Monji Ben Raies : Tunisie des villes contre Tunisie des champs
Ces derniers mois, le fossé entre les régions a semblé encore se creuser. Notre économie est incapable de générer une croissance qui ne se limite pas seulement aux seules métropoles. Incapable de créer de l’emploi pour tous, de maintenir le pouvoir d’achat citoyen, d’offrir des perspectives aux ruraux autant qu’aux urbains et par là d’empêcher l’exode rural endémique. Peut-être l’industrie détient-elle une partie de la réponse. Bien sûr, ces dernières décennies, le mot industrie a résonné de façon assez négative, trop souvent synonyme de perte d’emploi et de perte d’attractivité pour de nombreuses zones industrielles. Depuis 2011, notre pays a aussi fermé davantage d’usines qu’elle n’en a ouvertes. Cette dynamique est évidemment négative et doit être impérativement rectifiée, car elle contribue à accroitre la fracture territoriale qui mine, aujourd’hui, notre pays et de nombreux autres dans le monde dont les problèmes sont similaires. Nos usines sont des centres économiques vitaux pour les territoires de l’intérieur. Elles vivifient les villes alentour, offrent des perspectives aux populations locales, soutiennent la cohésion du tissu social, associatif et entrepreneurial, et constituent plus largement un appui majeur pour les écosystèmes locaux. Ancrées dans leurs territoires, elles participent activement aux dynamiques d’emploi, ainsi que d’approvisionnements, locaux. Pour un emploi direct, c’est presque deux emplois indirects qui sont créés dans les bassins d’emplois par ces intermédiaires.
C’est pourquoi, dans une approche de partenariat, l’Etat doit reconcevoir sa mission sociale et son engagement. Pour ce faire, il doit s’impliquer dans de multiples initiatives multisectorielles, selon un protocole différent de celui d’hier. A travers les centres de formation, qui contribuent au développement des compétences, des incitations à la création et au maintien de PME sur les territoires régionaux, notamment à travers la restauration et l’amplification des infrastructures de communication, des actions d’appui en compétences et la mise en place de nouveaux modes d’implication des organismes de financement offrant une large panoplie de prêts participatifs. Son engagement doit être rationnel et répondre aux exigences de la gouvernance moderne. De la même façon qu’une usine génère de multiples externalités positives pour un territoire, l’encadrement du tissu entrepreneurial est vital pour une industrie et ses unités de production. Elle a besoin de PME performantes, de technologie, de main d’oeuvre qualifiée, de territoires dynamiques, bien équipés et désenclavés. L’engagement au plus près du niveau local est aussi intimement lié au type de production, sans que ce soit un prétexte à la discrimination. Ce choix, autant économique qu’écologique, nécessite une production locale et un maillage de distribution très dense. Ce pourrait être le cas à travers des enseignes de distribution spécifiques, des labels qualité et un classement spécifique. Motivé par un objectif prioritaire de performance, l’engagement de l’Etat doit aussi conduire à innover et investir massivement dans le contexte et la population. Aujourd’hui, il est possible de produire et d’être performant en Tunisie dans nos régions, si l’on s’en donne les moyens. La performance industrielle a toutes les cartes en main, avec la transformation numérique intelligente et le développement de l’industrie 4.0, dans nos régions, qui pourraient disposer d’un créneau unique pour trouver leur place parmi les champions de l’industrie mondiale. Pour cela, il est indispensable d’associer toutes les bonnes volontés et de mettre autour d’une table tous les acteurs et parties prenantes : responsables politiques, organisations nationales, associations, investisseurs, entreprises, start-up, fournisseurs et consommateurs de technologies et aussi les partenaires académiques. Cette ambition nécessite bien sûr de renforcer et rationnaliser le secteur de la formation et le développement des compétences en fonction des standards internationaux et des exigences des marchés, nationaux et internationaux. En effet, dans l’industrie du futur, la bataille cruciale se jouera presque exclusivement sur les compétences et les talents. C’est ainsi que, selon un rapport de "l'Institut pour le Futur", 85% des emplois de 2030 n'existent pas aujourd'hui. Entre automation et robotique, il nous faudra, sans cesse, tirer parti des innovations techniques et digitales pour toujours reprendre un temps d’avance, au niveau des formations. Cette ambition nécessite enfin de la part de l’Etat, au-delà des moyens à consacrer au plan Territoire - Industrie, une attention plus forte à la compétitivité des entreprises. Nos régions doivent se forger une culture industrielle, acquérir le savoir-faire et l’envie de suivre cette mouvance. Nous avons les moyens de consolider une Tunisie industrielle performante, qui profiterait à toutes les régions, et réconcilierait à la fois la Tunisie des villes et la Tunisie de la campagne, mais aussi tous les Tunisiens.
