Habib Mellakh: Acte premier de la mascarade ou les épisodes rocambolesques de la rencontre (première partie)
Le public très nombreux et bon enfant, une pelouse en excellent état, un match de bonne facture, un très beau but de Belaili, tout plaidait jusqu’à la 58ème minute de jeu en faveur d’une fin en apothéose de l’édition 2019 de la Ligue africaine des champions. Les joueurs semblaient disciplinés et soucieux d’éviter la contestation des décisions arbitrales.
Un pénalty et un but réguliers refusés
Même le penalty flagrant, que l’arbitre, pourtant très proche de l’action, n’a pas accordé à l’EST, en première mi-temps, pour sanctionner la faute d’un défenseur marocain levant ses deux mains pour détourner un ballon de Saad Bguir qui allait se loger dans les filets, n’a pas perturbé cette bonne ambiance prometteuse. Le but régulier, inscrit par le Widad à la 58ème minute du jeu et refusé pour un hors-jeu, n’a suscité, dans un premier temps, que la seule protestation du buteur Walid El Karti. Les autres joueurs du WAC semblent avoir avalé la couleuvre parce que l’annulation du but n’est pas intervenue à la suite d’une décision arbitrale directe mais parce qu’elle est consécutive à une communication visuelle avec le juge de ligne qui a levé son drapeau, induisant en erreur l’arbitre central. Sur cette action litigieuse, ce dernier ne pouvait que suivre son assistant : il est très facile, après le visionnage a posteriori au ralenti, de critiquer la décision de l’arbitre, qui ne perçoit l’action que pendant quelques fractions de seconde et qui ne peut pas déterminer la position de l’attaquant au moment du centrage d’autant plus que ce dernier semble avoir devancé d’une bonne longueur le défenseur, ce qui a rendu ardue une appréciation correcte de l’arbitre et de son juge de ligne. Tout cela plaide en faveur de la bonne foi de l’arbitre et de son assistant. De toute manière, rien n’est perdu : si erreur d’arbitrage il y a, Dieu merci, la VAR permettra de vérifier et de rectifier le tir.
Le feuilleton de la VAR : un épisode rocambolesque et une vraie mascarade
Mais c’était compter sans la défaillance de la VAR, premier épisode abracadabrant de cette soirée mémorable. Dans le climat de tension et de suspicion réciproque antérieur à la rencontre et aggravé après l’incident du but refusé, ce défaut de fonctionnement a autorisé les responsables marocains et le président de la CAF, à l’imagination féconde, à inventer, pour l’expliquer, des scénarios rocambolesques relayés, en cela, par des médias européens et marocains: les responsables tunisiens sont suspectés d’avoir débranché la VAR ou de l’avoir sabotée (sic !). Dans un message adressé au producteur-animateur de l’émission After Stad du 3 juin dernier, Ahmad Ahmad, sollicité pour donner son avis sur un probable sabotage, écrit : « De nombreuses personnes se posent des questions sur ce qui s’est passé. Des doutes sur le sabotage de la VAR ? Effectivement, ça m’a effleuré l’esprit mais les saboteurs sont légion ». Après avoir accusé le président de l’EST de l’avoir menacé devant des témoins, Il confirme ses soupçons sur la même chaîne et dans un autre message écrit : « De grands présidents de club en Afrique condamnent les pratiques de ce club mais nous n’avons pas de preuves. La VAR fonctionne partout sauf à Tunis».
Les capitaines des deux équipes avaient-ils été prévenus de l’indisponibilité de la VAR comme l’exige le protocole pour éviter les incidents possibles et les comportements agressifs et perturbateurs successifs aux actions litigieuses, au cas où l’information n’aurait pas été communiquée ? Le capitaine tunisien Khalil Chammam l’assure alors que le capitaine marocain le nie catégoriquement.
