiel, servi par des compétences de premier plan, à tous les niveaux, affirme le ministre Maarouf. Le plan de réforme est clair dans mon esprit et les détails sont bien tracés. Il suffit juste de donner le Go, pour engager les décisions à prendre.»
Une nation connectée
«Chagrins» liquidés, passons aux chantiers en cours. A leur évocation, Anouar Maarouf retrouve son regard pétillant. En visite récemment en Chine, le ministre des TIC s’est particulièrement intéressé à l’expérience chinoise en matière de digitalisation des paiements (decash), de villes intelligentes et d’e-santé.
«En une semaine tant dans la capitale Pékin que dans des villes de l’intérieur, confie Anouar Maarouf, je n’ai pas vu de mes propres yeux un seul billet de yuan, la monnaie du pays. Tout s’effectue à travers les smartphones, le QR Code et la reconnaissance faciale viennent en appui pour des applications encore plus avancées.»
E-santé: un projet tuniso-chinois
Est-ce la fin d’un cauchemar qui dure et de promesses qui perdurent. Cette fois, le ministre Maarouf se veut affirmatif quant à la concrétisation du projet. Grâce à un don chinois, révèle-t-il, une plateforme intégrée e-santé sera bien développée, incluant les prises de rendez-vous, le dossier médical, la gestion des circuits médicamenteux et la télémédecine.
La licence 5G en nombre réduit et à prix incitatif
Si le fibrage optique est essentiel pour renforcer la digitalisation, la création de services innovants et le déploiement du très haut débit en réseau 5G sont la clé de toute stratégie numérique. Anour Maarouf en est conscient. Avant de s’y attaquer de plain-pied, il n’a pas omis d’assurer la couverture télécommunication de l’ensemble du territoire, à travers un plan Zones blanches, étendu à 100 localités enclavées des réseaux. Aussi a-t-il fait reprendre en phase 2 le Réseau national intégré de l’administration (Rnia) devant interconnecter, à travers une infrastructure unifiée en haut débit, plus de 1 200 sites de l’administration au niveau central, régional et local. «Tenez-vous bien, nous nous sommes rendu compte que faute de moyens, certaines municipalités sont connectées à un débit de 128 octets, s’indigne Maarouf. Ne soyez-pas alors surpris d’apprendre que le réseau est en panne et qu’il faut revenir le lendemain, tenter sa chance ! Souvent en vain !» Mais venons à la 5G. «Nous allons innover dans l’octroi des licences pour la 5G. Contrairement aux expériences précédentes, les montants requis ne sont pas très élevés. Nous avons en effet tiré des enseignements de ce qui s’est passé chez nous et dans d’autres pays. Le nombre de licences sera limité, selon les besoins du pays, loin de déstabiliser le marché actuel. Nous devons inciter les opérateurs à y investir et innover.
L’Etat doit interdire le cash dans ses paiements et ses recettes
«Deux acteurs principaux en Tunisie doivent s’investir dans le decash, poursuit-il. D’abord l’Etat qui est le plus gros opérateur des paiements. Il doit généraliser les règlements éléctroniques et ne plus accepter les sommes en liquides, notamment dans les recettes financières. Interdire le cash dans les services publics, progressivement certes, est essentiel, mais un peu partout, ailleurs, aussi. Le deuxième acteur n’est autre que le Tunisien lui-même, qu’il faut sensibiliser et inciter. Obligation et incitation sont les deux leviers à activer. Quant aux banques, il convient de les amener à offrir un bouquet de transactions gratuites par cartes électroniques. Au lieu de travailler sur la rente, il vaut mieux privilégier l’abondance.
Villes intelligentes: Kairouan et Bizerte comme projets pilotes
Toujours à propos de sa récente visite en Chine, le ministre des TIC revient sur l’expérience de ces villes entièrement câblées par fibre optique et connectées, couvertes par des caméras de surveillance partout installées à même de signaler systématiquement tout incident et gérant la circulation. Outil de décision, les caméras détectent toute construction anarchique, occupation abusive des espaces publics et autres. Sans oublier les différents services numériques. «En collaboration avec l’Association tunisienne des villes intelligentes, une caravane de sensibilisation a sillonné toutes les régions, incitant chaque commune à intégrer dans son plan de développement un projet de ville intelligente. D’ores et déjà, les villes de Kairouan et Bizerte, bien avancées sur cette voie, ont été retenues comme projets pilotes par l’Union internationale des télécoms (UIT).
Les points de vigilance
Les quelques mois qui lui restent encore à la tête du ministère des TIC, Anouar Maarouf entend les consacrer au «finissage» et à la «transmission». «L’effort ne doit pas se relâcher, met- il en garde. Nous devons maintenir en flux tendu l’avancement des projets en cours et les placer sous surveillance quotidienne. Je pense particulièrement à l’interopérabilité, cette plateforme d’échange de données d’une manière fiable et non contraignante pour les systèmes d’information déjà en place. Je pense aussi à la gestion électronique des correspondances (GEC), visant la modernisation et l’amélioration de la qualité des échanges de courriers intra et inter- administrations.»
«Le développement du Cloud national est, lui aussi, très important, poursuit le ministre. Il s’agit de capitaliser sur les «Data Centers» existants (sectoriels et au niveau du CNI) afin de créer une infrastructure commune virtualisée, permettant d’offrir à l’ensemble des structures administratives des services industrialisés (avec un bon niveau de disponibilité et assurant la continuité de service). Mon attention se concentre également sur l’identifiant unique du citoyen et de l’entreprise, permettant d’attribuer à chaque citoyen un ID électronique unique dès sa naissance, de l’authentifier pour la délivrance de tous les services de l’Etat, de l’intégrer dans la signature électronique et autres avantages.
Mais, son véritable vaisseau d’amirauté reste la loi Start ‘Up acte. Anouar Maarouf en fait son cheval de bataille. Tout récemment, une grande session de réflexion stratégique, dans le droit fil de ce que Mongi Marzoug avait réuni à Tabarka 1 & 2, et Noomane Fehri à Korba, vient de se tenir début juillet à Hammamet. Continuité et convergence pour la mise en œuvre de la stratégie Tunisie Digitale 2020- 2025, le contrat a été pris en charge par les participants. Livrable : mars 2020 pour ancrer le numérique en secteur horizontal, accélérateur du développement et levier de croissance.