Robots, data et technologies vont donner naissance à la future industrie 4.0 et à un monde en mutation continue. Intégrant les technologies de l’information et de la communication, l’usine intelligente viendra remodeler le travail, les métiers et les qualifications dans tous leurs aspects. Ce pourrait être l’occasion de redonner un second souffle à l’industrie tunisienne, qui a été profondément délaissée précédemment par les responsables étatiques. Il faut donc oublier le modèle vieillissant de l’usine et des modes d’hier, et se projeter résolument vers ceux du futur. Par exemple, des capteurs de données seront implantés sur toutes les machines et structures, pour tout enregistrer : vibrations, indications techniques, interventions à réaliser. Le travail sera aussi moins dangereux et moins pénible. Nous pourrons, par la même occasion, en profiter pour restaurer, consolider et renforcer le capital productif tunisien, dans un univers de plus en plus compétitif. Le problème sera sans doute de créer les bons emplois. Cette exigence pose, en effet, une grande problématique, celle de l’émergence des talents et compétences, tout en ne causant pas l’élimination des « personnes peu qualifiées, donc peu formables ». Le capital humain, pour les gens défavorisés, devra être développé, surtout pour les catégories laissées pour compte, de la tranche d’âge de 50 à 62 ans, problèmes qui se présentent de façon différente selon la taille de l’entreprise et l’ampleur de leur champ d’activité. En effet, ces catégories risquent une grande insécurité économique. Il faudra beaucoup d’argent, d’autant qu’il faudra s’inscrire dans les exigences environnementales de l’accord de Paris sur l’énergie et la réduction carbone. Se pose aussi la question des accords à conclure avec les géants technologiques américains et chinois. Pour nous adapter avec le capitalisme mondial, qui est en train de changer profondément.
L’entreprise intelligente au coeur de l’industrie 4.0, est un mariage de l’industrie et des technologies du numérique. Les robots commandés par intelligence artificielle seront partout, les exosquelettes aideront au transport de lourdes charges. Les opérateurs utiliseront des lunettes 3D de réalité virtuelle et augmentée, leur indiquant la procédure à suivre dans l’exécution des divers processus, les imprimantes 3D réaliseront, à la demande du client, des pièces complexes ou qui n’existeraient plus en stock dans les magasins. Toutes les informations (objets, cadences, historique des opérations de manutention et de maintenance, etc.) seront accessibles à tous par des applications informatiques spécifiques installées sur différentes plateformes (ordiphones, tablettes, ordinateurs). La réalité augmentée viendra remplacer la présence obligatoire pour les réunions, grâce à "la télé-présence" pour bientôt, d'abord en réalité augmentée puis en hologramme. Ces performances technologiques en entreprises, peu nombreuses aujourd’hui, se généraliseront partout dans le monde comme des standards. Elles seront la partie visible de la 4e révolution industrielle, après la machine à vapeur, le moteur thermique, l’électricité et l’automatisation. Cette unité connectée est très adaptative et présente de réels avantages, qui peuvent nous faire gagner de nouveaux clients et des parts de marché appréciables, si nous entreprenons cette transformation. Dans cette course, les ouvriers sont , certes, plus réticents au changement, par peur de perdre leur emploi, comme l’ont auguré à tort certaines études, affirmant qu’un robot détruirait plus de cinq (5) emplois, et que les premiers à être touchés seraient les ouvriers de l’industrie manufacturière. Mais ce qu’elles n’ont pas dit, c’est que l’on assisterait aussi à l’émergence de nouveaux savoir-faire, de nouveaux emplois plus qualifiés, moins pénibles et mieux rémunérés. En fait, la transformation numérique ne sera pas amenée à remplacer le travail des hommes par celui des machines, mais le remodèlera et transformera le secteur des métiers. Aussi est-il à déplorer qu’en Tunisie, aucun programme industriel n’ait été lancé pour relever ces défis, si ce n’est quelques déclarations d’intentions épisodiques dans le discours politique, sans concrétisation, ni réflexion réelle.
