Mohamed Derbel: La loi transversale transgresse le principe de non immixtion dans la gestion des commissaires aux comptes
Tant attendue, la loi d’amélioration du climat des affaires est parue le 11 juin dernier sous le N°2019-47 marquant pour la première fois dans l’histoire de la Tunisie une nouvelle technique d’amendement de plusieurs textes juridiques d’un seul coup, d’où l’appellation « Loi Transversale ». Une technique intelligente qui écourte les délais et diffuse une orientation économique qui se doit cohérente.
Cette loi avec ses 38 articles a visé l’instauration des principes de transparence, de facilitation, de raccourcissement des délais etd’utilisation des techniques modernes de communication.
(Télécharger la publication de BDO Tunisie sur la loi transversale)
Les trois premiers articles de cette loi ont mis à la charge de touteinstance publique, l’engagement fermede respecter ces principes mais aussi l’obligation de ne pas demander aux investisseurs des documents dont elle dispose, ou qu’elle a déjà émis ou que d’autres instances publiques les ont émis.
Une vraie révolution dans la relation entre les investisseurs et l’administration.
Bien que cette loi vise :
- La simplification de la création des entreprises et l’entreprenariat
- L’assouplissement des mécanismes de financement,
- L’assouplissement du régime des concessions & du Partenariat Public-Privé (PPP),
- Le renforcement de la gouvernance des sociétés commerciales,
Elle a toutefois, transgressé par inadvertance un principe fondamental de la fonction du commissaire aux comptes, à savoir, «Le principe de non immixtion dans la gestion».
En effet, la loi transversale a amendé dans son article 29, le fameux article 200 du code des sociétés commerciales qui régit les conventions liant la société à ses administrateurs et ses actionnaires et ce par l’obligation de;
«Précéder l’autorisation du conseil d’administration d’une convention règlementée par la présentation par le commissaire aux comptes d’un rapport spécial relatant les conséquences financières et économiques de cette même convention ».
Cette nouveauté, bien qu’elle apparaisse cohérente avec l’esprit d’éclairer les administrateurs sur la convention qu’ils devraient examiner, met à la charge du commissaire aux comptes le poids de l’argumentaire d’un acte de gestion.
- Examiner l’objet de la convention proposée;
- Analyser les effets de cette convention sur le fonctionnement normal des activités;
- Identifier les conséquences économiques que cette convention pourrait avoir sur la société contrôlée;
- Evaluer l’impact financier de la convention;
- Apprécier la normalité de la convention par rapport au marché;
Sont quelques diligences que le commissaire aux comptes se trouve astreint à mettre en œuvre pour pouvoir livrer un rapport relatant les conséquences économiques et financières de la convention à examiner par le conseil d’administration.
Cet appui à la décision du conseil d’administration est une immixtion directe du commissaire aux comptes dans la gestion de la société qu’il est appelé à contrôler.
Se trouver juge et partie d’un acte de gestion, d’une convention, d’une opération est une transgression d’un principe fondamental de l’exercice de cette fonction de commissaire aux comptes.
D’autres problématiques pourraient se poser également, notamment pour les conventions où le commissaire aux comptes a présenté dans son rapport des conséquences dommageables pour la société alors que le conseil a décidé autrement, ou encore lorsque le conseil a écarté une convention très bénéfique pour la société au détriment d’une autre qui ne pourrait l’être.
Eclairer les administrateurs par un rapport spécial sur les conventions règlementées soumise à leurs autorisations préalables est une excellente idée, sauf que ce rapport spécial ne doit pas être préparé par le commissaire aux comptes qui est appelé pour une fonction de contrôle et non d’aide à la décision.
La loi transversale devrait rectifier son amendement de l’article 200 du code des sociétés commerciales en changeant le terme «Commissaire aux comptes» par «Expert-comptable membre de l’ordre des Expert comptables de Tunisie » de façon à ce que le commissaire aux comptes reste dans le cadre général de l’exercice de sa fonction de contrôle sans aucune ingérence.
Mohamed Derbel
CPA-Partner- BDO Tunisie