Taoufik Habaieb - La revanche posthume de Béji Caïd Essebsi... sur nous tous
Etait-ce écrit dans le ciel ? Il s’est éteint au moment où la Tunisie avait le plus besoin de sa sagesse, de sa pondération, de son arbitrage. Béji Caïd Essebsi nous quitte au dernier quart d’heure d’une avancée très mouvementée devant conduire la Tunisie vers de nouveaux horizons. Il nous lègue certes des acquis précieux, mais aussi, et à son corps défendant, une œuvre inachevée.
Trahi par une maladie subite qui a eu raison de toute sa résistance, il était excédé par un climat délétère qui s’amplifiait à l’approche des élections législatives et la présidentielle ; déçu, sans doute, à plus d’un titre.
Nous abandonne-t-il au milieu du gué ? De toute son énergie, Béji Caïd Essebsi tenait à aller jusqu’au bout de son mandat, gardant toujours espoir de tenir toutes ses promesses d’élections. Dans des propos prémonitoires, il nous confiait début mai dernier : « Je sais que je ne suis pas loin de la sortie et je n’ai pas l’excuse de l’ignorance». Comme dans une course contre la montre, il voulait au moins voir la Cour constitutionnelle se former et, en ultime espoir, la loi sur l’égalité successorale adoptée. Il finira par déchanter. La blessure restera profonde en lui. Et elle ne sera pas la seule.
Béji Caïd Essebsi était écœuré. Des trahisons, des lâchages, des retournements de veste, il en avait connu toute sa vie politique durant. Des attaques personnelles, viles et amorales aussi. Mais des accusations de viol de la Constitution dont il est le garant et de menace de la stabilité de l’Etat et de ses institutions, pour n’avoir pas promulgué la loi d’exclusion électorale, lui étaient insupportables.
Le jeu politique était devenu malsain, toxique, pratiqué en hold-up. Ce n’est pas ce que Béji Caïd Essebsi espérait de mieux pour la Tunisie. Cinq années de perdues, déjà à cause de la Constitution et de la loi électorale et cinq prochaines années de gâchis, faute de révision profonde, nous confiait-il.
La manipulation s’est érigée en règle. Dans les sondages, les médias et l’opinion publique. La notoriété valorisante de BCE est annoncée à l’érosion. L’appréciation de son œuvre, marquée au fer rouge. Ses détracteurs coalisés contre lui l’accusent de toutes les fautes originelles, de tous les maux dont souffre le pays. Diabolisé jusqu’à être réduit en pantin entre les mains des siens. Pouvait-il l’accepter ?
Personne ne réalise encore l’œuvre accomplie par Caïd Essebsi. Rares sont ceux qui se hissent à la hauteur de sa pensée, à la clairvoyance de ses choix, à la pertinence de ses décisions. On le donnait déjà sur le départ. Tous s’empressaient de le voir leur remettre les clés de Carthage, inconscients qu’ils sont qu’il détient, plus que le mode d’emploi, toute la sagesse du magistère, ô combien précieuse.
Il implorait le Bon Dieu de le doter d’un grande capacité de persuasion. Caïd Essebsi a-t-il fini par se départir de cette force exceptionnelle qui a été la sienne ? S’était-il résigné à baisser les bras et se laisser aller vers un monde meilleur ? Ou a-t-il préféré mettre les Tunisiens face à leurs responsabilités, en mode prenez votre avenir en main ?
Caïd Essebsi n’attendait plus rien de personne. La reconnaissance est devenue la monnaie la plus rare. Edifié par ce qui était arrivé à Bourguiba, il sait, pour l’avoir écrit lui-même, que «c’est assurément par l’ingratitude que les peuples rendent hommage à leurs grands hommes». Mais, il était convaincu aussi que «lorsque le temps fera son œuvre, que le bon grain sera séparé de l’ivraie et que l’histoire prendra le pas sur l’actualité, Habib Bourguiba sortira du purgatoire...» Lui aussi ne craignait pas le purgatoire, confiant en son œuvre. Sans tarder, le jour même de son décès, il est… plébiscité.
Sa mort aura été cependant pour lui une belle revanche. Sur nous tous. Ceux qui ont trahi, ceux qui ont hésité, ceux qui ont douté, ceux qui ont failli, ceux qui l’ont privé de leur soutien... L’immense ferveur, inégalée, suscitée par sa disparition, cette transition en douceur immédiatement enclenchée, ces éloges qui fusent de partout, de la bouche des grands de ce monde comme d’humbles citoyens, et ces funérailles grandioses qui lui sont consacrées redorent son blason.
Son dernier message résonnera dans les oreilles de ceux qui savent écouter : débrouillez-vous ! En vrais patriotes.
Béji Caïd Essebsi aura été le dernier leader de sa dimension. Il est déjà entré dans l’Histoire par la grande porte.
Taoufik Habaieb
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