En mars 2019, une étude de la Fédération internationale de la robotique a établi un classement des pays du monde en fonction du nombre de robots industriels en fonction. La France était 18ème avec 140 robots pour 10 000 salariés, contre 631 en Corée du Sud, en première place, 488 à Singapour, 309 en Allemagne, 223 en Suède, 211 au Danemark, 185 en Italie, 160 en Espagne. Quant à notre pays, il n’existe pas dans ce secteur et pour y remédier, nous avons d’énormes progrès à faire, car les robots changent la vie d’une PME et permettent de réaliser de plus grandes performances et donc de plus grands bénéfices. Mais encore faut-il vouloir franchir le pas. Mais, pour que l’usine connectée et automatisée voie le jour et soit viable, il faut un personnel qualifié et pour cela, il faut former et recruter de nouveaux profils (formation professionnelle, éducation nationale, universités, …, etc.) pour les métiers de demain, comme par exemple : Ingénieurs et Techniciens en mécanique et automatismes industriels ; Ingénieurs et Techniciens en maintenance prédictive (usure et défaillance des robots…) ; Data Scientist : Ingénieurs et Techniciens recensant, traitant et analysant la multitude de données fournies par les capteurs installés sur toutes les machines ; Chief digital officer : Il sera le garant de la continuité numérique de l’entreprise digitalisée et de sa pérennité ; Ingénieurs experts en cyber-sécurité pour éviter le piratage, le vol et l’interception des données ; Marketeur, utilisant le Big Data et les algorithmes intelligents, pour anticiper finement, efficacement, en amont, les usages du futur client et les contraintes de la production ; Ingénieurs en simulation numérique notamment dans l’industrie aéronautique et spatiale et automobile ; Ingénieurs développeurs en réalité virtuelle et augmentée pour concevoir de nouvelles lignes de production et détecter les problèmes potentiels de fonctionnement, afin que les opérateurs et techniciens y soient préparés à l’avance.
Les anciens opérateurs devront, quant à eux, recevoir des formations complémentaires pour apprendre à maîtriser ces nouveaux outils numériques. Ce sera une autre manière de travailler qui traduit le besoin de briser les silos entre les diverses unités d’une organisation et de favoriser une gestion horizontale, par processus et en réseau au sein de laquelle, la collaboration soutenue des divers acteurs organisationnels est nécessaire, afin de générer un résultat à forte valeur ajoutée pour le client. Les défis posés par cette Quatrième révolution industrielle sont considérables, d’autant que le client n’est plus le dernier maillon de la chaîne, mais en devient le premier, du fait que c’est lui qui devrait orienter les fonctionnalités et la fabrication du produit. L’entreprise ne travaillant plus verticalement, mais de façon transversale, il y aura nécessairement un impact considérable au niveau des ressources humaines, quant aux compétences requises sur le marché. Dans les secteurs de l’enseignement et de la formation professionnelle, les ingénieurs et techniciens futurs devront apprendre à accompagner leurs équipes vers le changement et par conséquent acquérir des compétences de management, pour les aider à utiliser ces nouveaux outils numériques, afin qu’ils ne soient pas perçus comme risques ou menaces, mais plutôt comme facteurs de progrès. Dans la vague de la transformation 4.0, les entreprises deviendront les symboles de l’émergence de la société intelligente, laquelle relève de la responsabilité des leaders-managers gouvernementaux, régionaux et locaux. Mais l’avènement d’une nouvelle urbanité représente bien plus. Il s’agit d’abord d’un projet collectif, dans lequel l’engagement des gouvernements et des autorités régionales et locales, est indispensable. Le tout rendu possible par les ressources des technologies, qui nous permettront de façonner ce qui était jusqu’alors fiction. Les secteurs, public et privé, devront anticiper, ensemble, les évolutions des usages. Pour preuve, il y a plus d’un siècle maintenant, la démocratisation de l’automobile individuelle a profondément façonné le tissu urbain. Les espaces publics ouverts et partagés ont progressivement été supprimés, les rues se scindèrent, créant des espaces distincts entre les piétons et les usagers de l’automobile. En parallèle, sans qu’aucune politique commune de régulation n’ait été appliquée par les villes, les moyens de transport, collectifs comme individuels, se sont développés, par le biais d’initiatives publiques et privées.
