Nejib Derouiche: Qui est à même de gouverner en Tunisie?
A tous les niveaux, le Tunisien se retrouve dans un carrefour qui lui impose depuis les années postrévolutionnaires un certain nombre de questions et qui fait de lui un « citoyen en devenir » ou un apprenti penseur politique. Face aux répétitifs rendez-vous électoraux, chacun de nous se pose la question : "Qui mérite mon choix?"
Qui dois-je installer au pouvoir?
Comment répondons -nous à une telle question?
Quels sont les fondamentaux d’une telle problématique que l’on peut encore qualifier de nouvelle ?
D'une manière schématique le Tunisien se retrouve face à un large panel de discours d’une complexité certaine. Il est par ailleurs difficile d’identifier une matrice à partir de laquelle puisse émaner une logique commune expliquant l’éclosion de ces prêches. Cependant, nous pourrions tout de même délimiter cette multiplicité selon la carte suivante:
- Les prétendants porte-paroles de la Nation tunisienne. La Tunisie en tant que Tradition. C’est la pensée qui valorise l'histoire du pays et ses fondamentaux propres. Ces nostalgiques sont prêts à concéder certains privilèges au profit d’un certain ordre établi par le vécu d'un peuple et jugé référentiel immuable. C'est la Tunisie en tant que Nation avec ses différences et ses forces de rassemblement. Un choix qui voit la nécessité d’un compromis et une acceptation conventionnell, d’une certaine hiérarchie sociale et régionale et une tradition transcendant la pure critique de la Raison sociale et politique.
- Une autorité théocratique para-nationale fondée sur le commun d'une religion enracinée comme civilisation régionale et forte d'un projet universel. Ce que la nation tunisienne dans sa particularité fermée ne peut apporter, la théologie dans son discours universel offre avec profusion aux plus communs des citoyens demandeurs de thèses du salut collectif. Un discours qui rassemble encore malgré une méfiance grandissante des forces régionales d’une façon générale.
- Une force critique à prétention humaniste. L'homme est la mesure de tout. La thèse traditionaliste et celle à connotation théologique sont combattues. Une force avant-gardiste baignant dans une mondialisation multi-faciale mais fondamentalement occidentale. Ce discours repose majoritairement sur un socle de valeurs républicaines et sur une démarche de démocratisation.
- Une dizaine d’années après une révolution décevante, un quatrième discours se précise et mobilise une couche sociale désillusionnée. Ce discours renaît de ces cendres car c’est le même qui a été le premier moteur de la révolution et c’est lui qui a mobilisé les victimes des injustices du passé, ceux qui ont fait la révolution et qui n’ont rien obtenu après celle-ci. Un discours de rejet et de refus les plus radicaux.
BCE a très vite compris ceci, et a tenté de varier les alliances et les coalitions au pouvoir : Un gouvernement d’unité nationale rassemblant tous les discours et toutes les tendances. BCE espérait ressembler pour faire naitre une nouvelle énergie et finir son bilan par une phase de construction. Une phase de réconciliation et de relance. Une énergie nouvelle dont, lui, serait l’inventeur et le générateur.
Fort d’un charisme unique, BCE a établi l’alliance de tous les compromis, un équilibre savant, mais qui s'est révélé être le compromis de tous les tabous. Afin de ne fâcher personne, cette large et néanmoins stérile alliance a montré l’inertie comme essence. Rassembler autour de la même table de Carthage 1 et 2, est certes des plus grandes élégances, mais elle n’a pas généré l’exaltante énergie tant sollicitée.
Un compromis de tabous et resté stérile est à présent le principal moteur du rejet généralisé et refait naitre la menace d’une révolution vraie.
A l’évidence l’harmonie affichée par les forces du passé ne peut point créer une dynamique orientée vers l’avenir. Un renouveau dans le discours mais une action faite de choix fermes et de déterminations patriotiques. Face à l’inertie du compromis il faut probablement inventer la dynamique du conflit.
La scène politique tunisienne ne nous a certainement pas fait l’économie du combat politique et du conflit partisan. Seulement à quel combat d’idées avons-nous assisté ? Quelles théories et quels programmes la plupart des gouvernements successifs ont-ils mis en avant ? Hélas, le conflit s’est fait sur d’autres plans et les coups ont visé plus les personnes dans leurs personnes que les idées dans leur pertinence.
Qui va donc pouvoir inventer cette dynamique et par quelle autorité saura-t-il l’imposer?
L’exercice est des plus périlleux tant la majorité des formations exécutives passées se sont toutes décrédibilisées en déroulant vainement nombre d’incertains manuscrits et de traitements douteux.
Parmi les formations alignées en vitrine et les prétendants-leaders dans leurs courses courtisanes à l’approbation d’une majorité absolue ou d’une majorité relative, qui aura le bon discours et qui pourra imposer la bonne forme d’autorité?
Quelle science politique serait à même de disposer du bon artifice qui bousculera ce large démêlé le sortant d’un attentisme qui n’a de mouvement que celui de ses contradictoires forces de communication, vers une dynamique créatrice et mobilisatrice?
Nejib Derouiche