La vidéo du match donne raison au joueur espérantiste. Elle montre que les joueurs de l’EST n’ont pas réclamé le recours à la VAR pour visionner l’action du pénalty non sifflé par Gassama (Bguir se contentant de signifier par le recours au langage gestuel la faute de main) et que les Marocains n’ont exigé l’arbitrage de la vidéo pour valider leur but qu’à la 59ème minute. Ces derniers n’ont pas arrêté le match immédiatement après l’annulation du but mais à l’occasion du premier arrêt du jeu intervenu à la suite de la remise en jeu. Il faut en déduire que les joueurs des deux équipes savaient que la VAR ne fonctionnait pas, ce que confirme le président de la CAF Ahmad Ahmad dans un autre message écrit adressé au producteur-animateur de l’émission After Stad du 3 juin dernier : « Le directeur de la compétition avait prévenu les deux capitaines de l’absence de la VAR ».
Pourquoi les joueurs marocains ont-ils réclamé tardivement la VAR alors qu’au départ ils semblent avoir avalé la pilule d’un but irrégulier ? Ils semblent avoir été alertés par leurs dirigeants convaincus de la régularité du but et qui leur ont donné des instructions pour exiger le visionnage de l’action litigieuse alors qu’ils ne pouvaient pas ignorer, comme on peut le déduire de la vidéo du match, la défaillance de la VAR annoncée d’ailleurs la veille dans l’émission Dima sport de la chaîne tunisienne Watania 1 et par le commentateur français de la chaîne Beinsports au début de la transmission de la rencontre.
En colère contre l’arbitre qu’ils considéraient comme acquis, les responsables marocains ont perdu leur self-control au point de ne pas hésiter à présenter une revendication impossible à satisfaire et à compromettre la poursuite de la rencontre par leur entêtement. C’est ainsi que l’entraîneur Faouzi Benzarti, poussé par ses dirigeants, se lève brusquement du banc en vociférant, entre dans l’une de ses colères coutumières pour exiger de l’arbitre central le visionnage de la séquence par la VAR. Ses joueurs harcèlent dans la foulée le 4ème arbitre pour ce faire. Wadii Al Jari, le président de la FTF nous a révélé dans l’émission du dimanche sport du 9 juin dernier que le président du WAC, mécontent de la décision arbitrale, avait fait part au président de la CAF et devant toutes les personnalités présentes dans la tribune d’honneur du stade de son désir d’arrêter le match. Le journaliste marocain, qui commentait le match sur Beinsports a d’ailleurs reconnu que les joueurs marocains avaient reçu des instructions légitimes pour ne pas poursuivre le match sauf si l’exigence du recours à la VAR était satisfaite.
Des revendications abracadabrantes et des négociations houleuses sans issue
Une demi-heure plus tard, le président de la CAF, les présidents des deux clubs, le président de la FTF, plusieurs officiels de la CAF descendent sur le terrain pour tenter de convaincre sans succès les joueurs du Widad de reprendre le jeu. Les images de Beinsports montrent à des téléspectateurs ahuris, qui ne comprennent pas ce qui se passe, des discussions et des négociations houleuses. Les journalistes sportifs de la chaîne de télévision détentrice des droits de transmission sont logés à la même enseigne, distillant les informations au compte-gouttes. Après une longue attente, ils finiront par comprendre et expliquer aux téléspectateurs que la VAR était indisponible alors qu’ils pensaient au départ que l’arbitre avait jugé inutile d’y recourir et qu’il était intransigeant dans son refus .
Nous apprendrons par la suite et grâce à des informations très crédibles de Razi Ghanzoui, l’animateur de Dimanche Sport, que la société anglaise prestataire du service de la VAR ( une société qui a fourni le matériel VAR à l’occasion de la finale européenne de la Ligue des champions), qui devait acheminer à Tunis le matériel nécessaire pour l’utilisation de cette technologie, n’avait pas pu honorer son engagement parce que le fournisseur basé à Riadh n’a pas pu envoyer le matériel commandé qui devait arriver le 27 juin et qui n’est jamais arrivé. Commandé de Dubaï, le 29 juin, il arrivera le jour de la rencontre. Mais la Compagnie Emirates, qui a acheminé ce matériel de 630 kilos et qui est composé de 3 conteneurs, n’en a livré que deux oubliant le troisième contenant trois éléments du dispositif (une caméra VAR, un dispositif de contrôle et un logiciel), ce qui a empêché l’installation de la VAR. Par ailleurs la société anglaise prestataire du service a informé les organisateurs que la pièce manquante, envoyée spécialement de Madrid, arriverait avant le coup d’envoi sans tenir sa promesse. Les Marocains, suspicieux ont-ils estimé que ce dispositif manquant ô combien précieux était arrivée à Tunis et que les Tunisiens refusaient de l’installer ? Dans ce cas de figure, le refus de jouer serait-il une pression exercée sur les Tunisiens pour qu’ils remettent aux techniciens de la VAR le dispositif manquant ? Aurait-on promis aux deux capitaines avant le début du match que ce dispositif allait arriver d’un moment à l’autre et que la panne serait réparée. Mystère et boule de gomme !