Alors que des disparités et inégalités territoriales subsistent, les agglomérations font désormais face à une même croissance démographique dense et diffuse et par voie de conséquence à une extension du territoire urbain. L’urgence quant à solutionner le problème, ne peut être saisie, en premier lieu, que par les autorités centrales, régionales et locales, comme une opportunité de transformer en profondeur la ville, pour en faire une ‘’Smart City’’, avec comme objectif partagé, la qualité de vie. Cette transformation pourra favoriser l’attractivité, ainsi que la croissance économique, et répondre aux besoins humains, aux enjeux environnementaux de notre époque et aux enjeux sociétaux, avec une mobilité alternative complète, connectée et inclusive et une adaptation, au mieux, des véhicules et services.
L’intelligence artificielle pourra devenir le levier de la ville intelligente
L’avènement des technologies de l’information et de la communication a modifié en profondeur de nombreux aspects de nos vies. La ville et l’expérience que nous en faisons n’est pas en reste. L’intelligence artificielle, le Big Data et l’Internet des Objets (IoT), sont au coeur des débats sur le comment ils permettront de réinventer l'urbanité et sa planification. A terme, l’exploitation des données recueillies va permettre une optimisation des actifs et des ressources, à la clé des besoins de mieux en mieux adressés et des flux de circulations mieux régulés, permettant l’optimisation de la sécurité et de la qualité environnementale. La technologie nous permettra, entre-autre chose, de faire évoluer nos véhicules au plus près des besoins et des usages, ce qui devrait illustrer pleinement cet équilibre inédit à trouver. Alors que l’E-commerce progresse chaque année un peu plus dans le monde, il semble indispensable de repenser et d’ajuster les villes aux normes de respect de l’environnement et répondant, au plus près, aux besoins des parties prenantes, avec la data au coeur de l’Entertainment pour réinventer la vie, selon une démarche basée sur le Deep Learning, qui préfigure d’ores et déjà l’avenir. L’implication des autorités publiques ne s’arrête cependant pas à la définition de la ville intelligente de demain. Un encadrement législatif et règlementaire de la data et de ses usages est nécessaire, qu’il faudra inventer, tout comme une nouvelle éthique. Porté par les institutions de gouvernance, elle aura un impact fort et positif sur leur développement. Les entreprises devront donc être en mesure d’adapter rapidement leurs produits et les usages associés. C’est là tout l’enjeu : être au plus près des usagers-citoyens avec une qualité de service optimale, le tout en consolidant un business modèle à la croissance forte et durable.
Mais dans un monde devenu incertain par défaut, la course technologique est trop souvent envisagée comme la voie unique pour transformer les entreprises et les mentalités. Une observation plus fine des acteurs qui ont su tirer leur parti de la « révolution numérique » nous prouve pourtant qu’aujourd’hui, la transformation requise est en même temps celle des ‘’business models’’.
Pour commencer, ne plus appréhender le numérique comme un secteur
Au coeur de la tourmente, les géants américains et chinois de la technologie ont réussi en quelques années l’exploit de faire de la régulation un argument politique de premier plan. Mais ce faisant, les décideurs politiques ont contribué à nourrir l’opinion publique d’une vision erronée des logiques à l’oeuvre. À écouter le discours ambiant, on pourrait croire qu’il existe réellement un « secteur du numérique », monolithique et surpuissant, n’attendant plus que de se consolider pour enfin dévorer le monde ; mais il n’en est rien. C’est même le signe d’un profond malentendu sur ce que représente le numérique aujourd’hui et sur le rôle des acteurs qui en répondent. Il n’existe pas, ou plus, de cohérence industrielle, économique ou technologique des acteurs concernés. Tout au plus une certaine cohérence idéologique. De fait, les géants technologiques réunis sous l’étiquette ‘’GAFAM’’ n’ont plus en commun que l’acronyme par lequel on a vite fait de les désigner. D’ailleurs, les réduire simplement à des « entreprises du numérique » ou « technologiques » devient de plus en plus difficile, à mesure que leurs activités se diversifient et viennent impacter des champs aussi divers que la santé, l’éducation... la politique ou la démocratie. Arrêtons un peu les raccourcis simplistes et retrouvons de vrais mots pour décrire réellement ce qu’elles sont et font. Facebook par exemple, est à la fois un réseau social, un éditeur de contenus, un laboratoire d’intelligence artificielle et de réalité virtuelle et augmentée, un écosystème applicatif, un intermédiaire bancaire et une base de données ; Amazon, une plateforme de distribution, un gestionnaire d’actifs, un fournisseur de services de stockage et de services financiers, un producteur audiovisuel, un fabricant d’objets connectés… ; etc. Ces définitions à entrées multiples sont les preuves mêmes du succès du modèle de plateforme de ces entreprises, puisqu’elles témoignent de leur capacité à hybrider leurs modèles. Aussi, ce qui réunit ces entreprises, n’est pas tant leur composante numérique ou technologique, que l’hybridation des modèles qu’elles adoptent pour s’adapter, en temps réel et continu, à un monde devenu incertain par défaut. En cela, concentrer tous ses efforts de transformation sur la brique technologique, plutôt que sur celles des business à venir, c’est regarder son doigt plutôt que la Lune.
