Mohamed Salah Ben Ammar: Oser d’abord puis doser!
Panique à bord à la veille des élections, le dernier sondage en date du 10 juillet 2019 publié par le quotidien le Maghreb prévoit pour les législatives dans l’ordre, 29% à « Au cœur de la Tunisie » de N. Karoui, 15% pour Ennahdha et 12% pour l’ex RCD quant aux présidentielles N. Karoui est crédité de 23%, K. Saied 20% et A. Moussi 12%. Franchement inquiétant. Une catastrophe se prépare.
Pour les partis au pouvoir comme pour l’opposition le bilan est catastrophique, la faillite est totale et l’équation à résoudre à quelques semaines des élections est simple: comment se faire élire avec un bilan catastrophique?
Mais si nous en sommes là c’est parce que depuis 2011 la liberté si chèrement acquise a été dévoyée. La parole s’est libérée mais pas les esprits. Malheureusement les scoops et les problèmes de personnes ont pris le dessus sur les problèmes de fond. La médiocrité du paysage médiatique, couplée à la faillite économique et sociale du gouvernement a fait le lit du populisme et du rejet du politique. L’invasion des réseaux sociaux, l’omniprésence des images n’ont laissé qu’une place réduite à la réflexion approfondie. Depuis des années, exceptionnels ont été les dossiers qui ont été abordés chiffres à l’appui, dossiers en main. En revanche nous avons régulièrement eu droit à des charlatans et des prestidigitateurs, à tel point que beaucoup sont devenus allergiques à la télévision.
Nous ne faisons pas beaucoup d’illusion sur l’avenir même si les programmes des partis au pouvoir n'ont pas encore dévoilés leurs programmes. Il y a tout à parier qu’ils ne seront pas révolutionnaires. Contrairement à ce que l’on veut nous faire croire le courage n’est pas la chose la mieux partagée en ce moment. Ils ont oublié que le consensus est la pire des solutions. Tout laisse penser que les partis au pouvoir vont opter pour des thématiques consensuelles, insipides et des projets mal étudiées permettront de braser large. Ceux qui ont encore le courage de suivre la vie politique constatent que la campagne électorale est déjà lancée et les promesses sont quotidiennes.
Réformer en profondeur est en dessus de leur capacité. Ils gèrent au coup par coup. Ils pensent que le commun dénominateur permettra de braser large. Ce faisant ils font une grave erreur d’appréciation, le tunisien n’est pas dupe. Mais, venant de là où ils viennent ils n’ont pas la lucidité de voir qu’ils ne mobiliseront les énergies que s’ils osent faire bouger les lignes et proposer des approches audacieuses aux problèmes chronique dont souffre le pays.
Quelles doivent être les missions de l’Etat et de son administration ? Quelle administration voulons-nous ? Nos fonctionnaires sont très mal payés c’est un fait mais sont-ils réellement trop nombreux et incompétents?
Comment réduire le chômage ? Sommes-nous condamnés à avoir un taux de chômeurs à deux chiffres?
La fiscalité, l’Etat est-il capable d’assurer ses missions et de réformer pour rétablir une justice fiscale, lutter contre l’évasion fiscale?
Quelles solutions proposer à des secteurs en souffrance chronique comme la justice, l’éducation nationale, l’enseignement supérieur, la CNAM, les caisses de retraite, la santé, le sport, le secteur bancaire, le secteur de l’énergie et bien d’autres?
Plus délicats sont les débats sur les choix de société. Qui osera briser le mur de l’hypocrisie ? Quelle place doit avoir la religion dans l’espace public ? Sommes-nous capables d’échanger sur ce sujet sans s’accuser d’apostasie ou de vendus à l’occident ou à l’orient ? Qui osera un jour mettre fin au tabou qui ignore la contraception avant le mariage ? Jusqu’à quand allons-nous nous mentir sur l’évolution des mœurs dans nos familles?
Plus polémique est le pluralisme syndical ! Comment l’aborder avec une centrale syndicale ultra puissante? L’UGTT est-elle un partenaire ou un cogestionnaire qui impose ses choix à un Etat affaibli par 9 ans de tergiversations ?
Pour le moment nous ne voyons que des réponses molles sans aucune imagination ni anticipation. C’est les politiciens animateurs des plateaux des chaînes de télévision commerciales qui ont fait le lit des Karoui, Moussi et autres Riahi, Hamdi et font fuir les personnes qui se respectent. Aujourd’hui pour rétablir la confiance et faire vivre dans les esprits le rêve d’une nouvelle Tunisie, il est impératif de séparer le grain de l’ivraie. Je ne crois pas que nous soyons condamnés à choisir entre la peste ou le choléra, c’est-à-dire, soit reconduire les mêmes ou voter pour les populistes et anciens RCD ! D’autres solutions existent. Il faut avoir confiance en l’intelligence de nos concitoyens ; Il reste une fenêtre de tir avant les élections, elle est étroite mais elle existe. Je formule le vœu de voir les rares partis fondés sur des principes et non sur l’opportunisme jouer le rôle de laboratoire d’idées et occuper ce vide destructeur. Les médias doivent leur offrir des espaces. Des journalistes qui connaissent bien leurs dossiers, des médias courageux pourraient faire bouger les lignes et pousser les tenants du pouvoir à sortir de leur zone de confort. Je suis convaincu que des centaines et de milliers de nos concitoyens sont prêts à se mobiliser, ils n’attendent que cela, offrez leur cette chance.
Dr Mohamed Salah Ben Ammar
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