Des informations, communiquées aux téléspectateurs de Beinsports par le journaliste Nafaa Ben Achour à l’affût du déroulement des négociations en cours sur la pelouse et dont on ignore la source, font état de l’arrivée du colis oublié, ce qui augurait de la poursuite de la rencontre mais les Marocains conditionnent leur retour sur le terrain à la validation du but annulé, confirmant par là même leur intransigeance et leur désir de gagner à tout prix la Ligue des champions. Ils présentent les revendications les plus abracadabrantes, laissant croire à la possibilité de l’impossible. La défaillance de la VAR est devenue un alibi pour justifier le retrait de l’équipe marocaine et obtenir de rejouer le match à défaut d’une victoire sur tapis vert. Les Marocains semblaient croire dur comme fer, dans la confusion et l’absence de lucidité qui ont régné pendant cette soirée ramadanesque - la colère et surtout la colère aveugle est mauvaise conseillère - que l’indisponibilité de la VAR était un argument des plus valables justifiant l’une de ces deux décisions. Sinon comment expliquer leur obstination maladive à présenter des revendications abracadabrantes, à croire à la réalisation de l’irréalisable, à résister à tous les arguments que « les négociateurs » ont fait valoir et à ne pas reprendre le jeu ?
La même ignorance crasse des règlements a poussé les journalistes sportifs et les analystes présents sur les plateaux de Beinsports et d’autres chaînes de télévision, parmi lesquelles des chaînes européennes, à envisager pendant le match et après le match comme très probable sinon certaine la décision de rejouer le match. Ces messieurs ignoraient tout comme les contestataires que la VAR n’était qu’un outil destiné à améliorer la performance de l’arbitre et à prévenir les comportements antisportifs, que son absence ou sa défaillance ne pouvait ni interrompre une rencontre ni invalider son résultat. Que les protagonistes de la partie (joueurs et officiels marocains) que des journalistes ignorent que la VAR ne fait pas partie des lois du jeu, que les dirigeants de la CAF soient incapables de convaincre les Marocains de reprendre le jeu, tout cela dépasse l’entendement et met en cause l’absence de rigueur et l’amateurisme des dirigeants de la CAF dans la gestion du football continental.
L’échec des négociations et le refus des Marocains, qui ont quitté la pelouse, de reprendre le jeu amènent l’arbitre, une heure et demie après l’interruption de la rencontre, à siffler la fin du match et la CAF à déclarer la victoire de l’Espérance en vertu de l’article 17, chapitre XI du règlement de la Ligue des champions relatif au forfait et à la renonciation à jouer, à la suite d’une réunion entre ses membres présents au stade de Radés selon la déclaration du président de la FTF lors de l’émission Dimanche sport du 9 juin dernier. Le Président de la CAF procédera par la suite à la remise du trophée et des médailles mais les dirigeants marocains continueront jusqu’à la réunion urgente du comité exécutif de la CAF à soutenir mordicus et contre tout bon sens que la défaillance de la VAR est un argument valable pour rejouer le match et le feront valoir jusqu’à la tenue de la réunion des 4 et 5 juin dernier où c’est l’argument de la défaillance sécuritaire qui va justifier que la CAF vole dans les coulisses la victoire à l’Espérance.
(A suivre)
Habib Mellakh
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