Basculer d’une logique de production à une logique d’hybridation des modèles
Face à ces entreprises qui prônent et expérimentent le modèle issu de l’hybridation, les grandes entreprises Tunisiennes ont tout intérêt à mettre à jour leur palette technologique hardware et software. Le volet numérique n’est plus l’apanage de quelque unes, mais concerne désormais toutes les entreprises. Il est la condition d’une hybridation sûre et rapide. Plutôt que de s’évertuer à bâtir seule ses nouveaux business, l’entreprise hybride se dote avec le numérique d’une capacité à identifier et à assembler des briques existantes à son édifice en construction, qu’il s’agisse de talents, d’outils et/ou de compétences. Loin d’uniformiser les modèles économiques ou les transformations opérationnelles, le numérique les décuple ; de cette complexité, les plateformes tirent leur force, en concevant un produit unique, pour permettre aux entreprises de naviguer dans ce nouveau monde. Ce que propose la logique d’hybridation, adoptée par les entreprises nativement numériques, c’est un basculement du modèle classique, fondé sur la réponse à un besoin identifié par l’augmentation constante des capacités de production ; vers un modèle original, qui consiste, pour l’entreprise, à identifier une grande diversité de besoins, et à s’organiser au mieux pour y répondre.
Ainsi, l’hybridation permet de faire coexister des business models anciens et nouveaux, de nouveaux talents et savoir-faire, avec les métiers traditionnels, mais aussi de faire émerger des relais de croissance à partir d’actifs délaissés, et de redistribuer la valeur nouvellement créée au sein des écosystèmes. Elle permet d’envisager la transformation sociétale 4.0, comme une adaptation en continu, une mise à jour perpétuelle au monde numérique plutôt qu’une révolution brutale à échéance programmée.
Hybrider, c’est seulement traduire
Que le numérique accélère toute transformation, nous le savons depuis que le numérique est devenu un nouveau langage universel et que tout le monde devra se mettre à la page. Là encore, l’image est trompeuse par exagération. En effet, que le numérique soit l’affaire de toutes les organisations et entreprises est une chose, mais qu’il en devienne l’espéranto, tant rêvé par les sociologues et linguistes, en est une autre. Certes, une grande organisation peut ressembler, à maints égards, à une tour de Babel, où chaque compétence et métier parle et défend son langage propre. Dans ce contexte, une bonne approche de la transformation serait celle qui mise sur la diversité des expériences, le dialogue fructueux entre stratégie et exécution, entre business et technologie. Et, quand le dialogue est plus difficile, le rôle du leadership n’est pas d’imposer une langue unique, mais plutôt de se faire le traducteur, capable de conjuguer ensemble des visions différentes du monde. Il appartient à toutes les sociétés en transformation et à leurs dirigeants, de mettre en oeuvre cette capacité nouvelle de traduction. Par-là, il s’agit aussi bien de traduire un actif technologique en opportunité business, qu’une expertise inexploitée en vivier de talents et compétences, ou encore une ressource dormante, en nouveau marché en éveil. Traduire, c’est embrasser la complexité d’une culture entrepreneuriale différente de celle en usage jusque-là. C’est rechercher et apprécier les nuances et subtilités des différences, plutôt qu’imposer une voie unique. C’est, enfin, l’attitude nécessaire qu’il convient, pour mener une véritable dynamique d’hybridation, celle-là seule capable de transformer des atouts en opportunités de business à venir et de valeurs ajoutées à la clé.
Monji Ben Raies
Universitaire, Juriste,
Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques,
Université de Tunis El Manar,
Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis.